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Les différentes mesures utilisées en Poitou au XVIe siècle.

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Notre intention n’est point de faire ici un historique complet de toutes les mesures usitées dans la province de Poitou, la liste en serait trop longue, mais simplement d’examiner celles que nous trouverons le plus communément employées dans l’étude dont nous écrivons ici le premier chapitre, après en avoir rapidement tracé le programme.

Nous les passerons successivement en revue. Tout d’abord, les mesures de capacité utilisées pour les grains, desquelles découlaient, comme nous le verrons, toutes les mesures agraires; cette première partie comprendra également les poids: la Livre, fort peu usitée alors pour la vente des grains mais employée pour beaucoup d’autres denrées, notamment pour la laine. Nous continuerons par les mesures des liquides, le vin était, alors comme aujourd’hui, d’un usage général en Poitou; nous terminerons par les mesures linéaires et des solides utilisées pour le cubage du bois de feu et du bois d’ouvrage, des travaux de construction et de terrassement.

L’unité de mesure des grains était le Boisseau. La réunion de plusieurs boisseaux formait ensuite une série d’autres mesures, variant selon les régions et souvent même, selon les paroisses. Le Setier, la Mine, le Minot, la Quarte, le Prevendier, la Charge, le Muid, la Fourniture, etc., etc., étaient autant de mesures que l’on trouvait employées suivant les paroisses.

Le nombre des boisseaux du Poitou, sous l’ancien régime ne saurait être précisé. En principe, d’après les codes seigneuriaux, seul le seigneur haut justicier avait droit «de poids, de mesures, d’étalonage» dans l’étendue de sa justice, mais l’art. XVI de la coutume du Poitou étendait ce même droit au Seigneur Moyen justicier, ce qui permettait au journal «les Affiches du Poitou», année 1773, de dire à la page 20, qu’il n’existait peut-être pas de province en France possédant autant de mesures différentes . On peut juger par là de la confusion qui ne pouvait manquer d’exister dans toutes ces mesures et des difficultés sans nombre qui ne pouvaient manquer non plus de s’élever chaque jour dans l’interprétation des contrats lorsque, et le cas devait se présenter fréquemment, la désignation du boisseau n’était pas suffisamment précise. Cette confusion devait être d’autant plus grande que la contenance elle-même de ces boisseaux n’était jamais, pour la plupart d’entre eux, nettement définie; chaque seigneur n’avait pour objectif que d’augmenter la capacité du sien. Le journal «Les affiches du Poitou» que nous avons déjà cité, va nous édifier à ce sujet . En l’année 1775, à la page 20, il reproduit une lettre de l’un de ses correspondants qui se termine ainsi:

«J’oubliais de vous marquer que le boisseau de Civray ne devrait peser qu’environ 40 livres, qu’il n’avait que ce poids en 1709, et qu’il s’est successivement accru de trois à quatre livres; on observe du reste des augmentations analogues à Aulnav, Chiré, Beauvoir, etc.».

Beauchet-Filleau, dans son «Etude sur les Différents Boisseaux du Poitou», l’ouvrage le plus complet qui ait été publié sur ce sujet et auquel je vais faire de nombreux emprunts, nous dit que les moines de l’abbaye de Montierneuf, abbaye située dans l’enceinte même de la ville de Poitiers, se servaient d’un boisseau contenant 28 livres de froment et prétendaient que l’étalon de ce boisseau n’était autre que le bénitier de leur église, que l’on allait quérir en cas de contestation, après l’avoir vidé.

La contenance même du boisseau le plus connu et le plus usité de toute la province, le boisseau de la ville de Poitiers, était l’objet de discussions interminables et qui n’avaient pas encore pris fin à l’époque de la Révolution.

Dès le XVIe siècle, pour obvier aux graves inconvénients résultant de l’incertitude qui régnait sur la contenance exacte de tous ces boisseaux «le Présidial de Poitiers, (et là, je cite textuelle «ment Beauchet-Filleau), résolut de fixer exactement cette conte- «nance et, dans ce but, fit recueillir tous les procès verbaux «d’étalonnement qui avaient pu être dressés pour chacun d’eux «afin de les rapporter tous à un boisseau unique, dont la conte- «nance fût très exactement connue, et ce fut tout naturelle- «ment sur le Boisseau de Poitiers que le présidial jeta les yeux» .

A Poitiers il existait deux boisseaux: le Boisseau de l’abbaye du Pin, qui contenait 18 livres 3/4 de froment, et le Boisseau des Marchands, qui en contenait 22. Le boisseau de l’abbaye du Pin remontait au XIIe siècle. En 1194, Richard Cœur de Lion, roi d’Angleterre et comte de Poitou, avait fait don à cette abbaye des droits qui se prélevaient sur la vente des blés dans la ville de Poitiers, à la charge de lui servir chaque année une rente de 14 livres tournois qu’il estimait devoir représenter alors la moitié du revenu que les moines devaient retirer de cette donation. Le boisseau de l’abbaye du Pin était demeuré depuis cette époque le boisseau officiel de la Ville de Poitiers. L’origine du boisseau de 22 livres, dit boisseau des Marchands, était inconnue. Il n’en est question, pour la première fois dans les ordonnances, que vers le milieu du XVIe siècle, et cependant depuis longtemps déjà, il était le seul utilisé dans les transactions, ainsi qu’on peut s’en rendre compte par la lecture des contrats de l’époque qui subsistent encore. Le boisseau de l’abbaye du Pin, le boisseau officiel, servait exclusivement au contraire, pour lever les droits de minage sur les marchés de la ville. Mais, anomalie extraordinaire, nous dit encore Beauchet-Filleau «ce «boisseau des Marchands, condamné par maint arrêt, proscrit «par les officiers de police, était le seul dont on fit usage, non «seulement dans les transactions mais encore, ce que l’on ne «peut guère s’expliquer, dans les actes judiciaires eux-mêmes» et l’auteur en fournit plusieurs preuves dans les pièces justificatives jointes à son travail. Moi-même, j’en ajouterai une nouvelle, tirée des archives du département de la Vienne, carton 26. Dans un arrêt de l’année 1719, le présidial fixant le cours officiel de certaines denrées pour la ville de Poitiers, dit textuellement: «Ces prix sont établis d’après le Boisseau des «Marchands, sauf à diminuer un demi-quart de boisseau pour «les denrées vendues à la mesure et cep de l’abbaye du Pin.»

