Читать книгу Histoire de l'Empire Romain: Res gestae: La période romaine de 353 à 378 ap. J.-C. - Ammien Marcellin - Страница 13
Chapitre X
ОглавлениеX. Ce régime de souffrance se prolongeait pour l’Orient, lorsque Constance, consul pour la septième fois avec Gallus, qui l’était pour la troisième, partit d’Arles au retour de la belle saison, pour porter la guerre chez les Allemands, dont les fréquentes incursions, sous la conduite de leurs rois Gundomade et Vadomaire son frère, semaient le ravage parmi leurs voisins de la Gaule. Le prince s’arrêta longtemps à Valence, attendant des vivres d’Aquitaine, parce que les torrents, enflés par la fréquence extraordinaire des pluies, entravaient l’expédition des convois. Pendant ce séjour forcé arrive Herculanus, qui servait dans les protecteurs, et qui était fils de cet Hermogène, général de la cavalerie, massacré à Constantinople, ainsi qu’il a été dit plus haut, dans un soulèvement populaire. L’empereur, au fidèle rapport que lui fit cet officier de la conduite de Gallus, ne put que gémir amèrement sur le passé, et concevoir de vives alarmes pour l’avenir. Il fit toutefois effort pour cacher le trouble de son esprit. Cependant les troupes concentrées sur Chàlons s’irritaient de tant de retards ; d’autant plus que, les convois n’arrivant pas, les distributions vinrent à manquer. Dans cette circonstance, Rufin, préfet du prétoire, eut à remplir la plus dangereuse des missions, celle de faire entendre raison aux soldats, en leur démontrant que la pénurie dont ils souffraient était involontaire. II lui était formellement enjoint d’entrer en pourparler avec ces esprits farouches, exaspérés par la faim, et naturellement portés à en vouloir à l’autorité civile.
Dans le fait, ce n’était rien moins qu’un coup monté pour le perdre ; on voulait se défaire de cet oncle de Gallus, dont l’influence politique pouvait servir d’appui aux vues pernicieuses de son neveu. Mais il se tira d’affaire avec adresse, et le dessein fut ajourné. Eusèbe, grand chambellan, arriva ensuite à Châlons avec une somme considérable, dont la distribution, faite sous main entre les meneurs, calma l’effervescence, et assura la vie du préfet. Bientôt des arrivages nombreux rétablirent l’abondance dans l’armée, et l’on put prendre jour pour lever le camp.
Après plusieurs marches pénibles dans des défilés où il fallut se faire jour au travers des neiges, on atteignit enfin le Rhin près de Rauraque. Alors une multitude d’Allemands se montra sur l’autre rive, et, par une grêle de traits, empêcha les Romains de jeter un pont de bateaux. L’obstacle semblait insurmontable, et l’empereur, abîmé dans ses réflexions, ne savait quel parti prendre, quand il se présenta, lorsqu’on y pensait le moins, un guide bien au fait des localités, qui indiqua, moyennant salaire, un gué dont on se servit la nuit suivante. Le fleuve une fois franchi sur un point éloigné, tout ce pays allait être surpris et ravagé à l’improviste ; mais l’ennemi, à qui il fallait dérober ce mouvement, en eut secrètement avis par des Allemands de nation, pourvus de grades éminents dans notre armée. Tel est du moins le soupçon qui plana sur trois officiers, le comte Latin des protecteurs, Agilon, grand écuyer, et Scudilon chef des scutaires, considérés tous trois jusque-là comme les plus fermes colonnes de l’empire. En présence d’un tel danger, les barbares tinrent conseil d’urgence sur ce qu’il y avait à faire ; et, soit que les auspices aient été menaçants, ou qu’ils aient lu la défense de combattre dans leurs sacrifices, l’énergie qu’ils avaient montrée d’abord tomba tout à coup, et ils députèrent les principaux d’entre eux pour implorer la clémence de l’empereur et obtenir la paix. Les envoyés des deux rois furent reçus ; et, après un mûr examen de leurs propositions, le conseil fut unanime pour la paix, dont les conditions semblaient raisonnables. Constance alors convoqua l’armée, et du haut de son tribunal, entouré de ses grands dignitaires, prononça cette courte allocution : “Qu’on ne se hâte point de trouver étrange que, parvenu au terme de si longues marches, disposant d’immenses approvisionnements, ayant tout lieu, comme je le fais, de compter sur mon armée, je puisse, au moment où nous foulons du pied le sol des barbares, changer de dessein, et revenir subitement à des idées de paix. Chacun de vous comprendra, s’il veut bien réfléchir, que le soldat, quelle que soit sa valeur individuelle, n’a que lui seul à considérer et à défendre ; au lieu que l’empereur, qui veille sur les intérêts de tous, dont le dépôt est entre ses mains, connaît seul le fort et le faible de la chose publique, et seul, avec l’aide divine, peut appliquer sûrement au mal le remède. Prêtez-moi donc, braves compagnons, une oreille favorable. Je veux vous dire pourquoi je vous ai convoqués, et vous le dire en peu de mots. La vérité se montre sobre de paroles, et son langage va droit au but. La renommée a fait retentir votre gloire jusque dans les contrées qui touchent aux extrémités du monde. La nation des Allemands et ses rois s’en alarment ; vous voyez leurs députés devant vous. Ils viennent, au nom de leurs compatriotes, nous supplier humblement d’oublier le passé, et de mettre fin à la guerre. Partisan comme je le suis de la modération et des conseils prudents et utiles, je pense qu’il est bon d’accéder à leurs prières. J’y vois de nombreux avantages. Nous évitons par là les chances toujours périlleuses des combats ; d’adversaires qu’ils étaient, nous allons avoir, suivant leur promesse, les Allemands pour auxiliaires ; nous apprivoisons, sans qu’il en coûte de sang, cette férocité si redoutable à nos provinces. Songez-y bien : on peut vaincre ailleurs que sur un champ de bataille, sans bruit de clairon, sans mettre le pied sur son ennemi ; et cette domination est la plus sûre qu’on accepte, après expérience, de son énergie quand on lui résiste, de sa mansuétude quand on se soumet. En résumé, j’attends votre décision comme arbitres ; je l’attends en prince ami de la paix, et qui tient à montrer sa moderation plus qu’à profiter de ses avantages. C’est aussi le parti que la raison vous conseille ; et nul, croyez-moi, ne vous accusera d’avoir manqué de cœur, parce que vous aurez été généreux et humains”.
A peine l’empereur eut cessé de parler, que la multitude, empressée de lui complaire, témoigne unanimement son approbation du discours, et se prononce pour la paix. Le rapprochement que voici contribua surtout à ce résultat : on avait remarqué que dans les fréquentes prises d’armes de son règne, Constance, toujours favorisé par la fortune contre les ennemis du dedans, n’avait guère éprouvé que des revers en présence de ceux du dehors. Le traité fut donc conclu suivont les rites nationaux des deux peuples ; et, les actes solennels accomplis, l’empereur alla passer l’hiver à Milan.