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Chapitre IV

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IV. Peu de temps après l’issue de cette affaire, la guerre fut déclarée aux Allemands Lentiens, qui ne cessaient de franchir leurs limites, et de pousser au loin leurs incursions sur le territoire de l’empire. Constance prit en personne le commandement de l’éxpédition, et vint camper dans les champs Canins en Rhétie. Là le plan de campagne fut longuement élaboré, et l’on décida qu’il y avait à la fois honneur et avantage à prendre l’initiative. Arbétion, général de la cavalerie, dut en conséquence marcher à l’ennemi avec la meilleure partie des forces de l’armée, en côtoyant le lac Brigance. Mais, pour l’intelligence de ce qu’on va lire, il est bon de donner une courte description des lieux.

Entre les anfractuosités de hautes montagnes, le Rhin fait soudain jaillir sa source avec une impétuosité terrible, et, jusqu’alors sans affluent, se précipite au travers de rochers escarpés, comme le Nil à ses cataractes. II serait dès lors navigable, si cette partie de son cours n’était plutôt un torrent qu’une rivière. Redevenu libre dans sa marche, il divise son onde en plusieurs courants qui baignent diverses îles, et débouche dans un lac de forme arrondie et d’une vaste étendue, que les peuplades riveraines de Rhétie ont nommé lac Brigance, et qui a 400 stades environ en long et en large. A l’entour de ce lac règne une sombre et sauvage forêt, qui jadis en rendait les abords inaccessibles. Alors la persévérante énergie de la vieille Rome a su s’ouvrir dans ces régions une large voie, en luttant contre le sol, contre les efforts des barbares, contre l’inclémence du ciel. Le Rhin, entraîné par la rapidité de la pente, fait en écumant irruption au milieu de cette eau dormante, formant entre ses deux parties une solution de continuité absolue.

Un divorce éternel sépare les deux ondes. Le fleuve passe sans augmenter ni diminuer de volume, et court se perdre au loin, conservant jusque-là son nom et l’intégrité de ses eaux dans les gouffres de l’Océan. Chose merveilleuse ! ni l’immobilité du lac n’est troublée par le fleuve impétueux qui le traverse, ni le cours du fleuve retardé par la masse inerte et limoneuse que son invasion déplace. Pas la moindre confusion, pas le moindre mélange ; c’est à peine si l’on en peut croire le témoignage de ses yeux. Ainsi l’Alphée, fleuve d’Arcadie, à en croire la tradition, perce les flots de la mer Ionienne, pour aller marier son onde à celle de sa bien-aimée Aréthuse.

Arbétion, qui ne manquait pas d’expérience, et qui savait ce qu’il faut de circonspection au début surtout d’une campagne, fit cependant la faute de se porter en avant sans attendre les rapports de ses éclaireurs, et vint donner dans une embuscade. Il en fût déconcerté au point d’arrêter court son mouvement, sans savoir à quelle manœuvre recourir. Les barbares, qui se voient découverts, démasquent soudain leurs forces, et font pleuvoir à toute portée une multitude de traits de toute espèce. Les nôtres, hors d’état de résister, ne voient de salut que dans une prompte fuite. Chacun ne songe qu’à soi ; les rangs ne sont plus gardés, et des masses confuses et dispersées offrent, en tournant le dos, un but plus sûr aux coups de l’ennemi. Cependant, à la faveur de la nuit, un certain nombre échappa en prenant des chemins de traverse, et, retrouvant enfin le courage avec le jour, rejoignit individuellement ses étendards. Cette fatale échauffourée nous coûta dix tribuns, et des soldats en grand nombre. Les Allemands, enflés de leur succès, se montrèrent plus entreprenants. Chaque jour, profitant de la brume du matin, ils venaient, l’épée au poing, jusque sous nos retranchements, hurler les menaces les plus furibondes. Une sortie tentée par les scutaires, dut s’arrêter devant les masses de cavalerie que lui opposèrent les barbares. Les nôtres tinrent ferme toutefois, et, à grands cris, invitaient tout lé camp à seconder leur coup de main. Mais on était découragé par l’échec éprouvé la veille, et Arbétion voyait peu de sûreté à engager le reste de son monde. Tout à coup trois tribuns, d’un mouvement spontané, vont se joindre aux braves qui étaient dehors. C’étaient Arinthée, remplissant les fonctions de directeur de l’armature ; Seniauchus, commandant de la cavalerie des gardes, et Bappo, chef des vétérans, suivi du corps que l’empereur lui avait confié. Le danger de leurs camarades enflamme cette poignée de braves, comme si c’eût été leur propre danger ; ils se roidissent contre une force supérieure avec l’énergie de nos ancêtres ; et les voilà qui fondent sur l’ennemi avec l’impétuosité d’un torrent. Chez eux point d’ordre de bataille ; ils se battent en partisans, et forcent enfin les barbares à la fuite la plus honteuse. Ceux-ci n’observent plus de rangs, et se dérobent avec tant de hâte qu’ils oublient de se couvrir en fuyant, et livrent leurs corps désarmés aux coups de nos lances et de nos épées. Plusieurs furent tués avec leurs chevaux, et tenaient encore à terre au dos de leurs montures. Alors ceux des nôtres que l’hésitation avait retenus au camp, revenus enfin de leurs craintes, se répandent à leur tour au dehors, et se précipitent sur les masses confuses des barbares. Tout ce qui ne put échapper par la fuite fut écrasé ; on marchait sur les cadavres, on se baignait dans le sang. Cette boucherie ayant mis fin à la campagne, l’empereur revint en triomphe passer l’hiver à Milan.

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