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ОглавлениеJARDINS DE BABYLONE
CHAPITRE V
PARADIS DES PERSES–JARDINS SUSPENDUS DE BABYLONE –LES JARDINS CHEZ LES JUIFS
L’HISTOIRE authentique des Perses ne commence qu’à Cyrus, environ cinq cent cinquante ans avant Jésus-Christ. Tous les rois ses prédécesseurs, mentionnés dans les traditions persanes, sont des personnages fabuleux, dont chacun, s’il fallait en croire ces traditions, aurait vécu et régné pendant plusieurs siècles. Xénophon, qui écrivait quatre cents ans avant l’ère chrétienne, parle du goût des rois de Perse pour les jardins, qu’ils appelaient, dit-il, paradis, et dans lesquels on cultivait à la fois des plantes d’ornement et des végétaux à fruits comestibles. «Dans toutes ses résidences et dans toutes les parties de ses domaines qu’il visite, dit l’historien grec, le roi veille à ce que ses jardins soient pourvus de toutes les choses agréables et utiles que le sol peut produire.» Plutarque, de son côté, rapporte que Lysandre trouva Cyrus le Jeune dans son jardin ou paradis de Sardes, et que, le général spartiate en ayant loué la beauté, Cyrus déclara l’avoir planté lui-même. Cyrus avait à Célènes un autre paradis très-vaste, où l’on entretenait une foule de bêtes sauvages, et dans lequel il put passer en revue les forces grecques auxiliaires, qui s’élevaient à trente mille hommes.
CYRUS A CÉLÈNES
Le poëte anglais G. Mason donne la description d’un ancien paradis, qui était situé, disait-on, dans l’île de Panchæa, près de la côte d’Arabie, et qui était encore dans toute sa splendeur au temps des premiers successeurs d’Alexandre, c’est-à-dire trois cents ans environ avant Jésus-Christ. Ce paradis dépendait, selon Diodore, d’un temple de Jupiter Triphylus. On y voyait d’abondantes sources, qui se réunissaient en une large rivière coulant dans un lit de maçonnerie sur une longueur d’un mille, et qui servait ensuite à l’irrigation. Ce jardin offrait du reste les ornements accoutumés: bocages, arbres à fruits, gazons et fleurs.
Strabon parle d’un jardin situé sur la rivière Oronte, et qui, de son temps, avait neuf milles de circonférence. Ce même jardin, suivant Gibbon, était principalement planté de cyprès et de lauriers, dont le feuillage formait, au cœur de l’été, une ombre impénétrable aux plus ardents rayons du soleil. Des centaines de ruisseaux, de l’onde la plus pure, s’échappaient de toutes les collines et entretenaient incessamment la verdure du sol et la fraîcheur de l’air. L’oreille était charmée par des sons harmonieux, et l’odorat, par des parfums exquis. Ce délicieux séjour était consacré «à la Santé, au Plaisir et à l’Amour.»
Pline et quelques autres auteurs latins donnent d’ailleurs, sur la composition des jardins de moindre importance chez les Perses, des renseignements assez précis. Ils nous apprennent, par exemple, que le dessin en était régulier, que les arbres étaient plantés en rangées rectilignes, et que les allées étaient bordées de touffes de roses, de violettes et d’autres fleurs odoriférantes. Parmi les arbres, c’étaient les essences résineuses, le platane d’Orient, et, ce qui est digne de remarque, l’orme à feuilles étroites (appelé maintenant orme anglais, mais, d’après le docteur Walker, originaire de la Terre-Sainte), qui occupaient les places d’honneur. Des pavillons de repos, des fontaines, des volières peuplées d’oiseaux de choix, enfin des tours du haut desquelles on pouvait contempler l’ensemble du paysage: tels étaient les accessoires dont les Perses aimaient à orner leurs paradis.
