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XIII : Les archives secrètes de la police
ОглавлениеFouché n’avait pas appris sans un vif dépit que 1’Empereur l’avait dessaisi de l’affaire Malet, au profit du préfet de police Dubois.
Depuis quelque temps, il s’apercevait bien que l’Empereur lui témoignait une froideur toute prête à se transformer en hostilité déclarée.
Mais il ne s’en inquiétait pas outre mesure.
Dans sa conviction qu’il s’était rendu indispensable à son maître, il n’avait jamais envisagé la possibilité d’une disgrâce.
Aussi avait-il été vivement surpris de voir Napoléon, à la suite d’une entrevue où il croyait l’avoir une fois de plus gagné à ses desseins, prendre contre lui une mesure qui était plus qu’un blâme, c’est-à-dire une marque de défiance.
Assis devant sa table de travail, dans le vaste et somptueux bureau qu’il occupait à l’hôtel de la police, situé alors quai Malaquais, la bouche marquée d’un pli amer, le regard animé de méchanceté sournoise, il relisait l’arrêté impérial rédigé en ces termes, aussi brefs que significatifs :
Ordre à Son Excellence le comte Fouché, ministre de la Police générale, de transmettre à M. le préfet de police, comte Dubois, tous ses pouvoirs en vue de la surveillance du général Malet.
NAPOLÉON.
Déposant le document devant lui, Fouché se leva… et, se dirigeant vers une porte à deux battants, il l’entrebâilla et lança à l’huissier qui faisait les cent pas dans l’antichambre :
— Allez me chercher M. Desmarets…
Puis, retournant vers la table, il s’assit lentement dans son fauteuil, s’empara à nouveau de l’arrêté de l’Empereur et le froissa avec colère.
Peu de temps après, la porte s’ouvrait, livrant passage au sieur Desmarets, secrétaire particulier, ou plutôt homme à tout faire de M. le ministre de la Police.
Desmarets, dont l’influence était considérable et les pouvoirs immenses, tant il avait bien su capter la confiance de son maître, avait été surnommé par Fouché l’Homme noir.
Nul mieux que lui ne méritait ce surnom. En effet, tout était noir en sa personne : ses vêtements, ses cheveux, ses sourcils, ses yeux, ses favoris, sa peau… et… surtout… son âme.
Comment ces deux hommes qui, au point de vue moral, avaient tant de points de contact, s’étaient-ils rencontrés ?
Nul n’eût pu le dire ! … Un fait certain, c’est que rien n’avait jamais troublé la redoutable harmonie qui existait entre eux et que l’Homme noir avait toujours répondu en dévouement, en obéissance et en habileté à la confiance sans limite que lui témoignait son maître.
Maintenant, d’une déférence d’où était exclue toute obséquiosité, Desmarets s’avançait vers Fouché qui, sans mot dire, lui tendait l’ordre fatal.
Impassible, Desmarets le lut avec attention et, toujours impénétrable, le rendit au ministre, qui reprit :
— Eh bien ! que pensez-vous de cela ?
— C’est grave…
— Très grave en effet… Mais ne nous alarmons pas… Je sentais déjà depuis longtemps l’orage approcher… Mieux vaut qu’il ait éclaté… Car je sais à présent à quoi m’en tenir, et je vais prendre mes mesures en conséquence.
Et, avec un ricanement ironique, Fouché martela :
— L’on dirait vraiment que l’Empereur ne me connaît guère. Ah ! Sa Majesté se figure que je vais me laisser mettre en pénitence comme un écolier pris en faute ! Ma parole, c’est à mourir de rire… Et il choisit Dubois, ce plat valet, pour me donner une leçon de police ! Pauvre Dubois ! tu ne te doutes pas des bons tours que je te ménage… Mon cher Desmarets, pour commencer, vous allez prendre immédiatement Malet en filature ; vous me tiendrez au courant de ses moindres faits et gestes, et si vous apprenez qu’il est sous le coup d’une arrestation… Vous m’avez saisi ?…
Les deux interlocuteurs échangèrent un coup d’œil qui prouvait combien Fouché savait se faire comprendre à demi-mot.
Desmarets se retira, pénétré de l’importance de sa mission. Fouché le regarda s’éloigner d’un air satisfait. Il était sûr que sa volonté serait exécutée intégralement et jusqu’en ses plus mystérieux desseins.