On voit qu’en 1719 la rivalité entre les deux boisseaux existait toujours. Elle persistait encore quelques années seulement avant la Révolution. Eh 1786, un procureur, du roi au présidial de Poitiers, Jean Filleau, espérant pouvoir résoudre cette interminable question et doter enfin la ville de Poitiers d’un boisseau unique et incontesté, adressait, à la date du 23 décembre, à la municipalité de Tours, une lettre dans laquelle il disait, en substance, au maire de cette ville, que d’anciens manuscrits lui avaient appris que le boisseau de Tours et celui de Poitiers devaient être de même capacité et que des incertitudes et des discussions sérieuses s’étant élevées depuis de très longues années à Poitiers, au sujet de la contenance exacte du boisseau de la ville, il le priait de vouloir bien lui dire quels étaient exactement: «la grandeur du

«boisseau de Tours, sa hauteur, sa largeur, sa solidité réduite en

«pouces cubes et enfin son poids en froment». Le 27 de ce même mois de décembre, le maire de Tours répondait: que loin de pouvoir fournir des renseignements à M. Filleau, la ville ne pouvait lui offrir au sujet des mesures qu’un gâchis dont il n’y avait pas d’exemple: «Il n’y a, à Tours, aucun cep étalon ou mesure ma

«trice dont on puisse partir pour servir de règle, fixer les di-

«mensions ou échantilles des boisseaux; on ne croirait pas, et

«cela est cependant la vérité, qu’il n’y a que d’anciens boisseaux

«de bois, dont rien ne détermine la grandeur, rien n’accuse l’au-

«thenticité, qui puisse servir de règle à la police. Il ne reste à

«l’Hôtel de Ville aucune trace de la mesure de l’ancien boisseau.

«D’où part-on pour fixer une mesure quelconque? d’une an-

«cienne routine que rien ne justifie.» Et la lettre qui continue

longtemps sur ce même ton, se termine ainsi: «L’opinion géné-

«rale est, qu’à Tours le boisseau de froment pèse 18 livres et le

«setier 216, mais cette règle est fautive, le blé variant de poids

«d’après sa qualité et d’après l’état de l’atmosphère.» Voilà qui n’était pas fait pour aider beaucoup le procureur du roi, Jean Filleau, dans son travail de reconstitution du boisseau officiel de la ville de Poitiers. Tours était encore plus mal loti que Poitiers. Du reste, ajoute Beauchet Filleau, dans son étude sur les Boisseaux du Poitou, à laquelle j’emprunte tous ces détails, «sur ces

«entrefaites, 1789 arriva et la Révolution survint qui emporta

«tout à la fois les boisseaux ennemis et le magistrat qui avait

«tenté une dernière fois leur unification» .

Plusieurs documents conservés au greffe du présidial prouvent que, bien que cette question des deux boisseaux ne fut pas tranchée, les magistrats de cette cour n’en avaient pas moins, depuis de longues années, établi le rapport entre la contenance de chacun des boisseaux de la province et la contenance du boisseau de la ville de Poitiers , mais là encore pour établir ce rapport, ils avaient pris pour base, non pas le boisseau officiel, le boisseau de l’abbaye du Pin, mais bien le boisseau des Marchands ainsi qu’en fait foi une pièce dont l’authenticité ne saurait être contestée . Cette pièce porte la date du 23 mai 1628. Il s’agit d’un procès-verbal au moyen duquel le juge seigneurial de la châtellenie de Chéneché (Vienne), établit qu’il a procédé à la vérification du boisseau de cette châtellenie en le comparant à celui de Poitiers. D’après un arrêt du parlement de Paris, le boisseau de Chéneché devait revenir à un boisseau et demi, mesure de Poitiers. Le procès-verbal est ainsi conçu: «A l’instant

«le procureur fiscal de la châtellenie de Chenneché, nous a pré-

«senté le boisseau marqué des armes de la ville de Poitiers en dix

«endroits, scavoyr: sur le fond en dedans, sur le fond en dehors,

«et sur les deux cerceaux, lesdites armes sont pleines et entières;

«et les six autres marques qui sont, trois sur les bords de dessus

«et trois sur les bords de dessous, ne sont pas entières, n’ayant pu

«être imprimées dans toute leur étendue pour n’y avoir pas assez

«d’espaces sur les dits bords». Le juge après avoir fait prendre le diamètre et la hauteur de ce boisseau, constate qu’il pèse, rempli de froment, 22 livres, le fût du boisseau étant déduit, et fait régler le boisseau de Chéneché sur ce même patron mais augmenté de moitié pour se conformer à l’arrêt du parlement de Paris.

Voici donc qui établit très nettement qu’il existait à Poitiers en l’année 1628, un boisseau contenant 22 livres de froment que la municipalité considérait d’une façon incontestable comme le boisseau officiel de la ville. Beauchet-Filleau n’a pas eu connaissance de cette pièce, enfouie dans nos archives départementales au milieu d’un volumineux dossier, sans quoi il en eût très certainement fait état dans son étude. Le conseiller au présidial chargé par sa compagnie de rapporter tous les boisseaux de la province au boisseau de Poitiers, avait donc été bien inspiré en prenant pour type le boisseau de 22 livres ou boisseau des marchands, qui était pour ainsi dire le seul employé dans les transactions, aussi bien que dans les expertises.

Pour établir ce rapport, ce magistrat s’est uniquement basé sur le poids que pesait chacun de ces boisseaux rempli de froment, et alors il nous dit, par exemple, qu’un seul boisseau de Couhé pèse autant que quatre boisseaux de Poitiers, que quatre boisseaux de Confolens représentent huit boisseaux de Poitiers, que deux boisseaux de Chéneché en font trois de Poitiers, etc., etc. Le maire dé Tours nous faisait observer tout à l’heure, à juste titre, combien cette manière de procéder au moyen du poids des grains était défectueuse. Le poids de l’hectolitre de froment varie, selon la qualité du grain, de 75 à 80 kilog. Il s’élève rarement au-dessus de ce dernier chiffre, de même qu’il ne tombe que très exceptionnellement au-dessous du premier, en Poitou tout au moins, mais cela suffit pour avoir pu entraîner des différences assez notables dans le poids des différents boisseaux qui servirent à faire l’expérience ordonnée par le présidial et qui, pesés chacun dans leur localité respective et à des époques différentes, ne furent vraisemblablement pas tous remplis avec du froment de même qualité. Il ne faudrait donc pas considérer comme mathématiquement exactes toutes les contenances qui nous sont fournies, mais les prendre seulement comme approximatives. Il en sera du reste de même pour les mesures de surfaces, ainsi que nous le verrons plus loin lorsqu’il s’agira de déterminer dans les différentes paroisses l’étendue de la boisselée, de la septrée, de la prévendée, etc., etc. Telles quelles cependant, les contenances des différents boisseaux que nous donne le travail, conservé dans les papiers du greffe du présidial, suffisent pour servir de base à une étude comme celle que nous entreprenons au point de vue agricole.

