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Chapitre X

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X. Durant ces transactions diverses de la politique en Orient et dans les Gaules, Constance, comme s’il eût fermé le temple de Janus, et abattu sous ses coups tous les ennemis de l’empire, conçut tout à coup le désir de visiter Rome, et d’y triompher à l’occasion de cette victoire sur Magnence, achetée au prix de l’affaiblissement de la patrie et de l’effusion du sang romain. Ce n’est pas qu’il eût jamais en personne, ou par la valeur de ses généraux, vaincu complètement une seule des nations qui lui avaient fait la guerre, ou ajouté à l’empire la moindre conquête ; ni qu’on l’eût jamais vu le premier, ou parmi les premiers, aux moments de péril. Il cédait seulement à la fantaisie d’étaler, dans une pompe inusitée, l’or de ses étendards et l’appareil frappant de ses milices d’élite aux yeux déshabitués de ce peuple ; qui n’espérait ni ne désirait revoir de pareils spectacles. Il ignorait peut-être que les princes d’autrefois s’étaient contentés en temps de paix d’un cortège de licteurs ; mais qu’en temps de guerre, et dans telle circonstance où il fallait payer de sa personne, l’un avait bravé, sur une frêle barque de pécheurs, toute la furie des vents déchaînés ; un autre avait, à l’exemple de Décius, fait un noble sacrifice de sa vie ; qu’un troisième n’avait pas craint d’aller lui-même, suivi seulement de quelques soldats, explorer un camp ennemi ; et qu’il n’en est pas un, en un mot, qui, par quelque effort digne de remarque, n’ait recommandé son nom au souvenir de la postérité.

Je passe sous silence l’énorme prodigalité des préparatifs. Ce fut donc sous la seconde préfecture d’Orfite que Constance, dans toute la vanité de sa gloire, traversa Ocricule avec un cortège formidable, composé comme une armée ; objet de stupeur pour tous ceux qui le virent, et dont nul ne pouvait détacher les yeux. Quand il approcha de la ville, le sénat vint lui rendre ses devoirs. Promenant un œil de satisfaction sur ces vénérables rejetons de l’antique souche patricienne, il lui sembla, non pas comme à Cinéas, l’envoyé du roi Pyrrhus, voir devant lui une assemblée de rois, mais plutôt le conseil du monde entier. Ses regards se reportant sur les flots du peuple, il ne pouvait revenir de son étonnement au spectacle de cet universel rendez-vous du genre humain. Lui cependant, précédé de bataillons nombreux aux enseignes déployées, comme s’il se fût agi de terrifier ou le Rhin ou l’Euphrate, s’avançait seul sur un char d’or, où resplendissaient à l’envi les pierres les plus précieuses. Tout autour on voyait flotter les dragons attachés à des hampes incrustées de pierreries, et dont la pourpre, gonflée par l’air qui s’engouffrait dans leurs gueules béantes, rendait un bruit assez semblable aux sifflements de colère du monstre, tandis que leurs longues queues se déroulaient au gré du vent. Des deux côtés du char paraissait une file de soldats, le bouclier au bras, le casque en tête, la cuirasse sur la poitrine ; armes étincelantes, dont les reflets éblouissaient les yeux. Venaient ensuite des détachements de cataphractes ou “clibanares”, comme les appellent les Perses ; cavaliers armés de pied en cap, que l’on eût pris pour autant de bronzes équestres sortis de l’atelier de Praxitèle. Les parties de l’armure de ces guerriers correspondant à chaque jointure, à chaque articulation du tronc ou des membres, étaient composées d’un tissu de mailles d’acier si déliées et si flexibles, que toute l’enveloppe de métal adhérait exactement au corps sans gêner aucun de ses mouvements.

Un tonnerre d’acclamations fit alors répéter le nom d’Auguste à l’écho des monts et des rivages. Constance en fut un instant troublé, sans quitter toutefois cette attitude immobile qu’il avait constamment montrée aux provinces. Se baissant, tout petit qu’il était, pour passer sous les portes les plus hautes, il portait. toujours le regard devant lui, ne tournant non plus la tête ni les yeux que si son col eût été contenu entre des éclisses. On eût dit une statue. Nul ne le vit faire un seul mouvement de corps aux cahots de son char, ni se moucher, ni cracher, ni remuer un doigt. C’était une affectation sans doute ; mais elle dénotait chez lui, en ce qui touche à la commodité personnelle, une abnégation bien peu commune, ou plutôt qui n’appartenait qu’à lui. J’ai, je crois, dit en son lieu qu’il s’était, depuis son avènement, imposé comme loi de ne faire monter personne avec lui dans sa voiture, et de ne souffrir aucun homme privé, comme son collègue au consulat ; condescendance de la grandeur assez commune chez d’autres têtes couronnées, mais où sa vanité ombrageuse ne voyait qu’une dérogation.

