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XII : La miniature de Mme Vigée-Lebrun

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L’Empereur, qui connaissait son Fouché sur le bout du doigt, n’avait été nullement dupe des belles promesses du cauteleux personnage.

Autant pour lui donner une leçon que pour s’assurer que ses ordres seraient exécutés, le lendemain, dès la première. heure, il avait mandé le comte Dubois, préfet de police de Paris, et il lui avait déclaré, au retour de sa promenade quotidienne aux alentours du parc de Saint-Cloud :

— J’ai appris, de source certaine, que le général Malet intriguait contre moi. Je vous charge personnellement de sa surveillance. Au moindre acte suspect de sa part, j’entends qu’il soit arrêté.

Comme, à ces mots, le visage du comte Dubois exprimait un certain étonnement, Napoléon s’était écrié :

— Ah çà ! monsieur le préfet, est-ce que par hasard la besogne dont je vous charge ne serait point de votre goût ?

Dubois, type du courtisan-fonctionnaire, s’empressa de répliquer, en s’inclinant profondément devant son maître :

— Votre Majesté ne doit point ignorer que sa volonté est pour moi chose sacrée entre toutes.

— Alors… pourquoi cette tête effarée… ces yeux inquiets ?…

— Sire… j’avais cru jusqu’alors que la police politique était l’apanage exclusif de M. le comte Fouché.

— Fichez-moi la paix avec Fouché. Et faites ce que je vous commande. Le reste est mon affaire.

Tournant les talons, l’Empereur, accompagné de Duroc, grand maréchal du palais, et du général Savary, commandant la gendarmerie impériale, regagna le château sans prononcer une parole.

Sur le seuil du grand vestibule, il congédia d’un geste bref les deux officiers et pénétra en coup de vent dans son cabinet, où Grippe-Sols était en train de mettre de l’ordre dans les papiers étalés sur la table de travail.

Napoléon, qui paraissait de très mauvaise humeur, lui fit signe de se retirer

Demeuré seul, il s’assit devant sa table et se plongea dans ses réflexions.

Sans doute n’étaient-elles guère agréables ; car, par instants, une lueur de colère flambait dans son regard, ses lèvres pincées se desserraient pour laisser échapper des paroles amères :

— Et l’on me dit… on me croit le maître du monde… Quelle ironie !… Le maître ! Mais je ne le suis même pas dans mon palais… chez moi ! De toutes parts, je suis entouré d’intrigues. Sous les apparences du dévouement, je devine l’ingratitude et l’envie, précisément chez ceux qui me doivent le plus. Et je ne peux même pas venir à bout d’un Malet… Eh bien !… non… cela ne peut pas continuer ainsi… Désormais, je ne ménagerai plus personne !… personne !…

Brusquement, sa main s’en fut vers un tiroir de son bureau, dont il fit manœuvrer le mécanisme secret.

Sans doute cherchait-il des documents importants qu’il ne trouvait pas… car il s’impatientait de plus en plus, tout en prodiguant des exclamations furieuses… lorsqu’en fourrageant jusqu’au fond du tiroir, il rencontra un objet qu’il ramena aussitôt avec joie.

C’était un médaillon en or, muni d’une petite chaînette de même métal.

— Ah ! par exemple ! fit-il, tandis que son visage tourmenté se détendait en une expression de mélancolie.

Lentement, il ouvrit le médaillon. IL renfermait une exquise miniature de femme.

C’était le portrait que, jadis, lui avait donné la belle Toinon…

Comment se trouvait-il là… au fond de ce meuble, enterré sous des liasses ?

L’Empereur eût été lui-même bien embarrassé de le dire…

Emporté dans le tourbillon des événements formidables dont il avait été le protagoniste, comment aurait-il pu garder le souvenir de son aventure romanesque de l’hôtel de Metz, de ce premier Chapitre de sa vie, insignifiant prologue à l’épopée sublime qui allait le rendre supérieur à tous les rois, et presque l’égal d’un dieu ?

Envahi par le tumulte d’un génie sans limites, son cerveau ne pouvait conserver de place à un si puéril souvenir.

Quant à son cœur, dont les premiers battements d’amour avaient été si promptement étouffés par les ardeurs d’une ambition dévorante, il ne devait se retrouver humain qu’en présence de la troublante créole qu’était Joséphine de Beauharnais, dont il avait fait sa femme d’abord, puis une impératrice, et qui devait être l’unique passion sincère de sa vie.

Et voilà que, tout à coup, l’image de la passante s’offrait à lui de la façon la plus étrange, la plus inattendue.

