Читать книгу Les jardins : histoire et description - Arthur Mangin - Страница 19
ОглавлениеCHAPITRE III
LE CHATEAU ET LE JARDIN DE HESDIN –LA GALERIE AUX JOYEUSETÉS
IL y a dans notre histoire nationale une époque critique où se pose ce terrible problème: La France sera-t-elle décidément française, ou anglaise, ou bourguignonne? L’invasion anglaise n’était qu’une calamité accidentelle, ayant contre elle le sentiment public et la force des choses: elle ne pouvait s’enraciner; le sol lui-même se soulevait pour la rejeter. Mais bien plus redoutable pour la monarchie, sinon pour la nationalité française, était la puissance de cette autre monarchie vassale de nom, rivale de fait, maîtresse de vastes et riches provinces, disposant de forces considérables, et toujours prête à passer de l’obéissance fictive à la rébellion ouverte: je veux dire la puissance des ducs de Bourgogne. Au quatorzième et au quinzième siècle, la cour de Bourgogne disputait de faste et d’opulence avec la cour de France. Philippe le Bon, fils de Jean sans Peur et père de Charles le Téméraire, possédait à Hesdin, en Flandre, un château que l’on pouvait comparer à l’hôtel Saint-Paul, et auquel attenaient, dit-on, de magnifiques jardins. Nous ne savons rien des plantes dont ils étaient garnis; mais le bon duc, d’humeur folâtre, à ce qu’il paraît, y avait fait établir, entre autres fabriques d’un goût bizarre, une galerie splendidement décorée, qu’on nommait la galerie «aux joyeusetés.» Les murs, les parquets et les plafonds de cet édifice recélaient divers engins à surprises, dont la structure savante et compliquée montre que les arts mécaniques étaient déjà parvenus en ce temps à un haut degré de perfection. Ces machines étaient probablement une importation italienne.
La galerie aux joyeusetés, qu’on pourrait plus justement appeler la galerie aux mésaventures, semblait au premier abord n’être qu’un magnifique cabinet de curiosités. Elle était toute peinte de fin azur et d’or éclatant. La voûte «étoit semée de grans estoiles dorées;» des filets et des natelles de couleurs diverses se prolongeaient élégamment à l’entour des croisées. De beaux anges aux ailes d’or et d’argent semblaient descendre de la voûte pour convier les visiteurs à admirer toutes les merveilles réunies en ce lieu; et, en effet, sans compter plusieurs figures en relief dont nous parlerons tout à l’heure, les murs étaient couverts «d’ystoires, de grans images de painterie riches et gentes, et embas paints de tapisserie riche à veoir.» Mais malheur à qui ne se contentait pas de regarder ces belles choses. Un bibliophile, par exemple, s’avisait-il de vouloir feuilleter un livre artistement enluminé, qu’il voyait ouvert sur un estaplel (pupitre): aussitôt un nuage intense de noir de fumée, s’échappant d’imperceptibles tuyaux, venait l’aveugler. L’imprudent n’était pas plutôt remis de sa surprise, qu’il se voyait plongé dans un nuage de poussière blanche; si bien qu’après avoir été noirci comme un charbonnier, il était «embouleré de farine» comme un meunier. Cherchant à se soustraire à cette avalanche, il se trouvait en face d’une sorte de mannequin revêtu de la livrée du duc, et qui lui intimait l’ordre de s’en aller. Comment ce mannequin parlait-il?–La chronique ne le dit pas; évidemment il ne faisait qu’un geste impératif, tandis qu’un individu caché près de là parlait pour lui. On s’empressait d’obéir; mais soudain d’autres automates armés de bâtons assaillaient le fuyard, qui n’échappait à leurs coups que pour tomber dans un trou rempli d’eau. Les gens de cœur, qui voulaient tenir bon et soutenir l’assaut des estafiers mécaniques, n’esquivaient point le bain: ils n’allaient point à l’eau; l’eau venait à eux sous forme d’une pluie torrentielle. A l’immersion ou à la douche succédait une grêle de projectiles qu’il leur fallait essuyer.
Après de si rudes épreuves on rencontrait de nouveaux personnages à l’extérieur vénérable: c’étaient des ermites. L’un commandait aux éléments; sur un signe de sa main le tonnerre commençait à gronder, «et aussi on voyoit esclitrer (éclairer) comme si on le veoit au ciel.» L’orage, comme de juste, se terminait par une averse. Un autre ermite vous disait la bonne, ou plutôt la mauvaise aventure. Il vous annonçait que vous alliez être changé en oiseau; et, en effet vous tombiez aussitôt «du hault en bas en un sac, là où vous estiez emplumez.» L’ingénieux constructeur des appareils destinés à produire toutes ces joyeusetés avait nom Collard le Voleur; ce qui sans doute ne signifiait point qu’il fût un fripon, mais plutôt qu’outre son talent de mécanicien, il possédait encore à fond l’art de la fauconnerie.
Telles étaient, au milieu du quinzième siècle, les merveilles du château de Hesdin, qui, cent ans plus tard, fut rasé, ainsi que la vieille ville, par un lieutenant de Charles-Quint (1553). Sous le règne des ducs de Bourgogne, il s’était trouvé des géographes flamands pour soutenir que Hesdin était l’emplacement du Paradis terrestre, Dieuy selon eux, n’ayant pu choisir un séjour plus enchanteur pour ses créatures de prédilection. Ces géographes courtisans s’appuyaient sur l’analogie des mots Hesdin et Éden. Cette thèse saugrenue est de celles qu’on ne discute point.
Hesdin est le dernier mot du luxe chez les peuples occidentaux, au moyen âge.
La civilisation arrivait ainsi à la période caduque sans avoir atteint sa maturité, et cela, non par l’effet de la corruption du goût et des mœurs,–le goût n’était qu’obtus, les mœurs n’étaient que violentes,–mais simplement parce que l’élément sans lequel nulle civilisation ne peut progresser, la science, faisait défaut. J’entends ici par science la théorie logique de l’art aussi bien que la connaissance rationnelle des lois et des phénomènes de l’univers. Cette double lumière manquait particulièrement à l’art des jardins. Sous le rapport du dessin et de la composition, il ne pouvait rien emprunter aux grandes conceptions architecturales du style gothique, où se réduit, en fait d’art, toute la gloire du moyen âge. Au point de vue de la culture, de la multiplication, de la naturalisation et du perfectionnement des espèces végétales, il lui fallait attendre l’éclosion d’une science botanique qui ne devait se développer que vers le milieu du seizième siècle. De là vient que nous avons retrouvé cet art, sous le règne de Charles V et jusqu’à celui de Louis XII, en France, au même point où nous l’avions laissé sous les Mérovingiens. Et ce que nous avons vu en France, nous le verrions également dans le reste de l’Europe chrétienne, hormis peut-être en Italie et dans l’empire d’Orient, où, comme il a été dit plus haut, quelque chose des traditions de l’art grec et de l’art romain s’était maintenu; où les travaux intellectuels, étant restés en honneur, avaient conservé quelque activité; où la barbarie, enfin, n’avait pas entièrement arrêté l’essor de l’esprit humain.