Enfin le voilà dans cette Rome, sanctuaire du courage et de la grandeur. Arrivé au Forum, et contemplant du haut de la tribune ce majestueux foyer de l’antique domination romaine, il reste un moment frappé de stupeur. Ses yeux, de quelque côté qu’ils se tournent, sont éblouis d’une continuité de prodiges. Après une allocution à la noblesse dans la salle du sénat, et une autre adressée au peuple du haut de son tribunal, il se rend au palais au milieu d’acclamations réitérées, et savoure enfin dans sa plénitude le bonheur objet de tous ses vœux. En présidant les jeux équestres, il prit grand plaisir aux saillies du peuple, qui sut s’interdire les écarts sans renoncer à ses habitudes de liberté. Le prince lui-même observait un juste milieu entre la roideur et l’oubli de son rang. Il n’imposa pas, comme il faisait ailleurs, sa volonté pour limite aux plaisirs de la multitude, laissant, selon l’usage ordinaire, dépendre des circonstances du spectacle la durée de la représentation.

Il parcourut tous les quartiers construits de plain-pied ou sur les flancs des sept montagnes, sans oublier même les faubourgs, croyant toujours n’avoir rien à voir au-dessus du dernier objet qui frappait ses yeux. Ici c’était le temple de Jupiter Tarpéien, qui lui parut l’emporter sur le reste autant que les choses divines l’emportent sur les choses humaines ; là les thermes, comparables pour l’étendue à des provinces ; plus loin la masse orgueilleuse de cet amphithéâtre dont la pierre de Tibur a fourni les matériaux, et dont la vue se fatigue à mesurer la hauteur ; puis la voûte si hardie du Panthéon et sa vaste circonférence ; puis ces piles gigantesques, accessibles jusqu’au faîte par des degrés, et que surmontent les effigies des princes ; et le temple de la déesse Rome, et la place de la Paix, et le théâtre de Pompée, et l’Odéon, et le Stade, et tant d’autres merveilles qui font l’ornement de ta ville éternelle.

Mais quand il fut parvenu au forum de Trajan, construction unique dans l’univers, et digne, suivant nous, de l’admiration des dieux même, il s’arrêta interdit, cherchant par la pensée à mesurer ces proportions colossales, qui bravent toute description et qu’aucun effort humain ne saurait reproduire. Convenant de son impuissance à rien créer de pareil, il dit qu’il voulait du moins élever un cheval à l’imitation de celui de la statue équestre de Trajan, placée au point central de l’édifice, et qu’il en tenterait l’entreprise. Près de lui se trouvait en ce moment le royal émigré Hormisdas, dont l’évasion de Perse a été racontée plus haut. Il répondit à l’empereur, avec toute la finesse de sa nation : « Commencez, sire, par bâtir l’écurie sur ce modèle, afin que votre cheval soit aussi commodément logé que celui que nous voyons ici. » On demandait à ce même Hormisdas ce qu’il pensait de Rome : « Ce qui m’en plaît, dit-il, c’est qu’on meurt ici comme ailleurs.

Au milieu de la stupéfaction dont le frappait cette réunion de prodiges, l’empereur se récriait contre l’insuffisance ou l’injustice des rapports de la renommée, si justement suspecte d’exagération en toute autre circonstance, et si fort au-dessous de la réalité dans tout ce qu’elle avait publié de Rome. Après une longue délibération sur la question de savoir ce qu’il pourrait faire pour ajouter aux magnificences de la ville, il s’arrêta à l’érection d’un obélisque dans le grand cirque. D’où provenait ce monument, et quelle en était la forme ? c’est ce que j’expliquerai en son lieu.

Pendant ce temps des pratiques odieuses étaient secrètement employées par l’impératrice Eusébie contre Hélène, sœur de Constance et femme de Julien, qu’elle avait, sous un semblant d’affection, amenée à Rome avec elle. Frappée de stérilité elle-même, elle sut se procurer et faire prendre à sa belle-sœur, par surprise, un breuvage destiné à faire avorter celle-ci chaque fois qu’elle deviendrait enceinte. Déjà un enfant mâle, dont Hélène était accouchée dans les Gaules, avait péri par la complicité d’une sage-femme gagnée, qui opéra de trop près la section de l’ombilic tant on attachait d’importance à empêcher qu’un grand homme ne laissât de postérité !

L’empereur ne songeait qu’à prolonger son séjour dans la plus auguste des résidences, dont il goûtait avec délices les plaisirs et le repos, quand ses loisirs furent troublés par des dépêches trop certaines, qui lui annoncèrent coup sur coup que la Rhétie était ravagée par les Suaves, la Valérie par les Quades, et que les Sarmates, les plus insignes brigands de la terre, faisaient des incursions dans la Moesie supérieure et la basse Pannonie. Alarmé de ces nouvelles, il quitta Rome le 4 des kalendes de juin, un mois après son entrée, et se rendit en diligence en Illyrie, en passant par Tridentum. De là il envoya Sévère, officier d’une expérience consommée, tenir dans les Gaules la place de Marcel, et rappela près de lui Ursicin, qui répondit à cet ordre avec empressement, et vint aussitôt le joindre à Sirmium avec les associés de sa précédente mission.

On y tint longtemps conseil touchant les chances de la paix proposée par Musonien avec les Perses, et Ursicin fut envoyé en Orient avec son grade. On donna aux plus anciens d’entre nous des commandements dans l’armée. Les plus jeunes, et j’étais du nombre, eurent ordre de suivre Ursicin, et de lui obéir en tout pour le service de l’État.

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