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LES EMBUSQUÉS

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JE LÈVE UN RÉGIMENT

18 octobre 1914.

Que dis-je? Une brigade ou même une division. Il suffit qu’on me laisse faire et qu’on me donne des pouvoirs.

Oh! je ne rédigerais pas de circulaires. L’expérience a démontré l’inefficacité de ce mode de recrutement. J’établirais, à 4 heures du soir, sur les boulevards, un barrage à hauteur de la Madeleine, un autre à la rue Drouot. Les promeneurs défileraient un par un. Et je serais, d’après les constatations que chacun peut faire, bien malheureux si cette opération ne me procurait pas une double cueillette: un bon quarteron d’Austro-Allemands qu’on n’aurait pas besoin de gratter bien fort pour faire apparaître l’espion, et un millier de jeunes hommes qui devraient aussitôt expliquer à un conseil de revision comment ils. concilient leur démarche fringante sous le vêtement civil et leur présence sur l’asphalte parisien.

Je ne m’en tiendrais pas là. Je franchirais le seuil respecté de nos grandes et petites administrations et j’y poursuivrais le même examen, avec la même satisfaction de voir à chacune de mes visites s’augmenter mon effectif. Je n’aurais même ni la superstition du brassard ni le culte de l’uniforme. Quand je verrais installé soit au volant d’une automobile, soit dans la tiède atmosphère d’un bureau, un pseudo-soldat avec ou sans galon, je lui démontrerais, au besoin malgré lui, que la boue des tranchées convient mieux à l’uniforme que la poussière des Champs-Élysées; que le feu d’une cheminée est moins utile et moins glorieux que celui des mitrailleuses et que les galons sont déplaisants à voir quand leur éclat n’a pas été un peu terni par la fumée de la bataille.

Le voyez-vous grossir, mon régiment des embusqués?

Je ne m’en tiens pas encore là.

A la tête de mes hommes, solidement encadrés, je quitte Paris et je vais faire un tour dans nos départements. Je visite les préfectures, sous-préfectures, conseils de préfectures, et plus je m’éloigne de la zone des armées et plus ample devient ma moisson. Ne me laissez pas aller jusqu’à Bordeaux. Ce serait trop beau. Je serais encombré ; j’aurais un corps d’armée.

Ne rions pas: l’heure n’y est pas propice et je vous affirme que je n’en ai pas envie. La question des embusqués est d’une gravité poignante.

Nous avons d’incomparables soldats, qui joignent aux qualités qu’on leur savait des vertus dont notre tempérament permettait de douter: ils ont au courage ajouté la patience et la ténacité.

Mais causez, dans une ambulance parisienne, avec un blessé qui, guéri, est sur le point de retourner au front. Sa vaillance et sa foi sont intactes: il se battra comme il s’est battu. Mais on lui a permis, au moment de sa convalescence, quelques promenades dans Paris. Il a vu ce que nous voyons tous. Il trouve que ce n’est pas juste. A l’heure du départ il pensera: «C’est toujours les mêmes qui se font tuer.» De grâce, faisons en sorte qu’il n’arrive pas à le dire tout haut.

Je sais bien: il y a une objection. Il faut des fonctionnaires, des sous-préfets, des chefs et sous-chefs de bureaux, des secrétaires, des commis, des expéditionnaires et des plantons. Réponse facile. Les vieux sont prêts. Prenez-les.

Tenez! je reviens du palais de Justice. J’ai vu le conseil de guerre. Il a, il faut qu’il ait, greffier, commis greffiers et huissier d’audience. Au plus humble de ces postes je pose ma candidature si je dois ainsi rendre un soldat et un fusil à nos armées.

Mais il en est temps. Débusquons.

(Le Gaulois.)

De l'arrière à l'avant : chronique de la guerre

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