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LES DÉCORATIONS

Table des matières

AMENDEMENT

7 décembre 1914.

Un bel article de M. Maurice Barrès a donné un nouvel élan à la question des distinctions décernées pour faits de guerre en 1914. Ce m’est une occasion de revenir à la proposition relative aux croix de la Légion d’honneur données pour actions d’éclat au cours de la campagne actuelle et qu’il s’agirait par un signe quelconque de distinguer des croix antérieures. Le projet a suscité des mécontentements prévus que je persiste à négliger, mais a provoqué aussi des chagrins dignes d’égards.

Un receveur en retraite, sous-officier d’infanterie en 1870, amputé, m’écrit d’une plume irritée qu’il ne veut pas de discrédit pour son ruban rouge: «Ma croix vaut bien, dit-il, celles de mes jeunes camarades de 1914.»

Il a raison.

Plus calme, un ancien capitaine d’infanterie coloniale, réformé n° 1, écrit «qu’il a souffert et beaucoup, parfois solitairement, pour avoir le ruban rouge et qu’il craindrait d’avoir l’air d’avoir eu un faux courage, alors que seuls ceux de 1914 auraient eu le vrai» .

Il a raison.

Sans doute, il n’est jamais entré dans ma pensée de discréditer les justes récompenses décernées à ces braves. Mais sous l’étreinte du drame immense et superbe où l’Europe est engagée, où s’absorbent depuis quatre mois toutes nos pensées, j’ai pu perdre de vue un principe auquel on me rappelle. C’est que la gratitude de la France est à l’abri de toute prescription, que le temps ni la distance ne doivent avoir aucune prise sur elle et que l’égalité de traitement s’impose entre ceux qui aujourd’hui libèrent pied à pied le sol national et ceux qui eu 1870 l’ont défendu ou ceux qui, en Chine, au Tonkin, au Maroc, ont prodigué sur les champs de bataille leur bravoure et leur sang.

Je maintiens donc, mais j’amende.

Je maintiens, me sentant appuyé par une opinion presque unanime, que nous aurons après la paix l’impérieux besoin de saluer au passage les plus glorieux de nos héros. Dieu seul à première vue reconnaît les siens. N’ayant pas cette faculté, nous voulons qu’on nous aide et qu’on nous permette de distinguer entre les autres le décoré pour faits de guerre.

Est-ce rabaisser le mérite civil et disqualifier le ruban rouge qui l’a consacré ? Eh non! ne me parlez plus de discrédit. Rien n’est plus à faire: tout est fait. Le discrédit est l’œuvre d’un passé où les complaisances, les faveurs, les concours politiques et électoraux se sont substitués au mérite, au point que, dans la hiérarchie de la Légion d’honneur, un fonctionnaire, disposant d’amitiés puissantes, précède souvent les plus illustres de nos savants, de nos hommes de lettres ou de nos artistes, sans que d’ailleurs ceux-ci s’en plaignent.

Je ne porte donc nulle atteinte ni aux droits ni aux passe-droit en réclamant le signe distinctif pour faits de guerre. Reste à le créer. L’agrafe paraît, d’après la petite consultation qui m’est parvenue, réunir la pluralité des suffrages. Créons l’agrafe. Nous ne ferons en cela que suivre l’exemple de nos amis les Russes, qui, pour certains de leurs ordres, ont la croix ordinaire, à laquelle s’ajoutent deux épées croisées, quand elle est donnée pour faits de guerre.

Et j’amende.

Cette agrafe, nous ne la donnerons pas seulement aux décorés de 1914; elle sera attribuée également aux rubans décernés pour tous faits de guerre antérieurs, dont la revue sera facile.

Mais c’est bien entendu; je le répéterai sans cesse, qu’il s’agisse de 1914 ou de toute autre année:

Pour faits de guerre seulement, seulement, SEULEMENT. Vous devinez mes craintes.

(Le Gaulois.)

De l'arrière à l'avant : chronique de la guerre

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