Dans son travail, Beauchet-Filleau, tablant tant sur les chiffres fournis par les papiers du greffe dont nous parlons ci-dessus que sur des documents tirés de ses archives personnelles, donne la contenance de ces boisseaux en traduisant les Livres en Litres de notre système décimal. Pour ce faire, il a fixé tout d’abord à 14 litres 13 centilitres, la contenance du boisseau marchand de la ville de Poitiers auquel il a dû rapporter ensuite, comme l’on sait, tous les autres boisseaux de la province. Nous ne croyons pouvoir mieux faire que de reproduire, dans le tableau qui va suivre, les contenances fournies par Beauchet-Filleau, bien que quelques-unes d’entre elles nous semblent critiquables, mais nous voyons pour tous ces calculs, des bases si peu certaines, que nous nous abstenons d’y toucher dans la crainte de faire moins bien encore. Nous avons cependant ajouté dans ce tableau, les boisseaux de quelques localités qui ne figurent pas sur la liste de Beauchet-Filleau et pour lesquelles nous possédons nous-mêmes, des renseignements qui nous ont paru sérieux. Nous avons également fait figurer les contenances, en Litres, de quelques boisseaux dont l’auteur se contentait de donner le poids, par contre, nous en avons supprimé certains autres, généralement du Bas-Poitou, qui n’étaient pas intéressants pour notre étude. Pour les autres, la seule modification un peu sérieuse que nous ayons apportée concerne le boisseau de la ville de Loudun, que Beauchet-Filleau considère comme contenant 12 litres 84centilitres. Depuis la publication de son travail, le Boisseau Etalon de la ville de Loudun a été retrouvé. C’est une cuve en bronze du poids de 35 kg., qui semble dater de la fin du règne de Louis XI. Cette pièce, très intéressante pour l’histoire du Poitou, a été donnée à la Société des Antiquaires de l’Ouest par l’un de ses membres aujourd’hui décédé, M. Labbé de la Mauvinière, et figure, depuis lors, en bonne place, dans l’un des musées de la Société. Il ne saurait donc y avoir de doute sur la capacité de ce boisseau qui contient exactement 10 litres 34 centilitres. Contenance qui concorde bien, du reste, avec certains documents de l’époque que nous pourrions citer . Nous aurions bien également une autre observation à faire, relativement au boisseau de l’abbaye du Pin, dont il a été si souvent question, et qui, selon nous, devait contenir un peu plus de 12 litres et non pas 11 litres 40 centilitres, mais nous croyons très difficile, pour ne pas dire impossible, ainsi que nous l’avons déjà dit plusieurs fois, de fixer la contenance de tous ces boisseaux à quelques centilitres près.

Les Boisseaux du Poitou.

Leur contenance en Litres, par ordre de décroissance.


L’examen de ce tableau fait bien ressortir, et l’on ne saurait ne pas en être frappé, l’énorme différence de contenance qui existe entre certains de ces boisseaux; le boisseau de Loudun ne contient guère plus de 10 litres tandis que celui de Noirmoutiers a une contenance six fois supérieure... Il serait trop long de rechercher ici la raison de ces différences que nous nous contentons de signaler. On remarquera également que ces boisseaux figurent par séries d’une contenance absolument identique. Dix-huit d’entre eux contiennent 28 litres 26 centilitres, c’est-à-dire exactement le double du boisseau de Poitiers; seize avaient une contenance de 21 litres 19 centilitres; seize autres de 18 litres 84 centilitres; dix, de 17 litres 66 centilitres, etc., etc. Il semble bien extraordinaire que ces boisseaux, dont la contenance avait du être primitivement fixée par les chatelains et autres propriétaires de fiefs agissant chacun dans leur pleine indépendance et sans entente préalable, puissent fournir un aussi grand nombre d’exemplaires absolument identiques, d’autant plus que ces séries ne groupent pas des boisseaux d’une même région, loin de là. Dans la série de 28 litres, par exemple, on trouve le boisseau de Charroux à côté de celui de Fontenay-le-Comte, le boisseau de Pleumartin et celui de Coulonges-les-Royaux et de beaucoup d’autres localités fort éloignées les unes des autres, ce n’est donc pas leur proximité qui peut expliquer leur similitude. Il n’y a, du fait que nous constatons là, qu’une explication possible croyons-nous: c’est que le Présidial, dans son désir d’unifier dans la mesure du possible les boisseaux du Poitou, n’a pas craint de réduire légèrement la contenance de certains d’entre eux, tandis qu’il augmentait insensiblement au contraire la contenance de certains autres, tout cela pour pouvoir les rapporter tous facilement au boisseau de Poitiers et arriver ainsi au résultat que nous constatons ci-dessus. Le but était louable, mais est-on bien sûr que les populations aient très franchement admis toutes ces modifications, quelque légères qu’elles fussent? Rien n’est moins certain. Nous en revenons donc à ce que nous avons déjà dit plusieurs fois, qu’à part quelques boisseaux très connus et pour lesquels il ne peut y avoir de doute, pour tous les autres, il faut se garder de prendre comme infaillibles et mathématiquement exactes toutes les contenances indiquées. D’autant qu’à côté des boisseaux composant la liste du greffe, il en existait d’autres et dans des conditions quelquefois assez singulières. Un très curieux document de nos archives départementales (carton 26), nous apprend qu’à Saint-Maixent, en 1790, il existait encore deux sortes de boisseaux, l’un connu sous le nom de boisseau du Minage, l’autre, de 1/16 moins grand que le premier, dénommé le boisseau du Mardi, parce qu’il n’était utilisé que ce seul jour de la semaine! C’est à peine croyable et cependant cela est certain et s’explique ainsi, que la seigneurie à laquelle appartenaient les droits de minage le mardi n’était pas la même que celle à laquelle appartenaient ces mêmes droits les autres jours de la semaine et que chacune d’elles avait son boisseau. Mais n’était-ce pas là le comble de la confusion! Et cependant le présidial n’était pas arrivé à faire disparaître cette effrayante anomalie. Il n’y avait pas qu’à Saint-Maixent du reste qu’il existât deux boisseaux: selon les renseignements publiés par la préfecture de la Vienne en 1807, sur les ordres du préfet Chéron, sous le titre de «Tables de Comparaisons entre les Mesures Anciennes et les Mesures Nouvelles», il y avait à Loudun le boisseau «Extra Muros», qui contenait 10 litres 90 centilitres, et le boisseau «Intra Muros» qui n’en contenait que 10; à Charroux, le boisseau seigneurial avait une contenance de 24 litres, tandis que le boisseau des Marchands en contenait 27. Angles sur l’Anglin avait également deux boisseaux, l’un de 32, l’autre de 34 litres. Beauchet-Filleau, de son côté, nous apprend qu’à l’Abbaye de la Celle, en plus du boisseau ordinaire de 15 litres 90 centilitres, il y avait «le boisseau du Cellier» qui en contenait près de 24. A Chef-Boutonne, il existait même trois boisseaux: «Le Cep Royal», «le boisseau du Minage» et le «boisseau des Marchands», tous de contenance différente. Enfin, le même auteur nous rapporte encore, d’après le «Journal les Affiches du Poitou» de l’année 1774, page 6, qu’à Saint-Gilles-sur-Vie, chaque seigneur, chaque marchand, chaque fermier avait son boisseau particulier duquel il ne voulait pas démordre. Je bornerai là mes citations, laissant au lecteur le soin d’en déduire les conclusions, mais, en terminant, je répéterai ce que je disais dans le précédent chapitre que, de tous ces boisseaux, le plus grand nombre n’étaient déjà plus utilisés au XVIe siècle, même dans leur paroisse où, pour les transactions commerciales, on employait le boisseau de la ville voisine, boisseau qui rayonnait dans toute la région.