JARDIN PERSE
Des jardins de la Perse à ceux de l’Assyrie et de la Babylonie la transition est naturelle, et la différence était sans doute peu sensible, si du moins on ne considère, de part et d’autre, que les jardins du second et du troisième ordre. Mais ceux que les rois assyriens firent établir à grands frais, moins sans doute pour leur agrément personnel ou pour l’ornement de leur capitale que pour léguer à la postérité un souvenir de leur richesse et de leur puissance, accusent le goût particulier de ces princes pour les constructions gigantesques. Il ne leur suffisait pas, en effet, que leurs plantations occupassent une immense étendue de pays: ils voulurent les élever au-dessus des plus hauts édifices, non en profitant des accidents du terrain, mais en renouvelant, pour ainsi dire, l’œuvre des géants, qui tentèrent d’escalader la demeure des dieux. Les jardins de Babylone, bien connus sous le nom de jardins suspendus, et rangés au nombre des sept merveilles du monde, étaient le spécimen le plus remarquable de ce genre d’architecture; mais il est probable qu’ils n’étaient pas le seul, bien que la plupart des historiens ne parlent que de celui-là.
On attribue communément à Ninus et à Sémiramis la construction de ces jardins, ainsi que des remparts, des temples et des autres monuments de Babylone. Cependant plusieurs historiens, entre autres Diodore de Sicile et Quinte-Curce, l’attribuent à un roi syrien postérieur à Sémiramis, et qui aurait accompli ce prodige afin de plaire à sa femme ou à sa concubine. Celle-ci était née en Perse, dans un district fertile et accidenté; elle y avait passé son enfance, et, ne pouvant s’accoutumer à l’aspect monotone de la campagne qui environnait Babylone, elle supplia le roi, dit la légende, de lui faire faire un jardin qui lui rappelât les collines de sa belle patrie. Le roi n’hésita pas à tenter, pour satisfaire aux désirs de celle qu’il aimait, une œuvre que beaucoup d’autres à sa place eussent sans doute jugée impossible.
Quoi qu’il en soit, on voit encore aux environs de Hellah, sur la rive gauche de l’Euphrate, les ruines des jardins suspendus, ou du moins de leurs fondations. «A mon avis, dit Niebuhr, on trouve des restes de la citadelle et du célèbre jardin suspendu à environ trois quarts d’un mille d’Allemagne au nord-nord-ouest de Hellah, et tout près du rivage oriental du fleuve; le tout ne consiste qu’en de grandes collines pleines de décombres. Les murailles qui se trouvaient au-dessus du sol ont été emportées il y a longtemps; mais les murailles du fondement s’y trouvent encore, et moi-même j’ai vu ici des gens occupés à tirer de ces pierres pour les transporter à Hellah. Au lieu que dans toute la contrée, depuis le golfe Persique jusqu’à Kerbeleh, on ne trouve presque pas d’autres arbres que des dattiers, on rencontre entre les collines de ces ruines, çà et là, des arbres fort vieux. On voit d’ailleurs, dans toute cette contrée, sur les deux rives de l’Euphrate, de petites collines pleines de morceaux de briques.»
JARDINS SUSPENDUS DE BABYLONE
Si l’on veut savoir en quoi consistaient ces fameux jardins, c’est aux deux historiens que j’ai nommés plus haut, à Diodore et à Quinte-Curce, qu’il faut en demander la description.
«Il y avait dans la citadelle, dit le premier, le jardin suspendu, ouvrage non pas de Sémiramis, mais d’un roi syrien postérieur à celle-ci... Ce jardin, de forme carrée, avait de chaque côté quatre plèthres. On y montait, par des degrés, sur des terrasses posées les unes au-dessus des autres, en sorte que le tout présentait l’aspect d’un amphithéâtre. Les terrasses ou plates-formes étaient soutenues par des colonnes qui, s’élevant graduellement de distance en distance, supportaient toutes le pied des plantations; la colonne la plus élevée, de cinquante coudées de haut, supportait le sommet du jardin et était de niveau avec la balustrade de l’enceinte. Les murs, solidement construits à grands frais, avaient vingt-deux pieds d’épaisseur, et chaque issue, dix pieds de largeur. Les plates-formes. des terrasses étaient composées de blocs de pierre, dont la longueur, y compris les saillies, était de seize pieds, sur quatre de largeur. Ces blocs étaient recouverts d’une couche de roseaux mêlés de beaucoup de bitume. Sur cette couche reposait une double rangée de briques cuites, cimentées avec du plâtre; celles-ci, à leur tour, étaient recouvertes de lames de plomb, afin d’empêcher l’eau de filtrer à travers les atterrissements artificiels et de pénétrer dans les fondations. Sur cette couverture était répandue une masse de terre suffisante pour recevoir les racines des plus grands arbres. Ce sol artificiel était planté d’arbres de toute espèce, capables de charmer la vue par leurs dimensions et leur beauté. Les colonnes, s’élevant graduellement, laissaient par leurs interstices passer la lumière, et donnaient accès aux appartements royaux, nombreux et diversement ornés. Une seule de ces colonnes était creuse depuis le sommet jusqu’à la base; elle contenait des machines hydrauliques qui faisaient monter du fleuve une grande quantité d’eau, sans que personne pût rien voir à l’extérieur.»
