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CHAPITRE V
JARDINS DE L’ALHAMRA: LE GÉNÉRALIFE; LES COURS INTÉRIEURES –L’ALCAZAR DE SÉVILLE– PALAIS ET JARDINS DE LA GALIANA; LÉGENDE DE LA GALIANA ET DE KARL LE GRAND

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Table des matières

L’ALHAMRA de Grenade est considéré par les Espagnols comme la huitième merveille du monde. M. Théophile Gautier remarque spirituellement, à ce propos, que chaque pays a, comme l’Espagne sa «huitième merveille;» en sorte qu’on pourrait bien compter une trentaine de «huitièmes merveilles du monde.» Quoi qu’il en soit, il n’est personne qui, ayant visité le palais des rois mores, n’en revienne enthousiasmé. Aussi a-t-il été souvent décrit con amore, et assurément beaucoup mieux qu’il ne pourrait l’être par un Parisien qui ne l’a jamais vu. Il n’entre point, d’ailleurs, dans mon dessein de m’arrêter aux détails de l’architecture, et ce n’est pas du palais lui-même, mais de ses jardins, que nous avons à nous occuper. Nous ne pouvons toutefois nous dispenser de jeter un coup d’œil sur l’ensemble vraiment magique, au dire des voyageurs, que forment le premier et les seconds. On peut s’en rapporter sur ce point au goût exercé de M. Louis Viardot, dont les impressions sont celles d’un véritable artiste.

«L’Alhamrâ embrasse de ses fortifications, de ses jardins et de ses édifices, dit cet auteur, tout le plateau de la plus haute des trois collines appelées Sierra del Sol, au pied desquelles Grenade est étendue. L’un des sommets parallèles est occupé par le Généralife (al-djénéah-al-areff), le jardin agréable, autre palais avec d’autres tours et d’autres jardins, espèce de maison de plaisance des rois mores, qui n’était séparée de leur Alhamrâ que par un vaste et profond ravin, plein de verdure, d’ombre et de fraîcheur. En arrivant au haut de la rue de Los Gomeles, à la porte des Grenades, qui s’ouvre dans la première enceinte, le voyageur est averti par une inscription gravée sur la pierre qu’à cette porte commence la juridiction de la real fortaleza de la Alhamrâ... La porte franchie, on croit arriver aux jardins suspendus de Babylone: sur ce sommet, à cette hauteur, où l’on ne trouve, en Espagne, que des crêtes pelées, rocailleuses et stériles, apparaît tout à coup une végétation magnifique et si robuste, que les fleurs sont des arbrisseaux, et les broussailles des hautes futaies. Il y a, par exemple, des allées de lauriers roses et de lauriers blancs (adelfas), mêlant quelquefois les fleurs des deux nuances sur la même tige, où l’on peut se promener à l’ombre comme sous une haute charmille. Cette merveille des richesses végétales de la plaine, transportée sur la montagne, est due à une autre merveille: des eaux vives, limpides, abondantes, jaillissent et courent de toutes parts. A chaque croisière se dresse une fontaine, à chaque allée coulent des ruisseaux murmurants où, trempant leurs pieds pressés, les arbres entretiennent l’éternelle fraîcheur de leurs cimes touffues. Il ne faut pas croire que ces eaux montent péniblement dans des tuyaux de fonte le long de la colline, poussées par l’effort artificiel de quelque machine de Marly. Leur cours est naturel, et pour arroser les hauts jardins de l’Alhamrâ, elles tombent d’un réservoir encore plus haut placé, des sommets toujours blancs de la Sierra Nevada. C’est enfin de la neige fondue, et les eaux d’irrigation s’alimentent comme les fleuves qu’enfantent les glaciers des Alpes: plus la chaleur est forte et le soleil ardent, plus alors l’eau coule abondante, plus la terre est trempée et l’air rafraîchi... Les détours de longues allées tournantes conduisent, par une douce montée, à la seconde enceinte, au véritable alcazar, dont les jardins sont comme l’élégante avenue.»

Un autre écrivain, qui sait se servir de sa plume comme un paysagiste habile se sert de son pinceau, M. Théophile Gautier, décrit ainsi le Généralife.