Le portrait, délaissé comme une relique qui aurait perdu tout son pouvoir de grâce, se retrouvait entre ses mains, avec tout l’éclat de sa jeunesse radieuse, tout le charme captivant de sa fière beauté !

Napoléon, tout en fixant l’image qui ressuscitait en lui ce pauvre petit épisode d’amour, se sentit attendri… et, pour la première fois, l’oublieux se demanda :

« Pauvre Toinon… qu’as-tu bien pu devenir ?… »

Puis, cherchant à se rassurer, il ajouta aussitôt :

« Sans doute, grâce à la lettre que je lui avais remise, a-t-elle réussi à rejoindre sa famille à Londres ou à Coblentz ? Maintenant, il est bien tard pour ordonner des recherches ! Pauvre Toinon ! »

Repris par ce passé qui, jusqu’à cette heure, était resté inerte en lui comme un cadavre en son cercueil, il se laissait aller maintenant à ce retour en arrière de sa vie…

Tandis qu’il évoquait ces lointains souvenirs, une tenture s’était levée, révélant la gracieuse silhouette d’une femme brune, aux yeux superbes, et dont la robe en mousseline blanche, sur laquelle tranchait l’incarnat d’une rose splendide attachée au corsage, laissait apparaître deux bras d’une beauté irréprochablement classique.

L’impératrice Joséphine, qui avait conservé la démarche ondulante et gracieuse de sa première jeunesse, s’avança vers l’Empereur qui n’avait pas remarqué sa présence.

Celui-ci, l’apercevant dans une glace, eut le geste instinctif de replacer le portrait dans le tiroir.

Mais Joséphine l’avait deviné.

— Mon cher Sire, fit-elle, moitié inquiète, moitié souriante — car de jour en jour elle devenait plus jalouse —, mon cher Sire, que regardez-vous donc ainsi ?

Tout en cachant la miniature dans le creux de sa main, Napoléon plaisanta :

— Que vous êtes curieuse !…

— C’est un portrait de femme, n’est-ce pas ?

L’Empereur, qui aimait parfois à se montrer taquin, eut un signe affirmatif qui n’était pas exempt d’une mystérieuse ironie.

— Je voudrais le voir… insistait Joséphine.

— Eh bien ! voyez… céda aussitôt Napoléon en lui tendant le médaillon entrouvert.

L’Impératrice s’en empara… et, tout en regardant la miniature d’un air déjà hostile, elle fit d’un air de dépit :

— Elle est belle !

— N’en soyez pas jalouse ! déclara l’Empereur…

— Vraiment !

— Je l’ai connue, jadis, quand j’étais lieutenant d’artillerie. Elle a passé vite dans ma vie. Puis, elle a disparu et je n’ai plus entendu parler d’elle.

L’Empereur se tut. Joséphine le savait par expérience, ce silence était gros de menaces.

Joséphine crut utile de prévenir la tempête ; et d’une voix hésitante où il y avait vraiment de la douleur, elle osa :

— Sire, je le sens bien… vous ne m’aimez plus !… L’Empereur tressaillit. Et, faisant face à Joséphine, il eut un sourire dans lequel il y avait presque autant d’amertume que de tendresse.

— Pourquoi me dites-vous cela ? fit-il avec un réel accent de bonté.

Finement l’impératrice répliquait :

— Sans doute… Sire… la vue de ce portrait vous a-t-elle inspiré un parallèle entre cette femme et moi ?… Et je crois bien que la comparaison n’a pas tourné à mon avantage.

Napoléon eut un bref haussement d’épaules…

— Allons calme-toi… fit-il en s’emparant familièrement de la main qui n’osait pas se tendre vers lui…

Et, tout en y appuyant ses lèvres, il ajouta d’un ton étrange :

— Sache bien que je t’aimerai toujours, quoi qu’il arrive.

— Quoi qu’il arrive ! répéta Joséphine mordue au cœur par une indicible angoisse.

Alors, reprenant son accent d’autorité, Napoléon la congédia :

— Maintenant, laisse-moi. J’ai à travailler. Joséphine, la mort dans l’âme, se dirigea vers une porte-fenêtre qui donnait sur la terrasse.

Sur le seuil, elle se retourna.

L’Empereur avait repris la miniature et la contemplait fixement, comme s’il ne pouvait en détacher ses yeux.

Joséphine étouffa un profond soupir.

Un sanglot lui déchira la poitrine.

« Pourquoi, se demandait-elle… oui, pourquoi a-t-il dit : quoi qu’il arrive ?»

Et deux grosses larmes sillonnèrent les joues de l’impératrice.

L'Aiglonne

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