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Chapitre VII

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VII. Constance, instruit dans le même temps, par le bruit public, de l’isolement où César avait été laissé dans les murs de Sens, ôta le commandement à Marcel, et le renvoya dans ses foyers. Celui-ci regarda cette destitution comme une injustice, et se mit à intriguer contre Julien, spéculant sur la tendance naturelle de l’empereur à accueillir toute accusation. Julien se défiait de ses calomnies ; et Marcel n’eut pas plutôt quitté l’armée, qu’Euthère, chambellan de César, fut dépêché sur ses pas à la cour, pour se tenir prêt à en combattre l’effet. Marcel, qui ne s’attendait à rien moins qu’à se trouver en face d’un contradicteur, arrive à Milan, faisant grand bruit et grand étalage de menaces. C’était un déclamateur outré et d’une emphase extravagante. Admis devant le conseil, il accuse ouvertement l’insolente présomption de Julien, qui se fabriquait, disait-il, des ailes pour prendre son vol plus haut ; propos qu’il accompagna d’une pantomime appropriée aux paroles. Au moment même où son imagination se donnait ainsi carrière, Euthère demande audience, est introduit, et, obtenant à son tour la parole, fait ressortir toutes les atteintes portées par Marcel à la vérité. Il expose, du ton le plus simple et le moins passionné, comment, malgré l’inaction calculée, disait-on, du chef de la cavalerie, la vigoureuse défense de César avait fait lever le siège de Sens aux barbares. Tant que Julien respirerait, disait-il, Julien serait le plus fidèle sujet de l’empereur ; et il répondait de lui sur sa tête.

Je me trouve amené à donner sur ce même Euthère quelques détails qui pourront bien trouver des incrédules. L’éloge d’un eunuque serait suspect jusque dans la bouche d’un Socrate ou d’un Numa Pompilius, même après serment de ne dire que la vérité. La rose cependant naît au milieu des ronces, et parmi les bêtes féroces il en est parfois qui s’apprivoisent. Je n’hésite donc pas à raconter ce que je sais des hautes qualités d’Euthère.

Il était né en Arménie, d’une famille libre. Enlevé tout jeune encore dans une escarmouche avec les peuples voisins, il fut fait eunuque, vendu à des marchands de notre pays, et, de proche en proche, amené par eux au palais de l’empereur Constantin. En grandissant, Euthère se fit peu à peu remarquer par sa bonne conduite et son intelligence, par une étendue de savoir supérieure à sa condition, une rare pénétration dans les affaires douteuses ou embarrassées, et une mémoire qui tenait du prodige. Il avait, de plus, la passion du bien ; la justice était l’âme de ses conseils. Tel il se montra jeune homme, et tel dans un âge plus avancé près de l’empereur Constant. Si ce dernier n’eût suivi que les inspirations d’Euthère, sa mémoire eût échappé à tous les reproches qu’on lui a faits, ou du moins aux plus graves, Devenu chambellan de Julien, Euthère ne craignait pas de reprendre chez son maître certains traits de légèreté, fruits d’une première éducation faite en Asie. Rendu ensuite au repos, puis rappelé plus tard à la cour, il soutint dans ces situations diverses son caractère de désintéressement et de discrétion inviolable ; ne trahit aucun secret, sinon pour sauver une vie, et jamais ne paya tribut à l’amour de l’argent, qui fut la passion de son époque. Aussi dans sa retraite à Rome, où il a voulu finir ses jours, peut-il aller le front levé, dans la sécurité d’une bonne conscience, et d’une vieillesse honorée et chérie de tous. Bien différent des hommes de cette classe, qui, en général, après s’être enrichis par des moyens indignes, vont chercher quelque coin obscur, comme le hibou fuit la lumière, pour se dérober aux regards des nombreuses victimes de leur rapacité.

Où trouver le pareil d’Euthère parmi les eunuques dont l’histoire a conservé les noms ? Toutes mes recherches n’ont pu le découvrir. Sans doute il s’en est rencontré, quoique bien peu, qui ont laissé le caractère de serviteurs probes et fidèles. Toutefois quelque vice toujours a fait ombre aux belles qualités qu’ils tenaient de l’éducation ou de la nature. Avidité, dureté de cœur, ou malignité instinctive chez ceux-ci ; chez ceux-là bassesse servile envers quelqu’un, insolence tyrannique avec tous les autres. Oui, je l’affirme avec pleine confiance dans le témoignage de mes contemporains : un caractère aussi parfait de tous points est ce queje n’ai lu ni entendu citer d’aucun autre eunuque que d’Euthère. Que si quelque minutieux scrutateur d’anciennes annales venait m’opposer l’exemple de Ménophile, eunuque de Mithridate, roi de Pont, je répondrais que la célébrité de ce personnage n’est due qu’au dernier acte de sa vie. Mithridate, cédant aux Romains et à Pompée, s’était enfui en Colchide, laissant dans la forteresse de Synhore sa fille, nommée Drypetine, malade, et confiée aux soins de Ménophile. Celui-ci ne négligea rien pour la guérir, y réussit, et continuait à veiller sur son dépôt avec une extrême sollicitude. Quand le fort qui leur servait d’asile fut assiégé par Manlius Priscus, lieutenant du général romain, Ménophile vit que la garnison allait se rendre ; et, pour épargner au nom de son maître la souillure des outrages affreux réservés à la noble captive, il la tua de sa main, et se passa ensuite son épée au travers du corps. Mais reprenons le fil des événements.

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