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CHAPITRE IV
LES MORES D’ESPAGNE, LEURS PALAIS ET LEURS JARDINS L’ALHAMRA ET SES FONDATEURS: MOHAMMED-ABU-AL-HAMAR ET YUSUF-ABU-AL-HADJEDJ

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Table des matières

ON sait que L’Europe, au moyen âge, n’était pas tout entière chrétienne: la puissance envahissante des soldats de Mahomet, tenue en échec devant le Bosphore jusqu’en1453, avait pris pied, dès le huitième siècle, sur la péninsule ibérique, et y avait fondé, au milieu de luttes continuelles avec les premiers occupants, un empire glorieux et florissant. Les arts de la paix, les sciences physiques et mathématiques, la médecine, étaient cultivés chez les Mores d’Espagne avec un succès que les Occidentaux eussent envié s’ils en eussent mieux connu le prix, et dont ils ne laissèrent pas de recueillir, presque malgré eux, les bienfaits.

«Sans communication avec leur pays natal, dit Washington Irving, les Mores espagnols aimaient la terre qu’Allah, croyaient-ils, leur avait donnée, et ils s’efforcèrent de l’embellir en y réunissant tout ce qui peut contribuer au bonheur de l’homme. Donnant pour base à leur pouvoir un système de lois équitables et sages, livrés avec ardeur à l’étude des sciences, à la pratique des arts, de l’agriculture, de l’industrie et du commerce, ils rendirent graduellement leur empire tellement prospère, qu’on ne lui eût point trouvé de rival parmi tous les États de la chrétienté. En prenant soin de s’entourer du bien-être et du luxe qui distingua l’empire arabe du Levant à l’époque de sa plus grande civilisation, ils répandirent la lumière du savoir oriental dans les contrées de l’Europe alors enveloppées des ténèbres de l’ignorance.

«Les cités arabes de l’Espagne devinrent le rendez-vous de tous les chrétiens désireux de s’initier aux arts utiles. Les universités de Tolède, Cordoue, Séville, Grenade, étaient les foyers où des étrangers au teint pâle venaient étudier les sciences arabes et les trésors d’érudition accumulés par les anciens. Les amis du gai savoir apprenaient à Cordoue et à Grenade la poésie et la musique de l’Orient, et les guerriers bardés de fer des pays du Nord accouraient là pour se perfectionner dans les nobles exercices et dans les usages courtois de la chevalerie.»

Ce royaume était le foyer d’un luxe de bon aloi, s’inspirant du sentiment vrai de ce qui est beau, non moins que du besoin des jouissances sensuelles, séclairant des lumières d’une science avancée, et favorisé d’ailleurs par un délicieux climat. Le temps et les hommes ont laissé debout quelques-uns des monuments de cette civilisation à la fois religieuse, guerrière et voluptueuse, et ces monuments font encore l’admiration de nos contemporains. L’art moresque avait déployé dans la construction et la décoration des mosquées, des alcazars et même des remparts de Grenade, de Cordoue, de Séville, de Tolède, de Ségovie, toutes les ressources du dessin, de la sculpture, et de la peinture; il avait appliqué en outre à la préparation et à la mise en œuvre des matériaux de savants et ingénieux procédés. Il y avait employé non-seulement la pierre, le marbre, le porphyre, les métaux, mais encore la brique, le plâtre, lé ciment, le stuc, le verre, la poterie et les émaux. Passés maitres en architecture et en agriculture, les Mores devaient exceller aussi dans l’art des jardins. Ils savaient tirer habilement parti des eaux, peu abondantes, comme on sait, dans la Péninsule, les détourner et les distribuer avec une sage économie en les amenant de leurs sources par des canaux étanches, de façon à ce qu’elles arrivassent, sans avoir subi de perte notable, là où elles devaient rafraîchir l’air et fertiliser les cultures. Les cours intérieures des palais étaient déjà de véritables jardins ornés de bassins et de fontaines, et dont le pavage en mosaïque laissait place à des touffes de rosiers, de myrtes et de lauriers. Au dehors s’étendaient des jardins beaucoup plus vastes, où croissaient des sycomores, des orangers, des citronniers, des grenadiers, des palmiers, des aloès et une multitude d’autres plantes aux fleurs brillantes, aux suaves parfums, aux fruits savoureux.


