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Chapitre VIII

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VIII. Marcel avait été confondu, et confiné à Serdique, sa ville natale. Mais après son départ le même genre d’accusation se propagea dans le camp de Constance, et de prétendus actes de lèse-majesté servirent de prétexte aux plus odieuses persécutions. Avait-on consulté un devin sur le cri d’une souris, sur la rencontre d’une belette, ou sur tel présage de ce genre ; ou seulement, pour charmer quelque douleur physique, avait-on (ce qui est reçu en médecine) fait réciter certaines paroles par une vieille femme, on était aussitôt accusé, traduit en justice et mis à mort, sans savoir d’où partait le coup.

Vers ce temps-là un nommé Danus avait été dénoncé pour quelque fait insignifiant par sa femme, qui ne voulait que lui faire peur. Cet homme, on ne sait comment, s’était fait un ennemi de Rufin, qui par son zèle, qu’aucun scrupule n’arrêtait, s’était élevé au rang de chef des appariteurs de la préfecture du prétoire. C’est ce même Rufin qui s’était emparé, ainsi qu’on l’a vu plus haut, du rapport de l’agent du fisc Gaudence pour perdre Africanus, consulaire de Pannonie, et avec lui tous ceux qui avaient pris part à son banquet.

Rufin était beau parleur, et cette femme avait la tête faible ; il sut l’entraîner d’abord avec lui dans un commerce adultère, puis dans une démarche plus criminelle encore : ce fut d’intenter à son innocent mari une accusation de lèse-majesté, qui n’était qu’un tissu d’impostures. Elle prétendait qu’il avait dérobé au tombeau de Dioclétien, et mis en lieu secret, un voile de pourpre, et qu’il s’était fait aider dans ce vol par plusieurs complices. Il y avait de quoi faire tomber plus d’une tête. Rufin courut vite au camp de l’empereur exploiter avec son art accoutumé une calomnie dont il comptait se faire un titre à la faveur.

Aussitôt l’ordre est donné à Mavortius, préfet du prétoire, caractère d’une rare fermeté, d’instruire sur cette déposition ; et on lui adjoignit pour les interrogatoires Ursule, grand trésorier, d’une intégrité également reconnue. On procéda dans toute la rigueur arbitraire des formes du temps. Mais après plusieurs essais de la torture, qui n’amenèrent aucun résultat, le doute commençait à entrer dans l’esprit des juges, quand la vérité comprimée tout à coup se fit jour. L’épouse accusatrice, poussée à bout, dénonça Rufin comme l’artisan de toute cette infâme machination, sans même déguiser la turpitude de ses relations avec lui. Une sentence capitale est aussitôt prononcée contre tous deux, par une juste application de la loi, et comme l’exigeait la vindicte publique. Constance frémit à cette nouvelle, et, comme si on lui eût ôté par cet arrêt la sauvegarde de sa propre vie, il dépêcha en toute hâte des cavaliers à Ursule, avec l’ordre formel à ce dernier de revenir aussitôt. On lui conseillait de n’en rien faire. Mais lui, sans se laisser intimider, va droit à la cour, et là devant le conseil expose avec calme et présence d’esprit les faits tels qu’ils s’étaient passés. Son attitude intrépide imposa silence aux flatteurs, et le tira, ainsi que son collègue, du plus grand des dangers.

Il se passa vers la même époque, en Aquitaine, une scène qui eut du retentissement ailleurs. Un fureteur d’accusations assistait à un dîner servi avec la profusion et la recherche qu’on y apporte d’ordinaire en ce pays. Cet homme avise deux couvertures de lits de table que les domestiques avaient disposées avec assez d’adresse pour que les larges bandes de pourpre dont chacune était bordée parussent se confondre en une seule. La nappe était formée de pièces d’étoffe semblables. Il en prend une de chaque main, et les ajuste de façon à figurer le devant d’une chlamyde impériale. Ce fut assez pour faire intenter au maître du logis un procès criminel, où s’engloutit son riche patrimoine.

Un autre exemple de cette fureur d’interprétation fut donné par un agent du fisc en Espagne. Il se trouvait aussi invité d’un festin ; et lorsqu’à la chute du jour les gens de service poussèrent l’exclamation d’usage : Triomphons ! en apportant les lumières, cet homme s’empara de ce mot, qui est de cérémonial, pour lui donner une signification criminelle ; et il s’ensuivit la ruine d’une illustre maison.

Le mal se propageait de plus en plus par l’excessive pusillanimité du prince, qui voyait partout des attentats contre sa personne. On peut le comparer à ce Denys, tyran de Sicile, qui, tourmenté des mêmes frayeurs, voulut que ses propres filles apprissent à manier le rasoir, afin de n’avoir plus à se confier pour ce service à des mains étrangères ; et qui fit entourer la petite maison où il passait la nuit d’un large fossé sur lequel était jeté un pont composé de pièces de rapport, dont chaque soir il enlevait les ais et les chevilles, pour le remonter au lever du soleil. Les courtisans de Constance travaillaient à qui mieux mieux à alimenter ce foyer de malheur public, dans la vue de s’approprier les dépouilles des condamnés, et pour avoir l’occasion de s’agrandir aux dépens d’un voisin. Il est trop certain que Constantin le premier donna l’éveil à l’avidité de son entourage ; mais on peut dire que Constance gorgea le sien de la substance des provinces. Sous son règne une soif ardente de s’enrichir, au mépris de toute justice et de toute honnêteté, s’empara des principaux personnages de tous les ordres. De ce nombre sont Rufin, préfet du prétoire, dans la magistrature civile ; Arbétion, général de la cavalerie ; Eusèbe, grand chambellan, – questeur, parmi les militaires ; et, parmi les fonctionnaires municipaux, les Anicius, famille où une sorte d’émulation de rapacité se transmet avec le sang, et qu’une progression continue de richesse a toujours été impuissante à assouvir.

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