Il n’est pas sans intérêt de noter ici que, au dire de Strabon, les machines employées à faire monter de l’eau sur les terrasses étaient des hélices ou vis d’Archimède, que des hommes étaient sans cesse occupés à faire tourner.
Écoutons maintenant Quinte-Curce.
Selon lui, les jardins couronnaient la citadelle. «Ils égalent, dit cet auteur, le sommet des murailles, et sont parés d’arbres nombreux, élevés et touffus (multarum arborum umbra et proceritate amœni). Des piliers posés sur le roc soutiennent toute la charge. Sur ces piliers est une plate-forme pavée de pierres carrées, et susceptible de recevoir une épaisse couche de terre, et de l’eau pour l’arroser. Cette terrasse porte des arbres si vigoureux, que leurs troncs ont huit coudées de diamètre sur cinquante de hauteur, et qu’ils produisent autant de fruits que s’ils croissaient dans leur sol naturel. Et tandis que le temps use non–seulement les œuvres de l’homme, mais à la longue la nature même, cette terrasse, pressée par une si lourde charge et par les racines de tant d’arbres, se conserve intacte. Elle est soutenue, il est vrai, par vingt larges pilastres, distants de onze pieds l’un de l’autre; en sorte que de loin on dirait des forêts sur la crête de leurs montagnes.»
LE JARDIN DE SALOMON
On voit que ces deux descriptions, les plus complètes qui nous soient parvenues, diffèrent sur quelques détails de forme et de dimensions. Elles permettent cependant de se représenter les jardins suspendus, dont nous donnons ci-contre un dessin restitué d’après les renseignements qu’elles contiennent.
Si, poursuivant notre marche d’Orient en Occident, nous passons de la Babylonie à la Judée, nous ne trouverons ici nul vestige matériel des arts du peuple juif, et tout, dans l’histoire de ce peuple, tend à démontrer que le temps a eu peu de chose à faire pour en effacer les traces. Les Juifs étaient, en effet, fort étrangers à l’industrie et aux arts. Resserrés en très-grand nombre sur un petit territoire, et vivant presque exclusivement du produit de leurs champs, de leurs vignes et de leurs troupeaux, ils devaient chercher à utiliser les moindres parcelles de terrain et n’en rien distraire pour leur amusement. Adonnés à l’agriculture, ils n’en avaient point le superflu. Lorsqu’ils voulaient prendre le frais et respirer le grand air, c’était sur le toit de leurs maisons qu’ils se reposaient ou se promenaient. «Les Israélites vivaient simplement, dit l’abbé Fleury, et tout ce qu’il y avait de bonne terre était soigneusement cultivé, car il y avait peu de bois: ils n’avaient ni parcs pour la chasse, ni avenues, ni parterres. On voit, par le Cantique de Salomon, que les jardins étaient pleins d’arbres fruitiers ou de plantes aromatiques.» Ces jardins, assez rares d’ailleurs, étaient donc de véritables plantations, comme on dit aujourd’hui dans nos colonies; tout y était donné à l’utilité, rien à l’agrément, à l’ornementation. Il ne semble pas que le jardin du roi Salomon lui-même différât beaucoup, sous ce rapport, de ceux des simples citoyens. Il était de forme quadrangulaire et entouré de hautes murailles. On y voyait une grande variété de plantes, la plupart produisant des fruits bons à manger ou des substances aromatiques, quelques-unes seulement cultivées pour la beauté ou le parfum de leurs fleurs. Les arbres tels que le pin et le cèdre, le figuier, l’olivier, y formaient d’agréables ombrages. Quant au jardin des Oliviers, dont il est parlé dans le Nouveau-Testament, ce n’était qu’un petit bois, une sorte de promenade publique, sur une colline située près de Jérusalem; car il est dit dans l’Évangile selon saint Luc que Jésus avait coutume de s’y rendre avec ses disciples: Et egressus ibat secundum consuetudinem in montem Olivarum.