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CHAPITRE II
LES JARDINS DE PARIS AU MOYEN AGE
ОглавлениеN’OUBLIONS pas que nous sommes au temps «où la reine Berthe filait,» et qu’en ce temps tous les jardins sont dessinés d’après le même modèle et garnis à peu près des mêmes plantes, soit qu’ils dépendent de châteaux royaux ou seigneuriaux, soit qu’ils appartiennent à des communautés religieuses ou à des bourgeois. Leur simplicité toute rustique rappelle singulièrement les jardins primitifs de l’antiquité. Les jardins d’Alcinoüs et du bonhomme Laërte n’auraient rien à envier à ceux du roi Childebert, qui ont eu l’honneur insigne d’être célébrés en vers latins par Fortunat, évêque de Poitiers, dans le poëme intitulé: De Horto Ultrogothœ reginœ (Du jardin de la reine Ultrogothe).
Ultrogothe (un bien vilain nom pour une si grande princesse!) était la femme de Childebert, premier roi de Paris, qui régnait, si je ne me trompe, à la fin du sixième siècle. Tous deux habitaient, dans leur capitale, un palais qu’environnaient de vastes terrains cultivés avec le plus grand soin, sous la direction et même par les royales mains du couple auguste. Ce palais n’était autre, selon toute probabilité, que celui des Thermes, auquel on donne pour fondateur l’empereur Julien, surnommé l’Apostat.
«Childebert et Ultrogothe, dit Sauval dans ses Antiquités de Paris, avoient un beau jardin, où même il croissoit du grain. Surtout il y avoit des roses qui sentoient si bon, que Fortunat les compare aux roses du Paradis. De plus il étoit peint de toutes sortes de fleurs; on s’y promenoit à l’ombre sous des berceaux couverts de treilles chargées de verjus. Des pommiers entés de la main de Childebert, qui n’avoit pas moins de passion pour l’agriculture que Cyrus, étoient encore une des admirations de Fortunat...
«La plupart des auteurs qui ont écrit de Paris prétendent que ce jardin tenoit au palais où se tient le Parlement. Du Peirat, qui n’est point de cet avis, veut qu’il étoit au Pré-aux-Clercs; mais enfin les plus judicieux assurent qu’il étoit dans l’Université, près les ruines du palais des Thermes, bâti par les Romains.»
Fortunat ne met point en doute que ce dernier édifice ne fût la demeure même de Childebert et d’Ultrogothe; l’étendue et la beauté des jardins étaient dignes, selon lui, de la splendeur du palais. Du côté du levant et du midi, ils s’avançaient jusqu’aux derniers bâtiments; du côté du nord, ils bordaient la Seine; enfin leur limite occidentale se trouvait sur l’emplacement de l’abbaye Saint-Germain-des-Prés, et le roi devait les traverser pour se rendre à l’église qui déjà existait en cet endroit:
Hinc iter ejus erat, cum limina sacra petebat.
Quoi qu’il en soit, ces jardins se sont conservés longtemps sous diverses dénominations. Un aqueduc romain y amenait l’eau d’Arcueil. Au temps de Sauval, c’est-à-dire à la fin du dix-septième siècle, on voyait encore, sur la terrasse qui couronnait les murailles épaisses du palais, un petit jardin que l’historien de Paris ne craint pas de comparer à ceux de Babylone. «Il est, dit-il, aussi haut que le comble des maisons du voisinage, et consiste en un parterre garni de roses, de fleurs, de compartiments de buis, et soutenu de voûtes de briques d’une longueur et d’une largeur extraordinaires.»
Paris fut un peu négligé par les Carlovingiens (ou Karolings, pour parler comme Augustin Thierry), qui étaient plus Germains que Français, et ne devint définitivement la capitale de la France que sous les Capétiens. Charlemagne, le héros de la dynastie franke, avait, dit-on, à Ingelheim, sur le Rhin, un merveilleux château, dans le style romain, orné de colonnes de marbre et entouré de jardins.
Le restaurateur de l’empire d’Occident s’intéressait fort à l’agriculture et à l’horticulture, et son célèbre capitulaire de Villis et Curtis est un des documents les plus anciens et les plus explicites qui nous soient restés touchant l’art du jardinage aux premiers siècles de la monarchie féodale. On y trouve l’énumération de toutes les plantes que le puissant empereur faisait entretenir dans son parc, et dont il recommandait la culture à ses sujets. Ce sont principalement des arbres fruitiers et des herbes comestibles et médicinales, à côté desquelles figurent un certain nombre de plantes ornementales; mais les unes et les autres sont indigènes, ou depuis longtemps naturalisées en Europe. Cette nomenclature est en latin, et plusieurs des noms qu’elle renferme sont autant d’énigmes que les érudits et les botanistes modernes ont vainement tenté d’expliquer.
