Читать книгу L'Aiglonne - Arthur Bernede - Страница 12

X : Le rideau cramoisi

Оглавление

Quelques instants après, Fouché était introduit dans le cabinet de l’Empereur.

Pour la parfaite compréhension des événements qui vont suivre, revenons seize ans en arrière, c’est-à-dire au moment où l’homme au collet noir, après avoir en vain cherché à enlever la marquise de Navailles, s’était vu précipiter par la poigne du sieur Maugeard dans les escaliers de l’hôtel de Metz.

Le matin même, Fouché avait repris la diligence pour Nantes ; mais il ne devait pas séjourner bien longtemps dans cette ville.

Le 21 septembre 1792, élu par la Loire-Inférieure membre de la Convention nationale, il revenait en hâte à Paris siéger parmi les plus exaltés, tout au sommet des bancs de la Montagne, votant avec empressement la mort de Louis XVI, et s’associant à toutes les mesures de rigueur prises contre les prêtres et les aristocrates.

Après plusieurs missions dans l’Aube et dans la Nièvre, où il avait été chargé de poursuivre l’anéantissement de tous les emblèmes religieux qui se trouvaient sur les routes, les places et dans les lieux publics, il était envoyé à Lyon en compagnie de Collot d’Herbois, le terrible et célèbre membre du comité de Salut public.

Chargé de réprimer l’insurrection royaliste qui envahissait cette ville, il y fit preuve d’une cruauté implacable, ne cessant d’activer les opérations de la mémorable commission militaire qui fit couler tant de sang, présidant en personne aux mitraillades et aux massacres en masse Rentré à Paris, il triomphe avec les Jacobins, dont il est nommé le président, et prend nettement parti contre Robespierre qui, devinant l’ennemi qu’il a en lui, le fait exclure du fameux club de la rue Saint-honoré.

Fouché, dont l’esprit cauteleux trouve en ces temps troublés l’occasion de s’exercer dans toute sa plénitude, se venge en participant étroitement aux événements du 9 thermidor qui devaient aboutir à la chute et à l’exécution de Robespierre et de ses amis.

Mêlé déjà à de ténébreuses et multiples affaires, il est alors, sur la proposition de Boissy d’Anglas, décrété d’arrestation, puis remis en liberté trois mois après.

Tout en s’effaçant dans une prudente obscurité, il réussit à capter la confiance de Barras, le nouveau maître de l’heure, qui, après lui avoir confié les ambassades de Milan et de Hollande, l’appelle au ministère de la Police, le 2 thermidor de l’An VII.

C’est dans ce poste important et si bien en rapport avec son caractère et ses aptitudes, qu’à son retour d’Egypte, Bonaparte, qui ne l’avait pas revu depuis leur première rencontre sur la terrasse du bord de l’eau, le jour du sac des Tuileries, allait le retrouver dans l’exercice de fonctions auxquelles il semblait de tout temps destiné…

Après s’être fait reconnaître par le jeune et brillant vainqueur des Pyramides, Fouché se mit à louvoyer habilement autour de lui, le documentant sur les divers partis politiques, lui révélant un certain nombre de secrets.

Bref, il l’aidait puissamment, au 18 brumaire, à s’emparer du pouvoir…

En raison de ces services, Bonaparte, malgré l’antipathie qu’il lui inspirait, n’hésita pas à le maintenir à la tête de cet important ministère, où, grâce aux relations qu’il avait su se ménager dans tous les camps et à son habileté à embrouiller les rouages d’une administration déjà si compliquée, il sut se rendre indispensable.

On s’en rendit bien compte lorsque, au lendemain de l’attentat de la Machine infernale, qu’il n’avait pas su prévoir et auquel le Premier Consul n’avait échappé que par miracle, il dut, en présence de la colère de son maître et de la suspicion générale, donner, bien malgré lui, sa démission.

De nouveau, il se terra dans l’ombre, sachant très bien que son heure ne tarderait pas à sonner de nouveau.

IL ne se trompait pas.

En effet, s’apercevant qu’il ne pouvait se passer de lui sans risquer de compromettre encore davantage sa sécurité personnelle, Bonaparte le rappela promptement dans ses fonctions.

A partir de ce moment, Fouché fut maître absolu dans son domaine ; et, à l’époque où se déroule cette histoire, jamais il n’avait été plus redouté ni mieux écouté…

Mais le madré compère avait le triomphe modeste, surtout quand il se trouvait en face de son maître…

Et, ce soir-là, comme toujours, c’était l’échine souple et la bouche entrouverte en un obséquieux sourire, qu’il s’était présenté devant Sa Majesté.

L’Empereur attaqua aussitôt :

— Monsieur le ministre, j’ai un renseignement à vous demander… Je voudrais savoir si vous connaissez un général du nom de Malet.

