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HÉROS MANQUÉ

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16 septembre 1914.

J’en prends mal mon parti, mais il faut m’y résigner: je ne suis pas un héros.

J’ai vécu pourtant quelques heures dans cette illusion.

Quand, au début du mois, les mots d’investissement et de siège commencèrent de circuler avec insistance, je crus tout simple de rentrer à Paris et j’en pris le chemin. Je me trouvai aussitôt en nombreuse compagnie. La route de Chartres, que je parcourais, offrait le spectacle d’un défilé ininterrompu d’automobiles, dont la mienne se distinguait par deux particularités. Toutes les voitures avaient un drapeau, le plus souvent avec la croix rouge, et je n’en avais pas. Toutes tournaient le dos à Paris, où je rentrais. Je me sentais déjà fier de me singulariser.

Une fois dans l’enceinte parisienne, ce fut bien autre chose. Les journaux m’apprirent que le séjour à Paris constituait à lui seul un acte d’héroïsme. Je conservais des doutes. Si, en effet, j’avais constaté, en rouvrant mes fenêtres, que la plupart des volets de ma rue étaient clos, comme d’ordinaire en cette saison, je voyais les concierges échanger sur le pas des portes des propos qui semblaient sans émoi.

Dans la journée, je me rendis au Palais. Les galeries avaient leur aspect de vacances. Pas tout à fait cependant. Plus d’avocats que d’habitude en cette période, quelques-uns ayant remplacé la robe par la veste kaki ou la vareuse d’uniforme. Je frappai au cabinet du bâtonnier, sûr de trouver celui que je cherchais. Nul plus que le bâtonnier n’a besoin de deux mois de repos. Mais mon ami Henri Robert n’est pas de ceux à qui on enseigne leurs devoirs. Où il fallait qu’il fût, il était. Son cabinet était transformé en quartier général. Chacun y apportait ses pronostics et ses idées tactiques. En promenant le doigt sur une carte imaginaire, l’un indiquait le mouvement enveloppant qui compromettait notre aile gauche, et il concluait à l’imminence du péril; mais comme un autre, en traçant des lignes en sens contraire, affirmait que l’enveloppant allait devenir l’enveloppé, les deux opinions se balançaient, et nous nous quittions sans croire encore à la proximité pour nous des heures héroïques.

Alors j’allai flâner. J’arrive place Pereire, où je trouve une foule agitée et tous les nez en l’air. C’était l’heure de la quotidienne visite du Taube. Les femmes et les enfants plus divertis qu’émus. Des coups de fusil secs partant on ne sait d’où et qui me paraissaient constituer le principal danger de l’exhibition; car, par une loi physique depuis longtemps vérifiée, une balle tirée en l’air n’y reste pas et retombe quelque part. On eût bien étonné cette foule en lui parlant de son héroïsme. Et même, une automobile passant à toute vitesse, quelqu’un ayant crié au soldat qui s’y trouvait:

«Tire donc!» et celui-ci ayant répondu:

«Il est trop haut, navet!», ce fut un éclat de rire général, et, témoin de cette bonne humeur, j’en conclus que les journaux dramatisaient plus que leurs lecteurs. L’heure des héroïsmes n’avait pas encore sonné.

Mais, le 3 septembre, je crus un instant qu’elle était venue. J’apprends le départ du gouvernement et du Parlement. Je me précipite pour interroger la rue et recueillir ses impressions. Qu’y vais-je trouver? Consternation ou exaltation? Ni l’une ni l’autre. Rien n’est changé. La vie parisienne continue: les propos se tiennent à voix ni plus haute ni plus basse, et je vois chez la fruitière que le prix des pommes de terre reste à trois sous la livre. J’ai compris qu’une compensation s’était opérée dans l’esprit de chacun. Perdre en une nuit ses députés, ses sénateurs et ses ministres: c’est triste. Mais garder Galliéni: ceci console de cela.

Ainsi vint la Grande Semaine: celle qui, sans doute, dans notre glorieuse histoire, effacera par comparaison toutes les gloires dont la France est riche et fière.

Maintenant, c’est fait. Parisiens fidèles, vous ne fûtes pas en septembre 1914 des héros, et les chances de l’être s’éloignent à l’allure des armées allemandes en retraite. La sécurité, pour laquelle vous n’avez jamais voulu rien craindre, semble bien vous être définitivement rendue. Déjà, de son regard aigu, Maurice Barrès a aperçu dans le ciel de Paris le sillage avisé des deux hirondelles ministérielles venues à la découverte: elles diront à leurs compagnes que rien n’altère plus la sérénité de notre atmosphère, que seulement les visages des hommes sont moins tendus, les regards des femmes plus souriants, les jeux des enfants plus libres.

Un grand chef, commandant à des soldats capables d’entendre et d’exécuter cet ordre: «Faites-vous tuer, mais ne reculez pas», nous a valu cette tranquillité.

Dux nobis hœc otia fecit

si l’on peut déformer un texte.

Les voilà, les héros; je n’en sais pas d’autres.

S’il est vrai, comme l’écrit le généralissime, qui doit le savoir, que nous devons cette armée au gouvernement de la République qui ne lui aurait jamais marchandé ni les encouragements, ni les égards, ni les crédits nécessaires, veuille le Gaulois lui faire parvenir nos compliments et notre reconnaissance.

Et comme on rentre à Paris, je crois que je vais repartir pour la campagne.

(Le Gaulois.)

De l'arrière à l'avant : chronique de la guerre

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