«On y va par une espèce de chemin creux qui croise le ravin de los Molinos, qui est tout bordé de figuiers aux énormes feuilles luisantes, de chênes verts, de pistachiers, de lauriers, de cistes d’une incroyable puissance de végétation. Le sol sur lequel on marche se compose d’une espèce de sable jaune, tout pénétré d’eau, et d’une fécondité extraordinaire. Rien n’est plus ravissant à suivre que ce chemin, qui a l’air d’être tracé à travers une forêt vierge de l’Amérique, tant il est obstrué de feuillages et de fleurs, tant on y respire un vertigineux parfum de plantes aromatiques. La vigne jaillit par les fentes des murs lézardés, et suspend à toutes les branches ses vrilles fantasques et ses pampres découpés comme un ornement arabe; l’aloès ouvre son éventail de lames azurées; l’oranger contourne son bois noueux et s’accroche de ses doigts de racines aux déchirures des escarpements. Tout fleurit, tout s’épanouit dans un désordre touffu et plein de charmants hasards. Une branche de jasmin qui s’égare mêle une étoile blanche aux fleurs écarlates du grenadier; un laurier, d’un bord du chemin à l’autre, va embrasser un cactus malgré ses épines. La nature, abandonnée à elle-même, semble se piquer de coquetterie et vouloir montrer combien l’art, même le plus exquis et le plus savant, reste toujours loin d’elle.

«Au bout d’un quart d’heure de marche, on arrive au Généralife, qui n’est, en quelque sorte, que la Casa de Campo, le pavillon champêtre de l’Alhamrâ... Le véritable charme du Généralife, ce sont ses jardins et ses eaux. Un canal revêtu de marbre occupe toute la longueur de l’enclos, et roule ses flots abondants et limpides sous une suite d’arcades de feuillage formées par des ifs contournés et taillés bizarrement. Des orangers, des cyprès sont plantés sur chaque bord... La perspective est terminée par une galerie-portique à jets d’eau, à colonnes de marbre, comme le patio des Myrtes de l’Alhamrâ; le canal fait un coude, et vous pénétrez dans d’autres enceintes ornées de pièces d’eau, et dont les murs conservent des traces de fresques du seizième siècle, représentant des architectures rustiques et des points de vue. Au milieu d’un de ces bassins s’épanouit, comme une immense corbeille, un gigantesque laurier-rose d’un éclat et d’une beauté incomparables. Au moment où je le vis, c’était comme une explosion de fleurs, comme le bouquet d’un feu d’artifice végétal, une fraîcheur splendide et vigoureuse, presque bruyante, si ce mot peut s’appliquer à des couleurs, à faire paraître blafard le teint de la rose la plus vermeille.

«Les eaux arrivent aux jardins par une espèce de rampe fort rapide, côtoyée de petits murs en manière de garde-fous, supportant des canaux de grandes tuiles creuses par où les ruisseaux se précipitent à ciel ouvert avec un gazouillement le plus gai et le plus vivant du monde. A chaque palier, des jets abondants partent du milieu de petits bassins et poussent leur aigrette de cristal jusque dans l’épais feuillage du bois de lauriers, dont les branches se croisent au-dessus d’eux. La montagne ruisselle de toutes parts; à chaque pas jaillit une source, et toujours on entend murmurer à côté de soi quelque onde détournée de son cours, qui va alimenter une fontaine ou porter la fraîcheur au pied d’un arbre. Les Arabes ont poussé au plus haut degré la science de l’irrigation; leurs travaux hydrauliques attestent une civilisation des plus avancées; ils subsistent encore aujourd’hui, et c’est à eux que Grenade doit d’être le paradis de l’Espagne et de jouir d’un printemps éternel sous une température africaine.»


ALLÉE DU GÉNÉRALIFE.

L’Espagne est peut-être le seul pays du monde où l’on puisse encore contempler, au dix-neuvième siècle, des jardins créés au treizième, et tels, à peu de chose près, qu’ils étaient au lendemain de leur achèvement. Ces jardins appartiennent au style oriental, tel que nous l’avons vu adopté par les Perses. Le belvédère n’y est pas oublié: celui du Généralife domine un vaste et magnifique point de vue. Du haut de sa plate-forme on embrasse, comme à vol d’oiseau, tout l’ensemble des édifices, des jardins et des cours de l’Alhamrâ. Ce terrain maintenant inculte et jonché de décombres, c’était autrefois le jardin particulier de la sultane Lindaraja; il était de plain-pied avec la salle de bain, qui est restée presque intacte avec sa fontaine et ses bassins de marbre blanc et son revêtement de mosaïque et de terre vernissée. Un peu plus loin est la fameuse cour des Lions, ensanglantée par l’horrible drame qui a inspiré à Chateaubriand un de ses plus touchants récits. On sait que, suivant une tradition populaire qui ne laisse pas de trouver des incrédules parmi les érudits, trente-six Abencérages y périrent victimes d’un odieux guet-apens. Leurs têtes tombèrent dans le bassin même de la fontaine, où l’on montre encore de larges plaques rougeâtres, stigmates sanglants, indélébiles, s’il faut en croire les amateurs de merveilleux; simples taches de rouille, selon les esprits forts. Quant aux douze figures qui soutiennent ce bassin, et qu’on veut bien appeler des lions, elles n’ont pas, en réalité, plus de ressemblance avec le roi des animaux qu’avec tout autre quadrupède connu, et l’on serait fort embarrassé de leur donner un nom zoologique, si une inscription en vers arabes, gravée sur les parois de la vasque, n’affirmait «qu’il ne leur manque que la vie pour être parfaits.» La même inscription qualifie également de jardin cette cour, où il n’y a pas aujourd’hui trace de végétation; ce qui donne lieu de croire que les fleurs y étaient cultivées, au temps des rois mores, dans des caisses ou dans des vases.