CHILDEBERT ENTANT SES POMMIERS
Revenons à Paris, et, sans nous arrêter davantage aux jardins de Childebert et d’Ultrogothe, franchissons d’un bond huit à neuf siècles; durant lesquels l’horticulture ne s’est pas sensiblement modifiée, mais que la capitale du royaume a mis à profit pour s’agrandir et pour s’embellir. Il faut dire qu’en ce temps-là les embellissements de Paris ne ressemblaient point à ce qui s’exécute sous nos yeux: les rues étaient étroites, mal pavées, et point du tout éclairées la nuit; les maisons étaient fort disparates, et en général très-laides; les monuments, hormis les églises, où se déployaient tout le talent des architectes et toute la générosité des princes et des fidèles, étaient rares et peu somptueux. La Seine coulait à sa guise entre ses berges naturelles; et si trois ou quatre ponts reliaient ses îles aux deux rives, on ne pouvait, aux endroits les plus larges, traverser le fleuve qu’en bateau. Mais la grand’ville,–assez peu grande encore pour se trouver à l’aise dans son étroite enceinte,–se parait de verdure et de fleurs. Elle n’avait aucune des promenades géométriquement alignées, aucun des grands jardins dont elle est justement fière aujourd’hui; mais on y voyait à chaque pas des prés, des clos et des courtilles, et la multiplicité des tonnelles en feuillage suppléait à la rareté des beaux édifices en pierre de taille. Qui voudra croire aujourd’hui que Paris, il y a cinq cents ans, était un pays vignoble; que là où s’élèvent aujourd’hui des quartiers populeux ou aristocratiques, des maisons à six étages, des hôtels avec écurie et remise, on faisait la vendange, on mettait le raisin en cuve et en presse? Rien n’est plus vrai pourtant: le clos de l’Université,–un des plus grands et des plus riches de tout Paris,–ceux de Saint-Étienne-des-Grès, Mauvoisin, l’Évêque, Bruneau, et les coultures Saint-Éloi, Sainte-Catherine, Saint-Gervais, Saint-Martin, du Temple, de Montmartre, des Filles-Dieu, etc., étaient autant de vignes, qui donnaient du vin très-potable.
Les prés, préaux et courtils étaient nombreux aussi. Le pré le plus célèbre était le Pré-aux-Clercs, situé sur la rive gauche de la Seine, vers l’extrémité occidentale de Paris, en face du Louvre, et qui confinait aux bâtiments et dépendances de l’abbaye Saint-Germain-des-Prés.
Le Pré-aux-Clercs appartenait, par droit de conquête, aux clercs de la Basoche, aux étudiants, aux désœuvrés, à tout ce qu’on appellerait maintenant la Bohême, qui y venaient jouer à la paume, aux boules et à d’autres jeux, vider leurs querelles et s’enivrer dans les cabarets établis par des industriels intelligents. C’était le gymnase, l’académie, l’arène et la guinguette de cette jeunesse turbulente et débauchée, dont les relations de voisinage avec lés religieux de l’abbaye n’étaient rien moins qu’amicales. Ceux-ci protestaient contre l’usurpation du pré dont ils se disaient les légitimes propriétaires, tandis que les basochiens, bien loin de tenir compte de ces réclamations, tendaient sans cesse à empiéter sur le domaine abbatial. Plusieurs fois on en vint aux mains, le sang coula; l’université, le parlement, le roi lui-même, intervinrent, et ce fut, chose étrange, pour donner gain de cause aux clercs et à leurs adhérents. Sous les derniers Valois, sous Henri IV et jusque sous Louis XIII, le Pré-aux-Clercs fut très-fréquenté par la noblesse d’épée, par les muguets et les raffinés, qui y trouvaient deux choses précieuses: un cabaret en renom pour y fêter Bacchus et l’Amour, et un champ clos pour s’y couper la gorge. Le Pré-aux-Clercs fut envahi peu à peu par des constructions, sous lesquelles il finit par disparaître entièrement.
LE PRÉ-AUX-CLERCS.