VUE EXTÉRIEURE DE L’ALHAMRA.

Chaque grande ville avait son château ou alcazar (al-kasr, le château). Le type le plus complet, le plus grandiose, et aussi le mieux conservé, de palais moresque, est le célèbre Alhambra de Grenade. Alhambra, ou plutôt al-hamrâ, signifie la maison rouge. «Je crois même, dit M. Viardot, que le nom qui fut donné à cette résidence (Al-Kasr-al-Hamrâ) signifie moins le Château-Rouge, à cause de la couleur briquetée des tours et des murailles de son enceinte, que le château du Rouge, en mémoire de son fondateur.» Ce fondateur s’appelait, en effet, Mohammed-Abu-al-Hamar, c’est-à-dire Mohammed père d’al-Hamar ou du Rouge. Il régna de1238à1274, et ce fut, à ce qu’on croit, vers1270qu’il fit commencer la construction de l’Alhamrâ. Le nom de ce prince était en vénération parmi les musulmans d’Espagne, et les chrétiens eux-mêmes le citaient comme un modèle de sagesse, de bravoure et de générosité. Pourquoi ne rappellerions-nous pas ici les traits les plus saillants de son règne glorieux et bienfaisant?

Mohammed-Abu-al-Hamar s’était acquis, comme gouverneur de Jaen et d’Arjona, une grande popularité, lorsque après la mort d’Abu-Had, l’empire, déchiré par les nombreux compétiteurs qui se disputaient le pouvoir et attaqué de tous côtés par les chrétiens, commença à pencher vers sa ruine. Abu-al-Hamar, alors wali de Grenade, réunit sans peine autour de lui un parti nombreux, rallia les musulmans chassés de Murcie, de Valence, de Carthagène par Jean d’Aragon et Ferdinand de Castille, et des débris de l’empire arabe il forma le royaume de Grenade, dernier boulevard de l’islamisme en Espagne. Encore ne put-il conserver aux siens ce refuge qu’en faisant alliance avec Ferdinand, ou plutôt en se reconnaissant son vassal. Comme tel il dut prendre part, avec cinq cents cavaliers, au fameux siége de Séville. Il s’y distingua par sa vaillance, mais plus encore par l’humanité qu’il sut faire introduire dans les usages de la guerre. Lorsqu’en1248Séville se fut rendue au monarque castillan, Mohammed retourna plein de tristesse dans ses foyers. Prévoyant les malheurs qui menaçaient sa nation, il prononça ces paroles, qu’il répétait souvent dans ses heures de trouble et d’anxiété: «Combien notre vie serait douloureuse et misérable, si notre espérance n’était pas si vaste et si sublime!–Que angosta y miserable seria nuestra vida, si no fuera tan dilatada y espaciosa nuestra esperanza!» Comme il approchait de sa capitale, le peuple se rendit en masse au-devant de lui. On avait élevé des arcs de triomphe sur son passage en l’honneur de ses exploits guerriers. Mille voix le saluaient du nom d’El-Ghalib, «le Conquérant.» Mais lui, secouant mélancoliquement la tête: «Wa la ghalib ila Allah! s’écria-t-il: Il n’y a d’autre conquérant que Dieu!» Et cette exclamation devint sa devise et celle de ses descendants.