Au centre même du palais se trouve une autre cour, la plus vaste de toutes, et celle qui mériterait le mieux d’être qualifiée de jardin; on la nomme le patio de la Alberca (du réservoir), ou plus communément de los Arrayanes (des myrtes), parce que sur les longs côtés de son bassin en forme de parallélogramme, croissent deux larges plates-bandes d’arbrisseaux de la famille des myrtes, touffus, pressés et taillés comme des buis. On se trouve, en entrant, sous une des légères galeries qui ornent les deux extrémités de cette cour, et qui mirent dans la pièce d’eau leurs blanches colonnes et leurs arcs délicats, entre les sombres rideaux des myrtes toujours verts.


PATIO DE LA ALBERCA

Après l’Alhamrâ de Grenade, le château moresque le plus beau et le mieux conservé est l’alcazar de Séville, construit et décoré dans le même style que le précédent, mais sur un plan moins vaste. Les jardins de cet alcazar n’ont ni la situation merveilleuse, ni la profusion d’eaux vives qu’on admire au Généralife; mais on y retrouve ce charme inappréciable qui résulte moins de l’élégance du dessin et du luxe des ornements accessoires que de la richesse d’une végétation plantureuse et toujours vivace, de la pureté du ciel et de la douceur du climat.

On voit encore dans la Vega, près de Tolède, les ruines d’un ancien palais moresque, appelé le palais de la Galiana. Cette Galiana était, selon une vieille légende, la fille chérie du roi Galafre, qui lui avait fait bâtir cette résidence «avec des jardins délicieux, des kiosques, des bains, des fontaines et des eaux qui s’élevaient et s’abaissaient selon le décours de la lune, soit par magie, soit par un de ces artifices hydrauliques si familiers aux Arabes.» Adorée de son père, qui s’appliquait à prévenir tous ses souhaits, la belle Galiana eût vécu heureuse et tranquille dans ce charmant séjour, si elle n’eût été tourmentée par les obsessions d’une sorte de géant more nommé Bradamant, guerrier redouté, mais cavalier peu aimable, qui ne lui inspirait d’autre sentiment que la terreur et l’aversion, et dont les visites quotidiennes étaient pour elle un véritable supplice. Or, en ce temps, arriva à Tolède Karl le Grand, fils de Pépin, qui venait prêter secours à Galafre contre le khalife Abderrhaman. Les charmes de Galiana firent une vive impression sur le cœur du héros frank, et la belle More, de son côté, ressentit pour lui une sympathie qu’elle ne, put dissimuler. Elle donna à entendre à Karl que les poursuites de Bradamant n’étaient point de son goût, et qu’on lui rendrait service en les faisant cesser. Karl provoqua aussitôt son rival, le tua et lui coupa la tête, qu’il apporta galamment aux pieds de Galiana. Il paraît que les chevaliers d’alors faisaient de ces sanglantes offrandes à la dame de leurs pensées, sans que celle-ci en fût choquée. Le fait est que les tendres sentiments de Galiana pour son libérateur ne firent qu’augmenter, au point qu’elle promit d’embrasser le christianisme et de devenir sa femme. Galafre n’avait rien à refuser à sa fille. Il consentit donc sans peine à cette abjuration, qui lui assurait d’ailleurs l’alliance d’un si grand prince. Le mariage eut lieu, en effet, avec la solennité que l’on peut imaginer; et Pépin étant mort sur ces entrefaites, Karl, son fils, retourna en France pour y prendre possession de ce trône qu’il devait environner de tant d’éclat, et sur lequel il fit asseoir avec lui la belle Galiana.


Les jardins : histoire et description

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