Nous avons cru devoir nous étendre très longuement sur la contenance de tous ces boisseaux du Poitou, parce que; de cette contenance, découlaient une infinité d’autres mesures sur lesquelles nous allons passer maintenant plus rapidement.

Nous citerons d’abord les sous-multiples du boisseau: le «boisselot» qui représentait exactement la 1/2 du boisseau; la «mesure», que l’on trouvait généralement dans les paroisses où le boisseau était de trop grande dimension pour pouvoir être utilisé comme outil pour la manipulation des grains. La contenance de ces mesures variait à l’infini et se trouvait par là même difficile à préciser. D’après Beauchet-Filleau, à Gençay, Champagné-Saint-Hilaire, Sommières, la mesure représentait le quart du boisseau, tandis qu’elle n’en était plus que la huitième partie à Civray. On trouvait ensuite «l’écuellée» : à Civray, où elle représentait la onzième partie du boisseau , dans le Thouarsais, où elle n’en n’était plus que la douzième partie . Dans cette dernière région l’Ecuellée se divisait en douze «Poignées». Cette dernière mesure, qui n’était en somme que la 144e partie du boisseau, et cela à Thouars où le boisseau ne contenait que 15 litres 30 centilitres, démontre bien le prix que l’on attachait au froment à cette époque. Beauchet-Filleau cite encore «le quarteron » représentant à Bressuire la 1/2 du boisseau. Je ne parlerai pas du «Litron», mesure bien connue qui contenait environ 81 centilitres, mais dont il n’était jamais fait mention dans les marchés et les transactions dans le Haut-Poitou. Nous passons en outre très certainement sous silence beaucoup d’autres divisions du boisseau qui nous sont inconnues.

Les multiples du boisseau étaient plus nombreux: le setier, le prévendier, la charge, la fourniture, le muid, et beaucoup d’autres que nous allons examiner.

En première ligne nous mettrons le setier, de beaucoup le plus usité. Dans la région de Paris, les mesures, en ce qui concerne les grains, étaient, et de longue date, très exactement réglées: Le boisseau contenait 20 livres de froment, le minot contenait 3 boisseaux, la mine deux minots ou 6 boisseaux, le setier deux mines ou 12 boisseaux, et enfin le muid contenait douze setiers, c’est-à-dire 144 boisseaux. Il n’en allait pas de même dans le Poitou ou le setier de froment variait de contenance presque autant que le boisseau, et où le setier d’avoine, dans la majeure partie des paroisses, n’était pas le même que le setier de froment. Pour abréger, nous établirons de suite un tableau donnant le nombre de boisseaux formant le setier de froment, dans les paroisses où la contenance de ce setier nous est connue.

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On voit que le nombre de setiers connus est assez restreint mais il faut bien dire que dans les tableaux ci-dessus figurent une partie des villes et des paroisses importantes du Haut-Poitou et que, dans certaines autres villes ou paroisses importantes, le setier n’existait pas et était remplacé par le prévendier que nous verrons plus loin.

Il est à remarquer que dans la contenance en boisseaux de ces setiers, la progression s’établit régulièrement par quatre. Il y avait évidemment une raison. Nous ferons également remarquer que l’orthographe du mot setier a plusieurs fois varié en Poitou: dans tous les manuscrits du XVe siècle il est écrit sextier; au XVIe siècle on trouve généralement septier, tandis qu’au XVIIe et au XVIIIe siècle, on écrit communément setier. La contenance du setier aurait-elle variée avec l’orthographe du XVe au XVIe siècle? Quoiqu’il en soit le setier était de beaucoup la mesure la plus usitée dans le Haut-Poitou pour les ventes de grains, mais, ainsi que nous le disions ci-dessus, le setier d’avoine différait du setier de froment, et il est souvent assez difficile de fixer exactement la contenance du premier. A Poitiers, il s’établit assez nettement à 12 boisseaux, contenant ainsi 1/3 en plus que celui de froment . Il en était de même à Mirebeau où le setier de froment contenait 12 boisseaux et celui d’avoine 18 . Par contre, à Civray, le setier d’avoine était le double du setier de froment, 32 boisseaux au lieu de 16 . Un document de l’année 1563 (Arch. Vienne Cs 8) qui n’est autre que l’évaluation du duché de Châtellerault faite à cette époque à l’occasion du don de la terre de Châtellerault à Diane de France, fille légitimée de Henri II, nous fournit pour cette région le setier d’avoine à 40 boisseaux. On voit par là que sa contenance était encore plus variable que celle du setier de froment.

Le prévendier était également une mesure courante en Poitou. Dans certaines paroisses, comme Chateau-Larcher, Vivonne, Champagné-Saint-Hilaire, Charroux, Usson, Gençay, Lhommaizé, Lusignan, il remplaçait le setier; dans quelques autres, comme Bressuire et Civray, on le rencontrait conjointement avec le setier. A Chateau-Larcher, Vivonne, Gençay, Champagné Saint-Hilaire, il se composait de 8 boisseaux , tandis qu’il n’en contenait que 4 à Charroux, Usson, Lhommaizé et Lusignan . A Bressuire et à Civray, si nous en croyons Beauchet-Filleau, le prévendier représentait le 1/4 du setier de chacune de ces paroisses.

Après le setier et le prévendier, on trouvait la charge. La coutume du Poitou fixait le poids de la charge de cheval à 300 livres. C’était, avec la livre et le quintal, la mesure la plus employée pour toutes les denrées qui se vendaient au poids, et aussi la plus usitée, pour fixer les prix de transport des marchandises . Le quintal se composait de cent livres, et la livre usitée en Poitou était, nous l’avons dit dans le chapitre précédent, la livre poids de marc, dite livre de Charlemagne, de 0 kg. 489,505.

La charge, en tant que mesure des grains, était à Poitiers très régulièrement fixée à 300 livres. Elle comprenait 16 boisseaux, mesure de l’abbaye du Pin pesant chacun 18 livres 3/4, qui font bien effectivement 300 livres; mais dans les autres paroisses du Poitou, les prescriptions de la Coutume étaient loin d’être aussi strictement observées, et la charge, représentée par un nombre de boisseaux déterminé, s’écartait généralement, et souvent dans de très fortes proportions, des 300 livres légales. Le tableau ci-dessous donne le poids de la charge pour les quelques paroisses dans lesquelles nous avons pu nous assurer de sa contenance. Il fournit également le nombre de boisseaux et de litres de grains dont elle était composée.