Mohammed avait acheté la paix en subissant le joug des chrétiens; mais il savait que même à ce prix, entre deux races aussi profondément divisées par les croyances et les intérêts, la paix ne pouvait être durable. C’est pourquoi, en vertu de la vieille maxime, «Arme-toi dans la paix et couvre-toi au printemps,» il mit à profit le répit qui lui était donné, pour fortifier son domaine et remplir ses arsenaux, pour favoriser les arts utiles et les études libérales, qui sont la vraie force des empires, et surtout pour faire régner parmi ses sujets la justice, la concorde et le bonheur. Il ne confia les dignités et les magistratures qu’à des hommes entourés de l’estime publique. Il organisa une police vigilante et institua des règles sévères pour l’administration de la justice. Les pauvres et les opprimés avaient toujours accès auprès de lui, et il pourvoyait personnellement au soulagement des uns, à la protection des autres. Il fit bâtir, pour les infirmes, les malades, les aveugles, les vieillards, des hôpitaux qu’il visitait fréquemment à l’improviste, s’enquérant lui-même des moindres détails. Il fonda aussi des écoles qu’il surveillait de la même façon. Il établit des boulangeries et des boucheries publiques, afin que le peuple pût toujours se procurer à des prix modérés des aliments de bonne qualité. Il fit construire des aqueducs qui amenaient l’eau en abondance dans les villes et la répandaient dans les campagnes. Il encouragea l’industrie en décernant des récompenses aux artisans les plus distingués; chose remarquable, l’amélioration des races d’animaux domestiques fut un des objets de ses préoccupations. L’agriculture atteignit sous son règne un degré de prospérité extraordinaire, la fécondité du sol fut doublée. L’industrie séricicole prit un essor tel, que ses produits dépassèrent en finesse et en beauté ceux de la Syrie. Des mines d’or et d’autres métaux furent mises en exploitation. Mohammed fut le premier roi de Grenade qui fit frapper à son nom de la monnaie d’or et d’argent, et il prit grand soin que les coins fussent d’une excellente exécution.

Ce fut, comme on l’a vu plus haut, vers l’année1270que Mohammed-Abu-al-Hamar fit commencer la construction du palais de l’Alhamrâ, dirigeant les travaux en personne, encourageant les ouvriers par sa présence et par ses bienveillants conseils. Il possédait déjà de magnifiques jardins peuplés de plantes rares et précieuses; il voulut que ceux de l’Alhamrâ fussent plus délicieux et plus riches encore; et il y passait la plus grande partie de son temps à converser avec des savants et des lettrés, à lire différents ouvrages et principalement des ouvrages historiques. Ce grand prince conserva jusqu’à une vieillesse avancée les facultés de son esprit et la vigueur de son corps. Il mourut presque subitement, dans sa soixante-dix-neuvième année, comme il entrait en campagne avec l’élite de ses guerriers pour repousser une invasion de son territoire. Il ne vit point s’achever la grande œuvre artistique de son règne.


ABU-AL-HAMAR DANS SON JARDIN

L’Alhamrâ ne fut terminé qu’en1348. Puisque nous avons raconté la vie de son fondateur, il est juste de donner aussi un souvenir à celui qui y mit la dernière main. Il n’est pas indifférent de remarquer que l’un et l’autre ne se rendirent pas moins illustres par leurs vertus que par leur goût éclairé pour les magnificences de l’art. Yusuf-Abu-al-Hadjedj fut, ainsi que son glorieux prédécesseur, un guerrier loyal et valeureux, un bon patriote, un prince plein de zèle pour le bonheur du peuple et pour le progrès de la civilisation. Il monta sur le trône de Grenade en1333. Sa haute taille, la mâle beauté de son visage, sa force physique, son maintien noble et digne, ses manières pleines de douceur et d’affabilité lui concilièrent en peu de temps le respect et la sympathie de la foule. A ces avantages extérieurs il joignait ceux, plus précieux, d’une excellente mémoire, d’une vaste intelligence et d’une vive imagination. Il était fort versé dans les lettres et dans les sciences; il passait pour le meilleur poëte de son royaume, et il en était assurément le meilleur architecte. Aussi, lorsqu’il sera question des édifices qu’il bâtit, faudra-t-il entendre cette expression à la lettre, et non dans un sens figuré, comme lorsqu’il s’agit des autres monarques, auxquels on attribue la construction de monuments dont ils n’ont fait tout au plus qu’approuver les plans. L’extrême bonté de son cœur se montrait en toutes choses et particulièrement au milieu des horreurs de la guerre. Il réprouvait énergiquement tout acte de rigueur inutile, et recommandait qu’on épargnât toujours les femmes, les enfants, les vieillards, les malades et les blessés, ainsi que les hommes voués à la vie paisible et aux pieuses pratiques du cloître. Bien que son courage égalât ses vertus, il ne fut pas heureux dans ses entreprises militaires. Ayant fait alliance avec le roi de Maroc contre ceux de Castille et de Portugal, il fut battu dans la mémorable bataille du Rio-Salado, qui mit le royaume de Grenade à deux doigts de sa perte. Il obtint cependant, après cette défaite, une longue trêve, pendant laquelle il ne s’occupa que de l’amélioration morale de son peuple. Il établit dans tous les villages des écoles avec un système uniforme d’instruction élémentaire. Tout hameau de plus de douze maisons dut avoir une mosquée, et les abus qui s’étaient introduits dans les cérémonies du culte et dans les réjouissances publiques furent sévèrement réprimés. La police des villes ne fut pas non plus négligée; Yusuf institua des gardes de nuit pour veiller à la sûreté des personnes et des propriétés. Il tourna ensuite son attention vers les grands travaux d’architecture; il compléta ceux qui avaient été commencés par ses prédécesseurs, et en fit exécuter de nouveaux d’après ses propres plans. On lui doit la belle porte de Justice qui forme la grande entrée de la forteresse de l’Alhamrâ. Il embellit aussi plusieurs salles et cours du palais, comme l’attestent diverses inscriptions où son nom est souvent répété. Ce fut lui qui fit bâtir l’alcazar de Malaga, maintenant en ruines, mais qui probablement ne le cédait pas à l’Alhamrâ pour le luxe des décorations intérieures.

