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Chapitre VIII

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VIII : Nous venons d’exposer les événements dont Rome était alors le théâtre. Constance avait ailleurs des sujets de grave inquiétude. Les courriers se succédaient sans interruption, annonçant que c’en était fait des Gaules. Les barbares, ne trouvant de résistance nulle part, y mettaient tout à feu et à sang. Son cerveau travailla longtemps pour trouver à ce mal un remède qui ne l’obligeât pas à quitter sa résidence d’Italie ; car il voyait un grand danger à s’éloigner lui-même si fort du centre. Le parti auquel il s’arrêta fut très-sage : c’était d’associer à son pouvoir Julien, fils de son oncle maternel, qu’il venait depuis peu de rappeler de Grèce, et qui portait encore le costume des philosophes du pays.

Le jour où Constance s’ouvrit à ses confidents intimes sur la résolution où le poussait le malheur des circonstances, faisant ainsi l’aveu, tout nouveau dans sa bouche, de son impuissance à soutenir seul le fardeau toujours croissant des charges de l’État, tous ces maîtres en l’art de la flatterie s’évertuèrent à l’étourdir sur sa position ; répétant à satiété qu’il n’y avait exigences, si grandes fussent-elles, dont sa force d’âme et sa fortune surhumaine ne pussent triompher cette fois comme toujours. Plus d’un, que sa conscience avertissait de redouter le pouvoir nouveau, prétendait que le nom seul de César était gros de périls, et voyait déjà revenir les temps de Gallus. L’impératrice seule tenait tête à ces adversaires obstinés de l’adjonction au gouvernement ; soit qu’elle s’effrayât de la longueur du voyage qu’elle aurait eu à faire, soit qu’un instinct de prudence lui révélât où était le véritable intérêt de l’État ; et elle insistait sur le choix d’un parent, de préférence à tout autre. Après nombre de délibérations sans résultat, l’empereur prit son parti, et, coupant court à tout débat, signifia sa résolution d’admettre Julien au partage de l’empire. Au jour marqué, devant toutes les troupes présentes à Milan, Auguste, tenant Julien par la main, monta sur un tribunal élevé à dessein fort au-dessus du sol, et décoré sur toutes ses faces d’aigles et d’étendards ; puis, d’un visage serein, il prononça ce discours : « Généreux défenseurs de l’empire, je viens plaider auprès de vous une cause qui nous est commune à tous : il s’agit du salut de la patrie. A des juges ainsi disposés je n’aurai que peu de mots à dire. Plus d’une fois la rébellion a dirigé contre nous ses fureurs : les auteurs de ces tentatives insensées ne sont plus ; mais voilà qu’en offrande à leurs mânes impies les barbares font couler des flots de sang romain. Ils ont rompu tout traité, franchi toute limite, et foulent aux pieds les Gaules dévastées, comptant sur les impérieux devoirs qui nous retiennent et sur l’énorme distance qui les sépare de nous. Le mal est grand, mais une prompte décision peut y porter remède. Que vos volontés seulement concourent avec la mienne, et ces superbes nations seront humiliées ; et nul n’osera plus violer nos frontières. J’ai pris une résolution où se fondent les plus belles espérances ; c’est à vous d’en seconder l’effet. Voici Julien, fils du frère de mon père. Vous connaissez tous les droits que lui assure à mon affection sa conduite irréprochable. Déjà sa jeunesse a donné les gages les plus brillants ; je veux l’élever au rang de César ; et si le choix vous parait heureux, je vous demande de le ratifier. »