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Ce tableau contient le nom d’une ville qui appartenait au Berry, le Blanc, mais les transactions étant très nombreuses entre Le Blanc et le Montmorillonnais, nous avons cru devoir faire figurer son nom dans le tableau ci-dessus, ainsi que celui de plusieurs autres paroisses, du reste, qui, elles, faisaient partie du Bas-Poitou.

Les 300 livres fixées par la coutume du Poitou comme poids de la charge, représentaient 146 kg. 850 de notre système décimal. On remarquera que les poids fournis par les paroisses de Bressuire et de Mareuil s’en éloignent sensiblement, le premier étant de beaucoup trop faible et le second de beaucoup trop élevé. Ces deux indications sont fournies par un document se trouvant aux archives de la Vienne (carton 26) et ce document, qui provient de l’ancien greffe du présidial, semble pourtant offrir toute sécurité.

Nous arrivons maintenant aux deux mesures employées dans les marchés et les transactions portant sur de grandes quantités de grains: Le muid et la fourniture.

Nous avons vu qu’à Paris le muid représentait 12 setiers. En Poitou, au XVe siècle, le muid était également d’un usage courant et semblait bien être de même contenance, environ, que celui de Paris, mais au XVIe siècle, dans le Haut-Poitou tout au moins, il avait en grande partie disparu. Il était remplacé par la fourniture. Nous ne voulons pas dire par là que le muid ne figurait plus dans aucun document: ainsi il en est fait mention pendant tout le cours du XVIe siècle dans les registres de délibération du conseil de ville de Poitiers, lorsque le roi ordonnait la levée sur les habitants, d’une certaine quantité de grains pour l’entretien de ses troupes (et alors, tout naturellement, il s’agissait du muid mesure de Paris), mais dans la pratique commerciale, dans le Haut-Poitou, il n’est généralement plus question, à partir du règne de François Ier, que de la fourniture et non plus du muid.

La fourniture était usitée non seulement pour le commerce des grains mais encore pour quelques autres denrées. Elle se composait toujours de 20 unités, de 20 mesures inférieures. Elle contenait pour les grains 20 setiers , pour le bois d’ouvrage 20 brasses , pour le bois de feu 20 réhortées .. On ne saurait s’y tromper. On rencontrera, de loin en loin, la fourniture contenant 21 setiers, cela n’infirmera en rien la règle et prouvera seulement que l’acquéreur a arraché un setier de garniture à son vendeur; il en sera de même, quelquefois, pour le bois d’ouvrage et le bois de feu. Au XVIe siècle, la garniture était d’un usage courant dans la vente de certaines denrées; pour le commerce des laines, par exemple, ou les cent livres étaient toujours «garnies de quatre livres», c’était là la forme usuelle. Le setier d’avoine qui, comme nous l’avons vu, contenait, à Poitiers, exactement 12 boisseaux, était assez fréquemment livré à 13 boisseaux, quelquefois même, jusqu’à 14 boisseaux pour cette même raison de garniture.

A côté de ces quatre mesures principales, en tant que mesures des grains, le setier, le prévendier, la charge et la fourniture, qui étaient, de beaucoup les plus usitées, il s’en rencontrait plusieurs autres d’un usage moins général.

La quarte , comme multiple du boisseau, était spéciale à la région de Vivonne et de Gençay. A Vivonne et dans les environs, tous les marchés se traitaient au moyen de la quarte. Elle comprenait 2 boisseaux et 4 quartes, formaient un prévendier de 8 boisseaux qui, ainsi que nous l’avons vu, remplaçait dans cette région le setier.

A Chauvigny le setier, qui comprenait 8 boisseaux, s’appelait communément «Le Béthuze» . D’où lui venait ce nom? C’est là un terme tout à fait spécial à la baronnie de Chauvigny et que l’on ne rencontre nulle part ailleurs.

La mine , moitié du setier, et le minot, quart de ce même setier, qui étaient d’un usage si répandu dans nombre de provinces, n’étaient que peu usités dans le Haut-Poitou, pour les opérations commerciales tout au moins.

Nous avons rapidement passé en revue les principales mesures employées pour l’achat et la vente des grains, nous n’avons pas la prétention de ne pas en avoir passé sous silence, car il en existait assurément d’autres, mais d’une importance secondaire et dont l’usage, pour chacune d’elles, se bornait généralement, comme pour le béthuze, à une région strictement limitée. Nous citerons encore néanmoins, parmi ces mesures secondaires, le dixain et le douzain, dont le nom indique suffisamment la contenance, et enfin le raz d’avoine; mais la contenance de ce raz d’avoine variait dans de telles proportions que nous n’avons pu parvenir à la fixer et toutes celles que nous avons trouvées citées dans quelques ouvrages ne coïncidaient en rien avec nos renseignements personnels .

Nous examinerons maintenant les mesurés de capacité spéciales aux liquides et qui se borneront dans cette étude uniquement consacrée aux questions agricoles et poitevines, aux mesures employées pour le commerce des vins. Nous distinguerons de suite deux sortes de mesures: la pipe, le bussard (ce dernier n’était autre que la barrique), le poinçon, utilisés par le commerce en gros et, en conséquence, par le cultivateur pour la vente de son vin d’une part, et, de l’autre, la velte, le pot et la pinte, qui servaient au commerce de détail.

La pinte, qui remplissait le rôle de notre litre actuel avait. en Poitou, une contenance aussi variable que le boisseau. Les tableaux publiés en 1807 par la préfecture de la Vienne dont j’ai déjà parlé, donnent par litres et centilitres la contenance des différentes pintes dans quarante et quelques villes ou paroisses du département avant la Révolution. Nous faisons figurer dans le tableau ci-dessous la contenance de ces pintes dans les villes qui peuvent spécialement nous intéresser.


La pinte de Lusignan était quatre fois plus grande que celle de Verrières; celles de Montmorillon et de Loudun ne différaient guère de notre litre; on trouve enfin cinq localités, Chatellerault, Neuville, Pleumartin, Saint-Léger de Montbrillais et Saint-Savin qui avaient la même pinte que Paris, soit 0 1. 93. Nous ajouterons que le pot contenait deux pintes et que la pinte se divisait en deux chopines. Toujours d’après le recueil que je cite plus haut, la velte de Poitiers contenait 7 litres 45. Mais l’auteur. ne va pas jusqu’à nous fournir la contenance de la barrique du Poitou: nous allons essayer d’y suppléer.