Les nobles de Grenade, se conformant au goût du roi, élevèrent dans la ville une multitude de magnifiques palais dont les murs extérieurs disparaissaient sous la profusion des peintures, des dorures et des émaux, dont les appartements étaient enrichis de mosaïques et d’ouvrages en bois précieux, et qu’accompagnaient de petits jardins ornés de fontaines et de jets d’eau. Tels étaient le luxe de ces habitations et leur aspect éblouissant, qu’un historien arabe compare Grenade, sous le règne de Yusuf, à un vase d’argent rempli d’émeraudes et de jacinthes.


Cependant la trêve que Yusuf avait obtenue touchait à son terme. Après avoir tenté de vains efforts pour en obtenir la prolongation, il se décida, non sans une extrême répugnance, à reprendre les armes. Alonzo XI, de Castille, sans perdre un seul instant, avait mis le siége devant Gibraltar. Yusuf venait d’envoyer un corps d’armée au secours de cette place, lorsqu’il apprit que le monarque espagnol avait succombé aux atteintes de la peste. Au lieu de recevoir cette nouvelle avec joie, il ne se souvint que des hautes qualités de son implacable adversaire. «Hélas! s’écria-t-il, le monde a perdu un de ses plus excellents princes, un souverain qui savait honorer le mérite chez ses ennemis ainsi que chez ses amis!» Les chevaliers mores, partageant les nobles sentiments du roi, prirent le deuil. Ceux-là mêmes qui occupaient Gibraltar, si étroitement investi par les Castillans, suspendirent tout mouvement hostile. Lorsque le siége fut levé, ils sortirent sans armes et vinrent assister dans un muet recueillement au funèbre défilé. Le même hommage fut rendu à l’illustre défunt par tous les chefs arabes, qui laissèrent les troupes retourner paisiblement de Gibraltar à Séville avec le corps du roi chrétien.

Yusuf ne survécut pas longtemps à l’ennemi qu’il avait si généreusement pleuré. En1354, comme il était en prière dans la mosquée de l’Alhamrâ, un fou s’élança tout à coup sur lui et le frappa par derrière d’un coup de poignard. Les gardes et les courtisans accoururent aux cris du roi, qu’ils trouvèrent baigné dans son sang, et qui, transporté dans son appartement, expira après une courte agonie. Le meurtrier fut mis en pièces, et ses membres furent brûlés sur la place publique pour satisfaire la fureur du peuple.


Les jardins : histoire et description

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