Alors… tout en se frottant les mains, il grommela avec un sourire qui semblait vouloir exprimer que non seulement il acceptait la lutte, mais qu’il ne doutait pas un seul instant de la victoire :
« Et maintenant, allons faire un tour aux Archives secrètes !… »
Plaçant sous son bras un portefeuille en maroquin rouge, il s’en fut vers une petite porte pratiquée dans la boiserie, l’ouvrit sans bruit, traversa une petit antichambre obscure et pénétra dans une bibliothèque rectangulaire, uniquement meublée d’une table et d’une chaise ; les quatre côtés en étaient garnis de panneaux en bois verni, qui partaient du plancher et montaient jusqu’au plafond.
Fouché appuya sur un ressort dissimulé dans la moulure angulaire de l’un des panneaux. Celui-ci s’ouvrit, découvrant une sorte d’armoire, dont les étagères supportaient des piles de dossiers méticuleusement étiquetés.
Fouché en choisit un qui portait, collée sur sa couverture en parchemin, une étiquette sur laquelle on lisait : PRISON DE LA CONCIERGERIE NOTES SECRÈTES DE FOUQUIER-TINVILLE ACCUSATEUR PUBLIC (27. G), ANNÉE 1793.
Fouché déposa le dossier sur la petite table… et en retira une liasse de notes au papier jauni et à l’encre passée, qu’il se mit à compulser avec le plus grand soin.
Bientôt, son choix s’arrêtait sur l’une d’elles qui, d’une écriture fine, serrée, mais parfaitement lisible, était ainsi rédigée :
Aujourd’hui, 2 messidor de l’An I, je me suis rendu à la prison de la Conciergerie, afin de signifier à la citoyenne Navailles, ci-devant dame d’honneur de la veuve Capet, condamnée à mort pour complot contre la sûreté de l’Etat, que l’heure d’expier ses crimes avait sonné pour elle, et dans le but de lui déclarer que l’enfant du sexe féminin qu’elle avait mis au monde dans sa prison allait être immédiatement dirigé sur l’hôpital des Enfants assistés.
La citoyenne Navailles se refusant à se dessaisir de sa fille, l’adjudant Claude-François Malet s’est offert à l’adopter.
Sur notre avis favorable, elle l’a remis entre les mains de l’adjudant Malet, après lui avoir fait jurer que cette enfant ne porterait pas d’autre nom que le sien. FOUQUIER-TINVILLE.
Fouché, dont le sourire s’était accentué au fur et à mesure de sa lecture, retourna le feuillet qu’il tenait à la main.
Le verso portait le post-scriptum suivant, toujours de la main de Fouquier-Tinville :
Rappelons pour mémoire que la citoyenne Navailles avait été arrêtée à l’hôtel de Metz, où, sous le sobriquet de la belle Toinon, elle passait pour être, et était sans nul doute, la maîtresse d’un lieutenant d’artillerie nommé Napoléon Bonaparte. Grâce à l’intervention du citoyen Joseph Fouché, correspondant à Nantes du club des Cordeliers, qui s’est porté garant de son civisme, le lieutenant Bonaparte a pu reprendre son commandement en Corse, sans être inquiété.
Le ministre de la Police, qui semblait ravi de sa trouvaille, murmura :
« Voilà un secret que me paierait cher Sa Majesté… »
Et, d’un air mystérieux, il ajouta :
« Mais elle ne le tient pas encore ! Cette pauvre marquise de Navailles ne se doutait pas, en remettant sa fille au brave Malet, de l’arme qu’elle me fournirait un jour… Car si jamais l’Empereur apprenait !… Mais gardons-nous bien de précipiter les événements… et conservons précieusement ce document décisif comme un paratonnerre, en cas de trop gros orage. Ah ! l’on veut m’humilier… On veut me pousser à quelque incartade, afin de pouvoir se débarrasser de moi !… Oh ! oh !… ce n’est pas encore fait… Je suis tranquille… Tous mes ennemis, y. compris l’Empereur lui-même, ne vont plus être à présent entre mes mains que des pantins dont je tiens et saurai tirer à mon gré les ficelles !… »
Pliant en quatre la note de Fouquier-Tinville, qui n’allait point manquer d’être en ses mains un instrument dont il saurait faire un important usage, Fouché remit en place la paroi de muraille qui, sous l’action du mécanisme secret, s’était écartée devant lui, et réintégra son cabinet, un sourire plein d’astuce sur les lèvres.