Une note de l’année 1728, que nous tirons des archives de la Vienne (carton 26), nous dit que la barrique marchande du Poitou contenait 36 veltes: à 7 litres 45 par velte cela donne 2’68 litres. L’ «Almanach Provincial et Historique du Poitou, de l’année 1787, nous apprend de son côté, que la barrique de vin de Poitiers contenait 320 pintes, ce qui reviendrait à 284 litres. Enfin, un troisième document, également tiré des archives de la Vienne (carton 29), fixe la contenance des barriques du Poitou de 27 à 35 veltes, écart considérable comme l’on voit car il représente plus de 50 litres. Cette dernière indication nous paraîtrait bien la plus exacte néanmoins, car la barrique du Loudunais et celle du Mirebalais étaient beaucoup plus petites que la barrique de Poitiers et que celles des autres régions du Haut-Poitou,. et c’est là ce qui explique l’écart que nous venons de constater dans cette dernière note. Il ne faut pas perdre de vue que, sous l’ancien régime, tout en dépendant du diocèse de Poitiers, le Loudunais et le Mirebalais n’en faisaient pas moins partie de la généralité de Tours et c’est pour cette raison sans doute qu’ils se servaient de la barrique de Touraine; mais en somme, de nos jours encore, la barrique de la région de Poitiers est toujours prise pour 270 litres et il en est de même des barriques de Vendeuvre, Neuville, Jaulnay, Chasseneuil, Saint-Georges, Chauvigny, etc., etc. Il est fort probable qu’il en était ainsi dans les siècles précédents, ainsi que viennent de nous le confirmer les deux premiers documents que nous signalons plus haut. Quant à délimiter exactement le domaine de cette barrique de 270 litres entre la barrique Charentaise au sud, la barrique Saintongeaise au sud-ouest, celle de Touraine au nord et d’Anjou au nord-ouest, la chose nous semble bien impossible, et il en était de même autrefois. Il nous reste à dire maintenant, qu’au XVIe siècle, tous les marchés d’une certaine importance se traitaient au moyen de la pipe qui contenait exactement deux bussards (barriques) et variait par suite entre 500 et 550 litres.

Quant au poinçon, qui complétait la pipe et le bussard, il contenait cent pintes, ainsi que le démontre nettement une transaction intervenue le 28 janvier 1518 , entre les moines de l’Abbaye de Saint-Savin (Vienne) et l’abbé commendataire de cette même abbaye, Aymery de Rochechouart.

Nous ne jetterons qu’un rapide coup d’œil sur les mesures employées pour le commerce des bois, bois de chauffage et bois, d’ouvrage. Pour le bois de chauffage, nous trouvons à Poitiers au XVIe siècle deux mesures: La réhortée et la charge. Au XVIIIe siècle, on trouve en plus la cordée, encore en usage du reste et qui semblait dater du siècle précédent. Au XVIe comme au XVIIIe siècle, on vendait également les buches à la pièce, au cent, mais on conviendra que c’est là une mesure bien vague, car il y a des bûches de toute grosseur, en admettant même que leur longueur soit toujours uniforme.

Il nous a été difficile de préciser la contenance de la réhortée qu’aucun auteur n’indique, à notre connaissance tout au moins; cependant, dans un bail à ferme de la cure de Saint-Secondin, (arrondissement de Civray), à la date du 2 février 1578 , on trouve parmi les charges imposées au fermier, la livraison chaque année, de trois charretées de bois, bonnes, marchandes et recevables, de la valeur de 12 réhortées; quatre réhortées formaient donc une charretée. A cette époque, où les chemins n’étaient que peu ou point entretenus, la charretée ne pouvait se composer de plus de quatre à cinq stères, au maximum; il s’ensuit que la réhortée devait représenter, à très peu de chose près en plus ou en moins, le mètre cube. Un autre acte du 23 avril 1589 , et le prix lui-même de la réhortée dans le cours du XVIe siècle , viennent pleinement du reste confirmer cette appréciation. Nous ne parlerons pas de la seconde mesure la charge, qui variait fatalement, selon la force de l’animal qui la portait, cela malgré tous les règlements possibles, et donnait, par suite, lieu chaque fois à un marchandage.

Le bois d’ouvrage se divisait en bois de charpente (solives, soliveaux, membrures, chevrons), et en bois de menuiserie (planches, planchons). Le bois de charpente se vendait généralement à la toise et au pied linéaires. On sait que le pied représentait 0 m. 325 de notre système métrique et la toise 1 m. 949. Le commerce employait également une autre mesure qui remplissait le rôle de notre mètre cube, que nous avons trouvée quelquefois dès le XVIe siècle, et que l’on appelait «Solive».. La solive était un cube imaginaire ayant 12 pieds de longueur et 6 pouces (1/2 pied) sur 6 pouces d’équarissage, équivalant exactement par suite à trois pieds cubes, soit environ à 1/9 de notre mètre cube. La planche et le planchon se vendaient au moyen de la brasse, et la brasse n’était autre chose que la toise; la toise carrée équivalait à 3 m. 798 carrés. L’inventaire d’un riche marchand de bois, sire Nicolas Audebert, inventaire dressé le 6 novembre 1587 et qui occupe plus de cinquante feuillets (recto et verso) dans les minutes de Me Jehan Chesneau, notaire à Poitiers, fournit, en même temps que le prix des bois, des renseignements très complets sur toutes ces mesures. La planche et le planchon se vendaient également, ainsi que nous l’avons vu ci-dessus, par fourniture de 20 brasses. La toise servait aussi pour le métrage de la maçonnerie et pour l’évaluation des travaux de terrassements. Par contre le métrage des draps, de la soie, de la toile, se faisait au moyen d’une mesure spéciale, l’aune, qui avait une longueur de 1 m. 188.

Nous arrivons maintenant aux mesurés agraires, de beaucoup les plus intéressantes pour notre sujet

L’arpent était la mesure la plus répandue dans tout le royaume, il se composait toujours de cent perches, mais comme la «perche des Eaux et Forêts», la perche officielle, avait une longueur de 22 pieds, la «perche de Paris» une longueur de 18 pieds, la «. perche du Poitou» de 20 pieds, il s’ensuivait que l’arpent des Eaux et Forêts équivalait à 51 ares 07 centiares, l’arpent de Poitou à 42 ares 20 centiares, celui de Paris à 34 ares 18 centiares seulement. En Poitou, au XVIe siècle, l’arpent était d’un usage fort restreint, il n’en est guère question que dans les documents officiels et dans quelques rares paroisses; dans la pratique on ne s’en servait que pour l’arpentage des bois. Les mesures les plus fréquemment employées étaient: pour les terres labourables, la boisselée et le quartier, pour les vignes et les prés le journal. Puis venaient les multiples de la boisselée, c’est-à-dire la septrée et la prévendée, selon qu’on employait comme mesure des grains dans la paroisse le setier ou le prévendier. On trouvait également une foule de mesures secondaires d’un usage très limité, que nous mentionnerons par la suite.