Les gens paisibles qui voulaient se distraire de leurs occupations, s’asseoir au frais sous les arbres et vider une bouteille en famille ou avec leurs amis, à l’ombre d’une tonnelle, n’avaient pas besoin de sortir de la ville. Ils n’avaient que le choix des courtilles: «Jardins champêtres, dit Sauval, où les bourgeois aussi bien que les Templiers et les religieux alloient se promener et prendre l’air.»–«Et tout de même, ajoute cet auteur, du vin de la Courtille, raillerie ou proverbe du temps passé, nous apprenons qu’en plantant des vignes dans les courtilles, on songeoit plus à contenter la vue que le goût.» Les courtilles les plus en vogue au treizième siècle étaient celles du Temple et de Saint-Martin, la courtille Barbette et la courtille au Bourcelais. «Il ne s’en falloit guère que le Temple, la courtille Barbette et la courtille du Temple ne se touchassent; car, en1248, Marie, veuve de Rolland de Saint-Cloud, vendit dix-neuf sols parisis le cens que lui devoit un arpent de pré assis entre cette courtille et le Temple. L’année d’après, à la prière des Templiers et moyennant quarante livres parisis, les chanoines de Sainte-Opportune amortirent deux arpents et demi de marais qu’il y avoit entre cette courtille et celle du Temple. Comme le bout du faubourg du Temple s’appelle encore la Courtille, il se pourroit faire que ce seroit la courtille du Temple véritablement; mais si cela est, les choses ont bien changé depuis; car il est certain qu’autrefois c’étoit un lieu plein de jardins et de courtilles, et habité par des courtilliers ou jardiniers.» N’oublions pas que Sauval écrivait à la fin du dix-septième siècle. Malgré les changements dont il parle, les souvenirs de la courtille du Temple se sont perpétués jusqu’à nous, grâce à une guinguette qui était naguère encore le théâtre des orgies du mardi gras. C’est de là qu’on voyait sortir à l’aube du mercredi des cendres, et rentrer dans Paris, une foule bigarrée, avinée, hurlante; et une autre foule, celle des badauds, se levait avant le jour, ou ne se couchait pas, pour assister à ce spectacle traditionnel, plus hideux que burlesque, qu’on nommait la descente de la Courtille.
En ce qui concerne le dessin et l’arrangement des jardins de Paris aux treizième, quatorzième et quinzième siècles, Sauval nous apprend que «chaque jardin étoit environné de haies couvertes de treilles enlacées et couchées en manière de lozange, qui sont les tonnelles; et ces tonnelles tenoient par les deux bouts à des pavillons faits de même qu’elles; et non-seulement à chaque coin des jardins et des préaux il y avoit des pavillons, mais encore au milieu, et même d’autres tonnelles qui les traversoient et les divisoient en compartiments.»
Souvent le pavillon du milieu était remplacé par un bassin de pierre ou de marbre, avec une fontaine «qui jetoit de l’eau par la gueule d’un lion ou de quelque autre bête farouche.» Enfin on se donnait parfois la fantaisie d’établir un labyrinthe, tel, par exemple, que la maison de Dedalus des jardins de l’hôtel Saint-Paul, situé «en la grant rue Saint-Antoine.»
C’est ici le lieu de parler de cet hôtel et de ces jardins, qui furent en leur temps là merveille de Paris; au point que Charles V, qui les fit faire, compromit un instant aux yeux de ses sujets, par cette prodigalité inouïe, la réputation de prud’homie à laquelle il dut son surnom de Sage. Je passe sur les magnificences du palais, dont Charles V voulut faire un lieu de délices, et qu’il appelait l’Hostel solennel des grands esbattements.
Les dépendances et les jardins couvraient plus de vingt arpents (environ dix hectares), surface considérable pour l’époque, dans une ville fermée de remparts. Parmi les dépendances, la plus curieuse, celle qui accusait un luxe vraiment royal, c’était la ménagerie, où l’on gardait non-seulement des animaux domestiques, mais des bêtes sauvages, des lions, des oiseaux exotiques, entre autres un papegaut (perroquet): rara avis! Il y avait une grande cage, une volière, tout exprès pour le papegaut du roi. Le dessin des jardins et la perfection de leur culture, confiée à Philippot Persant, qui recevait un salaire annuel de soixante écus, faisaient l’admiration dès contemporains. Sauval en énumère toutes les richesses, en s’étonnant «de se voir obligé de rapporter des histoires d’une simplicité si rude.»–«Car il est presque incroyable, s’écrie-t-il, que dans un même royaume on ait pu dire que si peu de chose ait fait l’enrichissement et la magnificence des palais de nos rois, et que maintenant cela ne se trouve pas même dans les jardins bourgeois et dans les chaumières.»
