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Chapitre V

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Table des matières

V. Durant ces agitations de l’Orient, Constance, qui avait fixé sa résidence d’hiver à Arles, y célébrait fastueusement, par la pompe des jeux du Cirque et des représentations théâtrales, la trentième année de son règne, accomplie le 6 des ides d’octobre (10 octobre). Un penchant à la tyrannie, de plus en plus prononcé, lui faisait accueillir toute accusation, quelque chimérique ou douteuse qu’elle fût, comme positive et démontrée. Le comte Géronce entre autres, qui avait été du parti de Magnence, fut d’abord livré à la torture, puis envoyé en exil. Comme le plus léger attouchement révolte la sensibilité dans une partie malade, de même, pour cet esprit pusillanime et borné, le moindre bruit se traduisait en attentat, en complot formé contre sa vie. Ce qu’il fit de victimes par peur suffit à transformer sa victoire en calamité publique. Si élevé qu’on fût comme militaire ou comme honorable, ou par la considération acquise parmi les siens, on pouvait, sur un propos, sur un soupçon, se voir chargé de chaînes et traîné comme une bête fauve ; et, sans même qu’un accusateur intervînt, on vous avait interrogé, ou seulement cité ; votre nom avait été prononcé ; c’était assez pour qu’il s’ensuivît un arrêt de mort, de proscription ou d’exil.

Ces frayeurs sanguinaires, cette inquiétude fougueuse qui s’emparaient du prince à l’idée seule d’une atteinte portée à son pouvoir ou à sa personne, une homicide adulation travaillait encore à les accroître. C’était autour de lui comme un concert d’exagérations perfides, de doléances simulées, d’hypocrites déclamations sur les périls de cette vie précieuse, à laquelle tenaient, comme par un fil, les destinées de l’univers. Aussi est-il sans exemple qu’au moment où, suivant l’usage, le tableau des jugements rendus lui était soumis, il ait jamais révoqué une condamnation de cette nature ; clémence assez commune pourtant chez les souverains les plus impitoyables. Et l’âge, qui d’ordinaire amortit les instincts féroces, ne fit que les développer chez lui, excité comme il l’était par les encouragements de cette tourbe de flatteurs qui ne le quittait point.

Au milieu d’eux se distinguait Paul le notaire. Cet Espagnol, qui cachait une astuce profonde sous sa face imberbe, était d’une adresse merveilleuse à pénétrer dans les secrets de chacun pour y trouver de quoi le perdre. II avait été envoyé en Bretagne avec mission de se saisir de quelques officiers signalés comme fauteurs du parti de Magnence, mais qui n’y avaient trempé qu’à leur corps défendant. Ce ministère de rigueur prit dans ses mains une extension indéfinie, comme l’inondation qui gagne de proche en proche ; et bientôt une multitude d’existences se trouvèrent menacées. Ce n’était que ruine et désolation sur ses pas. Les prisons se remplirent d’hommes nés libres, dont les membres quelque fois étaient brisés sous le poids des chaînes ; et cela, pour des crimes inventés à plaisir et dénués de toute vraisemblance. Tant d’excès aboutirent à une scène tragique, et qui imprime au règne de Constance une tache ineffaçable.

Martin, qui administrait ces provinces comme lieutenant des préfets, déplorait amèrement des actes d’un si odieux arbitraire. Souvent il avait intercédé en faveur des victimes, demandant grâce pour les innocents. Ne pouvant rien obtenir, il déclare en dernier lieu qu’il va se démettre de sa charge, croyant par cette menace intimider l’informateur sans pitié, et l’empècher de tirer les gens de leur repos pour en faire des coupables. Paul craignit en effet que sa propre influence n’en souffrit ; et, par un trait nouveau de cette fatale habileté qui lui a valu le surnom de “Catena” (chaîne), au moment où le préfet par intérim défendait le plus chaudement les intérêts de ses administrés, il sut l’engager lui-même dans le danger commun. Déjà il pressait l’arrestation du nouveau prévenu, dans l’intention de le conduire enchaîné avec les autres à la cour de l’empereur. Martin, en présence d’un péril si pressant, se jette sur Paul l’épée nue, mais il frappa d’une main mal assurée, et, voyant le coup sans effet, tourna l’arme contre lui-même, et s’en perça le flanc. Ainsi périt misérablement le plus honnête des hommes, en s’efforçant de sauver des milliers d’infortunés. Après tant d’atrocités, Paul, tout couvert de sang, revint au camp où se trouvait l’empereur, traînant après lui une foule de captifs, tous pliant sous le poids des chaînes, et dans le plus déplorable état de misère et d’accablement. A leur arrivée ils trouvèrent les chevalets dressés, et le bourreau comme en permanence, au milieu de l’appareil des tortures. Ceux-ci furent proscrits, ceux-là exilés ; le reste passa par le glaive. Car dans tout ce règne de Constance, où il suffisait d’un soupçon pour mettre en jeu les instruments de supplice, on aurait peine à trouver un seul exemple d’acquittement.

Histoire de l'Empire Romain: Res gestae: La période romaine de 353 à 378 ap. J.-C.

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