La boisselée était, comme son nom l’indique, toujours proportionnée à la contenance du boisseau de la paroisse où elle était en usage, elle représentait exactement la surface de terre susceptible d’être ensemencée au moyen de la quantité de froment contenue dans ce boisseau. On trouve bien peu de documents anciens rapportant à l’arpent les anciennes boisselées du Poitou et ceux que l’on rencontre se contredisent généralement, ce n’est donc pas de ce côté que l’on trouvera la contenance de la boisselée. La perche du Poitou était loin d’avoir la régularité que certains auteurs lui assignent, il suffit, pour s’en convaincre, de jeter les yeux sur ces tableaux, publiés par ordre du préfet de la Vienne, en 1807, dont nous avons déjà plusieurs fois parlé et qui attribuent: à la chainée de Chatellerault une longueur de 25 pieds (en Poitou «chainée» était synonime de «perche»), à celle de Poitiers 24 pieds, de Montmorillon 11 pieds, et enfin à. celle d’Availles-Limousine 5 pieds 6 pouces seulement. Ce ne sont pas ces différences qu’on notait d’une paroisse à une autre, qui peuvent simplifier pour nous la question, mais nous avons, pour trouver la contenance de la boisselée, la tradition, qui n’est pas encore devenue une légende, et la contenance du boisseau de chaque paroisse que nous connaissons généralement.

On parle, de nos jours encore, de boisselées dans toutes les communes du Haut-Poitou, et certaines de ces boisselées, comme celle de Poitiers par exemple, ont très exactement conservé leur ancienne contenance; d’autres, par contre, ont été légèrement modifiées. Il s’est produit pour ces dernières, dans certaines communes, à propos de l’établissement des nouvelles mesures agraires (hectares, ares et centiares), ce qui s’est présenté lorsque le présidial a voulu rapporter exactement au boisseau de Poitiers, tous les boisseaux de la province; pour faire de tous ces boisseaux des multiples ou sous-multiples exacts, on les avait légèrement diminués ou augmentés, il en a été de même des boisselées, au début du siècle dernier dans les communes dont nous parlons; pour en faire des divisions exactes de l’hectare, et cela dans le but de faire adopter plus facilement les nouvelles mesures, on les a, elles aussi, légèrement modifiées, mais telles qu’elles existent, elles nous fournissent encore de très précieuses indications, surtout lorsqu’elles concordent avec la contenance de l’ancien boisseau, ce qui se présente presque toujours.

Dans une lecture que nous faisions il y a quelques années à une séance de la Société des Antiquaires de l’Ouest, nous suggérions l’idée de faire prendre note exacte, dans toutes les communes, de la contenance de ces boisselées, dont l’usage se perd de plus en plus et dont on ne gardera aucun souvenir lorsqu’auront disparu les vieux laboureurs qui en parlent encore. La chose serait facile et l’on conserverait ainsi un précieux élément pour l’étude des siècles passés, élément qui disparaîtra bientôt sans cela.

En somme il existait au XVIe siècle, dans le Haut-Poitou, quatre types de boisselées auxquels nous pouvons rattacher toutes les autres si nous éliminons, en ne parlant que du Haut-Poitou s’entend, d’un côté, la paroisse de Couhé qui possédait un boisseau d’une contenance supérieure à 50 litres, et de l’autre, la ville de Loudun dont le boisseau ne contenait que 10 litres. Nous ne parlons pas du boisseau de l’abbaye du Pin dont nous n’avons que faire parce qu’il n’a jamais servi de base pour fixer la contenance d’une boisselée.

Ces quatres types de boisselée sont: 1° la boisselée de Lusignan, Saint-Sauvant, Sanxay, La Mothe Saint-Héraye, qui contenait environ 25 ares. Et là nous sommes bien d’accord avec les tableaux, publiés en 1807. A cette boisselée nous rattacherons la seule autre paroisse du Haut-Poitou qui eût un boisseau d’une contenance de 42 litres, celle de l’Isle-Jourdain.

2° La boisselée des paroisses de Civray , Charroux, Confolens, Vernon, Vivonne, Usson, Queaux, Angles, etc., qui contenait 15 ares et à laquelle nous rattacherons les paroisses possédant un boisseau d’une contenance variant de 25 à 35 litres .

3° La boisselée de Chatellerault, Chéneché, Vendeuvre, Saint-Savin, Montmorillon, Chauvigny, Verrières, Gençay, etc., etc., contenant 10 ares et qui était l’une des plus répandues. Là encore nous considèrerons les paroisses possédant un boisseau analogue et pour lesquelles nous n’aurons pas de renseignements particuliers, comme ayant une boisselée de 10 ares.

4° Enfin la boisselée de Poitiers d’une contenance exacte de 7 ares 60 centiares, dont le domaine s’étendait, comme pour son boisseau, dans un diamètre d’environ 30 kilomètres autour de la ville. Dans ce domaine on trouve, d’abord les possessions, et elles étaient nombreuses, de toutes les abbayes et de tous les chapitres de la ville de Poitiers et ensuite plusieurs paroisses, dans la direction de Champigny le Sec, Vouzailles, Mirebeau, Saint-Jean de Saulve. A cette boisselée, se rattachent les boisseaux d’une contenance de 14 à 16 litres.

Nous ne parlons pas de la ville de Loudun qui se trouvait isolée avec son boisseau de 10 litres 34 centilitres et dont la boisselée comprenait de cinq à six ares. La publication préfectorale de 1807 lui attribue 5 ares 28 centiares.

Ces divisions donnent satisfaction tant au point de vue de la tradition, dont nous parlons plus haut, que de la contenance des boisseaux. Nous pouvons les admettre d’autant plus facilement que nous connaissons pertinemment le rayonnement, dans toutes leurs régions, du boisseau et de la boisselée des principales villes qui figurent dans la liste ci-dessus, pour lesquelles des documents certains viennent nous confirmer la contenance aussi bien de leur boisseau que de leur boisselée.

Nous avons donc là des éléments suffisants et assez précis pour nous permettre de découvrir le prix de la terre, lorsque nous allons chercher, par la suite, la valeur de la propriété et son revenu, lorsque nous traiterons la question agricole.

Après la boisselée, comme mesures agraires, arrivaient ses multiples, la septrée et la prévendée, qui représentaient, je crois à peine utile de le dire, un nombre de boisselées exactement en rapport avec le nombre de boisseaux que contenait le setier ou le prévendier de la paroisse. Lorsque, comme à Poitiers le setier contenait 8 boisseaux, la septrée était de 8 boisselées, elle en contenait 16 à Châtellerault où le setier était de 16 boisseaux, etc., etc. Il en était de même pour la prévendée.