JARDINS DE L’HOTEL SAINT-PAUL.
Les ornements de ces jardins consistaient, comme on l’a vu plus haut, en treilles, en pavillons alternativement carrés et circulaires, reliés par des tonnelles et garnis de siéges de gazon «rehaussés sur des marchepieds de même. Les treilles qui les environnoient finissoient en créneaux ou en fleurs de lis; les créneaux aboutissoient en tabernacle, à peu près comme un clocher couronné d’une grosse pomme, et d’où sortoit une girouette peinte aux armes de France.» Une des treilles de Saint-Paul était célèbre, et a laissé son nom à la rue Beautreillis, de même que la rue de la Cerisaye rappelle la plantation de cerisiers faite par Charles V. Ce prince avait d’ailleurs fait semer tous ses jardins «de semences de violiers, de courges, de choux, de romarin, de marjolaine, de sauge, de girofliers (giroflées), de fraisiers, de lavande, même de pourpier, de laitue et de poirée, et autres herbes et légumes.» Charles VI, le fou, renchérit, on devait s’y attendre, sur le luxe dont Charles V, le Sage, lui avait donné l’exemple. Il fit planter, dans le jardin du Champ-au-Plâtre, «trois cents gerbes de rosiers blancs et rouges, trois quarterons de bourdelais, trois cent soixante-quinze gouais de morêts, trois cents oignons de lys, trois cents de flambes, cent quinze entes de poiriers, cent pommiers communs, douze pommiers de paradis, un millier de cerisiers, cent cinquante pruniers, et huit lauriers verts, achetés sur le Pont-au-Change.»
On conçoit que la splendeur de tels jardins devait éclipser celle de tous les autres. L’hôtel Saint-Paul était le Versailles de Charles V, de Charles VI et de Louis XII. Louis XI préférait la Bastille, Vincennes et Plessis-lez-Tours, ces châteaux-cachots où il entendait à travers les murs les gémissements de ses prisonniers: musique bien douce aux oreilles d’un tyran! Quand les princes anglais furent maîtres de Paris, ils élirent domicile au palais des Tournelles, dont le duc de Bedford fit, en1431, labourer les jardins à la charrue, pour planter des poiriers et des pommiers, des merisiers, des guigniers, des cognassiers, des néfliers, des figuiers, plus une infinité de rosiers blancs et de romarins.–«Outre cela, dit Sauval, il fit ouvrir mille soixante-neuf toises de tranchées de deux pieds de large sur autant de profondeur, dans lesquelles il planta cinq mille neuf cent treize ormes, qu’on amena par eau au port de l’École, avec la racine, et qui coûtoient quatre livres parisis le cent.»
Je n’ai rien dit encore du Louvre et des Tuileries. Mais les Tuileries (je parle du palais et des jardins) n’existaient pas encore au quinzième siècle. Leur emplacement était occupé par une grande fabrique de tuiles et de briques, établie pendant près de trois cents ans, qui leur a légué son nom, et qui fournit la majeure partie des matériaux avec lesquels furent bâtis le Louvre, l’hôtel Saint-Paul, le palais des Tournelles et plusieurs autres maisons royales. Quant au Louvre, c’était un vrai château fort, aux fenêtres étroites et grillées, aux tourelles massives, entouré de fossés que remplissait l’eau de la Seine. Dans l’enceinte que renfermaient ces fossés, il y avait bien quelque chose qu’on décorait du nom de jardins; mais ce n’étaient en réalité que des cours plantées, de forme carrée, dont la plus grande n’avait pas plus de six toises de côté. Charles V fit pourtant là aussi de grandes dépenses: il consacra cinquante mille livres à embellir ce palais, à l’agrandir, ou plutôt à l’exhausser: ce qui ne dut pas contribuer à en rendre les petits jardins plus gais. Mais le sage et subtil monarque ne venait pas là pour se réjouir et s’esbattre: il s’y enfermait dans sa librairie (bibliothèque) avec des érudits et des hommes d’État. Le Louvre était sa maison de travail; l’hôtel Saint-Paul, sa maison de plaisance.