Читать книгу Histoire de l'Empire Romain: Res gestae: La période romaine de 353 à 378 ap. J.-C. - Ammien Marcellin - Страница 40
Chapitre XI
ОглавлениеXI. César, consul pour la seconde fois avec Constance, qui l’était pour là neuvième, après un hiver passé à Sens, où les menaçantes démonstrations des Allemands le tinrent perpétuellement sur le quivive, rentra en campagne sous les plus heureux auspices, et se dirigea rapidement sur Reims. Son cœur s’épanouissait à l’idée de n’avoir plus d’opposition ni de susceptibilités à craindre de la part d’un lieutenant aussi rompu que l’était Sévère à l’obéissance des camps, et dont il était certain de se faire suivre en toute circonstance avec la docile promptitude du soldat le mieux discipliné. D’un autre côté, par l’ordre de l’empereur, un renfort de vingt-cinq mille hommes lui était arrivé d’Italie à Rauraque, sous le commandement de Barbation, qui était parvenu à la maîtrise de l’infanterie depuis la mort de Silvain. C’était l’exécution du plan, mûrement concerté à l’avance, de rétrécir insensiblement le cercle des dévastations par la marche simultanée de deux divisions romaines parties de deux points opposés, afin de prendre les barbares comme entre des tenailles, et d’en finir avec eux d’un seul coup.
Tandis que cette manœuvre s’opérait avec tout ce qu’on pouvait y mettre de promptitude et d’ensemble, les Lètes indépendants, toujours prompts à saisir les occasions de piller, dérobent une marche aux deux camps, et tombent à l’improviste sur Lyon, qu’ils auraient saccagé et brûlé dans ce coup de main si l’on n’eût à temps fermé les portes, mais dont ils ravagèrent tous les environs. César, à la nouvelle de ce contre-temps, fit occuper en toute hàte par de forts détachements de cavalerie trois routes par où devait nécessairement s’effectuer le retour de ces pillards. Il avait bien pris ses mesures ; car tout ce qui s’engagea dans l’une de ces voies y laissa la vie avec son butin, qui fut repris encore intact. Il n’y eut d’épargné qu’une colonne qui longea dans sa fuite le camp de Barbation, et que celui-ci laissa tranquillement défiler sous ses retranchements mêmes.
Le salut de ce parti était l’effet d’un contre-ordre donné par Cella, tribun des scutaires, aux tribuns Bainobaude et Valentinien, dont le dernier fut dans la suite empereur ; contre-ordre par suite duquel ils durent abandonner tous deux les postes d’observation oü ils étaient placés. Ce ne fut pas tout. Le lâche Barbation, détracteur obstiné de la gloire de Julien, dans la conscience du tort qu’il venait de faire à l’État (car c’était de lui-même qu’émanait le contre-ordre, ainsi que l’a depuis confessé Cella quand on lui reprochait sa trahison), Barbation, disons-nous, s’empressa de faire tenir à Constance un rapport mensonger, où il prétendit que les deux tribuns étaient venus, sous prétexte d’un service commandé, chercher à débaucher ses soldats. Il n’en fallut pas davantage pour les faire destituer et renvoyer chez eux l’un et l’autre.
Cependant l’approche des deux armées avait jeté l’effroi dans la population barbare établie sur la rive gauche du Rhin. Une partie essaya, par d’immenses abatis d’arbres, d’intercepter toutes les routes sur les points les plus montueux et les plus difficiles. Le reste, réfugié dans les îles nombreuses dont le cours du fleuve est parsemé, hurlait contre César et contre nos troupes les plus sinistres malédictions. Julien, irrité, voulut se saisir de quelques-uns de ces misérables, et fit, à cet effet, demander à Barbation sept barques, sur un certain nombre qu’il avait réuni pour la destination éventuelle d’un pont de bateaux sur le Rhin. Mais celui-ci, qui ne voulait être à Julien d’aucun secours, aima mieux les faire brûler toutes. A la fin, des coureurs ennemis tombés au pouvoir de Julien lui indiquèrent un point du fleuve que la sécheresse avait rendu guéable. Il réunit aussitôt les vélites auxiliaires, et, après quelques mots d’exhortation, les envoie sous la conduite de Bainobaude, tribun des Cornutes, tenter un fait d’armes mémorable. Ceux-ci, partie marchant dans l’eau, partie s’aidant de leurs boucliers en guise d’esquifs, quand ils cessaient de trouver pied, abordèrent à l’île la plus voisine, et y massacrèrent tout, sans distinction de sexe ni d’âge. Là, trouvant des barques sans maîtres, ils s’y entassent au risque de les faire chavirer, et parcourent ainsi le plus grand nombre de ces retraites. Quand ils furent las de tuer, ils s’en retournèrent tous sains et saufs, et chargés d’unbutin considérable, dont ils durent cependant abandonner au fleuve une partie. La population germaine des autres îles, ne s’y croyant plus en sûreté, gagna l’autre rive, emmenant avec soi femmes,enfants, et jusqu’aux provisions.
Julien s’occupa ensuite à relever le fort des Trois Tavernes, que l’opiniâtreté des barbares avait fini par emporter et par détruire, et dont le rétablissement allait imposer un frein à leurs continuelles incursions dans les Gaules. Il mit à terminer les ouvrages moins de temps qu’il n’espérait lui-même, et laissa à la garnison des vivres pour un an. A cet effet, il fallut faire main basse sur le grain semé par l’ennemi, non sans crainte de l’avoir sur les bras durant l’opération. Cette récolte fournit en outre à Julien le moyen d’approvisionner sa troupe pour vingt jours. Le soldat gagnait ainsi ses rations à la pointe de l’épée ; et sa satisfaction en était d’autant plus vive, qu’il venait d’être frustré d’un convoi qui lui était destiné. Barbation, qui avait rencontré ce convoi en route, en avait d’autorité pris tout ce qui était à sa convenance, faisant brûler le reste en un monceau. Était-ce chez lui bravade ou démence ? De pareils actes, trop souvent répétés, s’autorisaient-ils secrètement des ordres du prince ? Tout ce qu’on peut affirmer, c’est que, suivant une opinion très accréditée, le choix de Julien pour César avait été fait, non dans l’intérêt de la délivrance des Gaules, mais dans la vue de le perdre lui-même. C’était dans cette pensée qu’on avait mis aux prises avec les dangers de cette guerre cruelle l’inexpérience présumée d’un jeune homme que l’on jugeait incapable d’en supporter même le bruit.
Tandis que Julien se fortifie avec activité dans cette position, qu’une partie de l’armée pousse en avant des postes retranchés, et que l’autre s’occupe à ramasser du grain, tout en se tenant en garde contre les surprises, une nuée de barbares, prévenant à force de célérité le bruit de sa marche, vint fondre sur le corps de Barbation, qui continuait, ainsi qu’on l’a vu, d’opérer séparément de l’armée des Gaules, le mène battant jusqu’à Rauraque, et le refoule même aussi loin qu’elle put par delà, lui enlevant en grande partie bagages, bâtes de somme et gens de service. Après quoi la bande rejoignit le gros des siens ; et Barbation, comme s’il eût fait la campagne la plus heureuse, distribua tranquillement ses ; troupes dans les cantonnements, et revint à la cour préparer comme à l’ordinaire quelque accusation contre Julien.