Le quartier, à Poitiers, contenait deux boisselées de terre labourable . A Montmorillon, où il n’était employé que pour la terre cultivée en vigne, sa contenance est plus difficile à déterminer, il est à peu près certain cependant qu’il représentait deux journaux de vignes, c’est-à-dire 10 ares.

Le journal était une mesure très répandue, il en est encore fréquemment question dans nombre de nos communes. On l’utilisait pour le mesurage des vignes, des prés, quelquefois également, mais plus rarement, comme mesure pour les terres labourables.

Le journal de vigne représentait l’étendue qu’un bon vigneron peut travailler à bras dans sa journée et, pour cette raison, sa contenance variait légèrement selon que la terre était plus ou moins facile à travailler. A Chasseneuil, petite commune située à quelques kilomètres au nord de Poitiers, les vieux vignerons nous diront encore qu’ils sont contents d’eux lorsqu’ils ont levé leur journal de vigne dans leur journée et, à Chasseneuil, 3 journeaux sont considérés comme représentant deux boisselées. Or, la boisselée, à Chasseneuil, est la même qu’à Poitiers; elle contient 7 ares 60 centiares: il s’en suit que le journal qui vaut le tiers de 2 boisselées représente assez exactement 5 ares. C’est bien à ce chiffre que l’on peut en effet fixer la contenance du Journal de vigne dans un terrain de consistance moyenne .

La contenance du journal de pré variait peu. Un document. sans date précise, mais qui paraît bien être du commencement du XVIIIe siècle, et qui figure dans les archives de la Vienne (carton 26), nous édifiera de suite sur la contenance de cette mesure. «Le journal de faucheur, dit-il, se compose de deux cents gaules «faisant quatre boisselées à la mesure de Poitiers» . Or nous savons que la boisselée de Poitiers contient 7 ares 60 centiares, dès lors le journal de faucheur se trouvera contenir par là même 30 ares 40 centiares, en chiffre rond 30 ares; et c’est bien à ce chiffre que notre expérience des choses agricoles nous aurait permis de le fixer, même abstraction faite du document que nous mentionnons ci-dessus.

Nous ne parlerons que pour mémoire de quelques mesures secondaires, pour le Haut-Poitou, et de certaines autres, plus ou moins baroques et dont il serait bien impossible de déterminer la contenance: L’éminée, que nous rencontrons une seule fois, en Loudunais en 1577 et qui représentait, croyons-nous, la 1/2 d’une septrée; à Niort, en 1593, le carreaux qui a, nous dit l’acte, 2 toises de côté ; le seillon qui est la 25e partie du journal .

En 1568, les fabriqueurs de la paroisse de La Villedieu-du-Clain aliénaient une pièce de pré sise dans l’île d’Andillé, d’une contenance de deux journeaux de faucheur et de «deux Pointes». Le faucheur appelle pointe la largeur de pré qu’il peut embrasser d’un coup de faux, mais ces coups de faux se succèdent sans interruption et c’est toujours la même pointe qui continue, de sorte que s’il est facile d’en déterminer la largeur il est bien impossible, par contre, d’en fixer la longueur . Plus loin il s’agit de la vente de deux «virées de vigne» ; il faut évidemment entendre par là, deux rangs de vigne, mais là encore, ces deux rangs peuvent se poursuivre indéfiniment. Le 19 juin 1568, dans l’étude de Me Jehan Chauveau, notaire à Poitiers, ce sont les chanoines de Saint-Hilaire le Grand, qui vendent à un habitant de la paroisse de Vouillé «deux à trois esjambées de terre», sises au lieu appelé les Isles . N’est-ce pas là le comble de l’imprécision! Du reste, au XVIe siècle, dans une vente de terre, la désignation des contenances, qu’elle se présentât sous la forme de boisselées, de septrées ou esjambées avait toujours quelque chose d’imprécis, car elle résultait, non d’une opération d’arpentage, mais uniquement de l’appréciation d’un laboureur, tablant pour cela sur la quantité de semence qu’il utilisait habituellement pour emblaver la pièce de terre faisant l’objet de la vente, ou encore d’un vigneron ou d’un faucheur faisant l’évaluation de l’étendue d’après la durée de son travail. Mais d’arpentage, il en était si rarement question dans les ventes de terre en Poitou, au XVIe siècle, que l’on peut dire que c’était la très grande exception. Il conviendrait maintenant d’ajouter que les procédés d’évaluation que nous signalons ci-dessus sont plus exacts qu’ils ne pourraient paraître de prime abord aux personnes étrangères aux choses de l’agriculture. Il est bien certain, nous avons été à même de le constater maintes fois, que, sur une étendue d’un hectare, qu’il a l’habitude de cultiver de longue date, un bon semeur ne se trompera généralement que d’un petit nombre de centiares. Il en est de même du vigneron ou du faucheur qui apprécie d’après un travail nombre de fois répété.

Nous rencontrerons probablement, dans le cours de cette étude, d’autres mesures dont nous n’avons pas entretenu le lecteur, nous les examinerons au fur et à mesure que nous les trouverons.

Nous avons essayé de présenter dans ce premier chapitre, dans une longue et peut-être fastidieuse énumération, la plupart des mesures autrefois utilisées par les agriculteurs dans le Haut-Poitou, de signaler leur infinie variété et les difficultés sans nombre que l’on rencontre pour arriver à les connaître. Nous avons même émis et répété plusieurs fois l’avis que pour le plus grand nombre, ce serait pure utopie de vouloir les évaluer à quelques centièmes près, en ajoutant toutefois que, telles que nous les connaissions, elles nous permettaient d’entendre avec une approximation suffisante les chiffres que l’on peut rencontrer dans une étude comme celle-ci et d’en traduire les données en termes de notre temps. Que l’on veuille bien maintenant, s’imaginer cette multitude de mesures, toutes de capacité différente, en usage de nos jours avec la formidable augmentation qui s’est produite dans les échanges grâce au développement des voies de communications et à la rapidité des transports, et l’on conviendra que leur unification dans toute la France, inutilement tentée par Charlemagne d’abord, par Philippe le Long et Henri II ensuite, a été, pour notre pays, l’un des plus grands bienfaits des temps modernes. Cette même unification, y compris celle des monnaies, réalisée entre toutes les grandes nations du globe, serait un bienfait non moins grand et certainement moins irréalisable que la Paix Perpétuelle à quoi rêvent certains de nos contemporains.

Connaissant maintenant, au moyen du tableau qui figure à la page 4 de notre avant-propos, le pouvoir d’achat de la livre tournois en Poitou dans le cours du XVIe siècle, ayant ensuite dans ce chapitre, jeté un coup d’œil sur les mesures usitées à cette même époque, nous pourrons désormais interpréter facilement tous les contrats et les différents documents que nous allons tirer de nos archives, pour nous permettre d’apprécier la vie et la situation sociale de nos paysans poitevins.

L'agriculture et les classes paysannes

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