— Parfaitement, Sire, répliqua Fouché…

— N’avez-vous pas entendu dire qu’il conspirait contre moi ?

— Non, Sire, affirma le maître fourbe, avec les apparences de la plus parfaite sincérité. Le général Malet est un cerveau brûlé ; mais je le crois incapable de mener à bien une entreprise qui demanderait de la prudence et de l’habileté. D’ailleurs, s’il eût été dangereux, votre valet de chambre, ce bon Marchand, qui doit bien le connaître et semble fort l’estimer, n’eût jamais osé l’introduire auprès de Votre Majesté.

Ah çà ! s’exclama l’Empereur, comment savez-vous que c’est Marchand qui m’a présenté cet homme ?

Imperturbablement, Fouché ripostait :

— Chargé, Sire, de veiller sur une existence sacrée entre toutes, mon premier devoir n’est-il pas d’avoir les yeux toujours grands ouverts sur tout ce qui peut, de près ou de loin, intéresser sa sécurité ?

Et, fixant tout à coup son regard sur un rideau de damas rouge qui recouvrait presque entièrement une porte-fenêtre donnant sur une terrasse et que, depuis un instant, le vent semblait discrètement agiter, le ministre de la police continua, sur ce ton onctueux qu’affectent parfois certains hommes d’Eglise :

— Voilà pourquoi, connaissant le dévouement sans bornes que Marchand professe à l’égard de l’Empereur, j’ai cru pouvoir affirmer à Votre Majesté que…

— Assez ! interrompit l’Empereur avec agacement. Je ne vous ai pas mandé pour vous entendre me faire le panégyrique de mon valet de chambre… Je connais ses qualités… et je suis convaincu qu’en me demandant une audience pour le général Malet il n’a cédé qu’à une impulsion de son excellent cœur, et qu’il n’a pas un seul instant réfléchi aux graves conséquences qui pouvaient en résulter.

A ces mots, le rideau cramoisi cessa de s’agiter…

Napoléon, de plus en plus nerveux, poursuivait :

— Encore un coup, monsieur le ministre, il s’agit non pas de Marchand, mais de Malet. Or, je viens d’avoir avec ce dernier une entrevue qui m’a prouvé qu’il était prêt à toutes les rébellions, mûr pour toutes les folies. Contrairement à votre avis, je persiste à le considérer comme un homme dangereux qu’il va falloir surveiller étroitement et au besoin emprisonner…

— Votre Majesté, objectait Fouché, de plus en plus doucereux, ne craint-elle pas qu’une arrestation prématurée ne provoque quelque trouble dans les esprits aujourd’hui pacifiés ?

— Ah çà ! que voulez-vous dire ?

— Sire, mieux que personne, je suis à même de constater combien, à l’heure présente, les partis d’opposition sont désarmés !

— Eh bien ?

— En frappant aussi sévèrement un soldat, et un très brave soldat, contre lequel on n’a à relever que des propos incohérents et sans portée…

— Taisez-vous ! interrompit l’Empereur en frappant du pied.

Et, tout en saisissant nerveusement sa tabatière :

— Si je vous demandais de coffrer un royaliste, gronda Napoléon, vous seriez trop heureux d’aller vous-même lui mettre la main au collet.

— Sire !

— Mais arrêter un républicain ! Rien qu’à cette pensée, votre sang de vieux jacobin bouillonne dans vos veines…

— L’Empereur sait bien pourtant qu’il n’y a rien en moi qui ne soit à lui.

— Je n’ignore pas non plus que vous êtes de ceux qui ont envoyé Louis XVI à l’échafaud.

— Oui, Sire, et c’est le premier service que j’ai eu l’honneur de rendre à Votre Majesté.

Napoléon se mordit les lèvres et, ouvrant sa tabatière, il en prit une large prise qu’il répandit en partie sur son gilet.

— En attendant, reprit-il rudement, j’entends être obéi.

— Votre Majesté le sera, affirma Fouché… et par moi mieux que par tout autre. Car nul plus que votre ministre de la police n’a le souci de votre gloire et de votre tranquillité.

— C’est bien… congédia le maître. Surtout, tenez-moi au courant de tous les agissements de ce Malet.

— Votre Majesté sera renseignée aussi fidèlement que moi-même.

— J’y compte ! Allez !

Tandis que Fouché se retirait et que l’Empereur, le sourcil froncé et les mains derrière le dos, recommençait sa promenade à travers son cabinet, Grippe-Sols qui, dissimulé derrière le rideau cramoisi, n’avait pas perdu un seul mot de la conversation précédente, murmura, en essuyant des gouttes de sueur qui perlaient à ses tempes :

« Cette fois, j’en suis sûr ! l’homme au collet noir… c’est lui ! »

L'Aiglonne

Подняться наверх