Un murmure de faveur l’interrompit à ces mots, chacun, par une sorte de divination, accueillant cette mesure comme une inspiration d’en haut plutôt que comme une pensée humaine. L’empereur attendit patiemment que le silence se rétablit, et, d’un ton désormais plus assuré : « Je prends, dit-il, comme un assentiment le frémissement de joie que je viens d’entendre. Qu’il soit donc élevé à cet honneur insigne, le jeune homme en qui la force s’allie à la prudence ! En imitant ici la sage réserve qui est le fond de son caractère, j’aurai fait mieux que le louer. Par le choix que j’ai fait de lui j’ai d’ailleurs rendu suffisamment hommage aux qualités qu’il tient de l’éducation et de la nature. Les choses étant ainsi, avec la permission du ciel, je le revêts des insignes de prince. » Il dit, couvre Julien de la pourpre de ses aïeux, et le proclame César aux acclamations de l’assemblée entière. Puis se tournant vers le nouveau prince, dont la physionomie semblait plus soucieuse que de coutume : « Frère bien-aimé, vous arrivez tout jeune encore à prendre part aux splendeurs de votre famille. Ma gloire, je le déclare, m’en paraît accrue ; et je me croirais moins grand par la possession du pouvoir sans partage, que par l’acte de justice qui élève à mon rang un homme qui me touche de si près. Allez donc, associé désormais à mes travaux, à mes périls, prendre. en main le gouvernement de la Gaule. Apportez à ses douleurs le baume de votre intervention tutélaire. S’il faut combattre, votre place est marquée à côté des enseignes. Osez dans l’occasion ; mais point de bravoure irréfléchie. Animez le soldat par votre exemple ; mais gardez-vous de tout entraînement vous-même. Soyez toujours là pour porter secours, si l’on plie. Gourmandez sans rudesse, quand c’est le courage qui vient à faiblir ; et sachez toujours par vous-même en quoi tel a bien mérité et tel autre a failli. Les circonstances nous pressent : allez, homme brave, commander à des braves ; et comptez de ma part sur la coopération la plus active, la plus sincère. Combattons de concert, afin que, s’il plaît à Dieu d’exaucer un jour mes vœux et de rendre la paix au monde, nous puissions, de concert, le gouverner avec modération, avec amour. Partout vous me serez présent ; et quoi qu’il arrive, moi, je ne vous ferai jamais défaut. Allez donc, allez ; tous nos vœux vous suivent ; et montrez-vous défenseur vigilant du poste où la confiance publique vous a élevé. »

Un transport universel accueillit ces dernières paroles. La troupe, à très peu d’exceptions, pour témoigner son enthousiasme du choix que venait de faire l’empereur, fit résonner avec fracas le bouclier sur le genou, ce qui exprime, chez le soldat, le comble de l’allégresse ; tandis que frapper de la pique sur le bouclier est signe qu’il s’irrite ou cherche à se courroucer. Une juste admiration éclatait à la vue de César revêtu de la pourpre impériale ; on ne se lassait pas de contempler ces yeux terribles à la fois et pleins de charme, et cette physionomie aussi gracieuse qu’animée. Le soldat en tirait l’horoscope du prince, comme s’il eût connu cet antique système qui fait dépendre les qualités morales de certains signes extérieurs. Et, ce qui donnait plus de poids à ses louanges, il savait y observer la juste mesure, et n’être en deçà ni au delà de la convenance et de la vérité. L’expression était telle qu’on eût pu l’attendre, non de soldats, mais de censeurs. Julien se plaça ensuite sur le char de l’empereur, et revint au palais, récitant tout bas ce vers d’Homère : « La mort au manteau de pourpre et l’inflexible destin ont mis la main sur lui. » Ceci se passait le 8 des ides de novembre (6 novembre), sous le consulat d’Arbétion et de Lollien.

Peu de jours après, Julien épousa Hélène, sœur de Constance ; et, après avoir avec célérité tout disposé pour son voyage, il partit, le jour des kalendes de décembre (1er décembre), avec une suite très modeste. L’empereur l’accompagna jusqu’aux deux colonnes que l’on voit à mi-chemin de Laumelle à Ticinum, d’où César prit en droite ligne la route de Turin. Une triste nouvelle l’y attendait. La cour la savait déjà ; mais, par mesure politique, on avait cru devoir la tenir secrète. Agrippine, colonie célèbre de la Germanie inférieure, venait, après un siège obstiné, d’être prise d’assaut et saccagée par les barbares. Ce malheur frappa l’esprit de Julien, comme un présage de ce que lui réservait l’avenir ; et plusieurs fois on l’entendit répéter avec amertume qu’il n’avait gagné à son avènement que de mourir moins tranquille.

A son entrée à Vienne, la population de tout âge et de tout rang, tant de la ville que des environs, se précipita au-devant du prince désiré que le ciel accordait à ses vœux. D’aussi loin qu’on l’aperçut, les mots d’Empereur clément, d’Empereur fortuné, retentirent de toutes parts avec un indicible enthousiasme. On jouissait avidement de voir enfin les attributs de la royauté sur un prince légitime : sa présence allait remédier à tout ; c’était un génie tutélaire se montrant à l’heure même où tout paraissait perdu. Une vieille femme aveugle avait demandé quelle entrée on célébrait ? quand on lui eut répondu : Celle de Julien, elle s’écria qu’il rétablirait les temples des dieux.

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