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AVANT-PROPOS

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Table des matières

On ne trouvera dans ces notes rien qui prétende ni à la stratégie, ni à la diplomatie, ni aux enseignements de l’histoire, ni à la critique militaire. Il me plairait que personne n’y crût rencontrer des efforts de littérature.

Contraint à n’être que le spectateur du grand drame où se joue la vie de mon pays, j’ai regardé et écouté. J’ai regardé en moi et autour de moi; j’ai écouté les voix qui s’élevaient à proximité de mes oreilles et, avec une attention plus soutenue et presque religieuse, les voix lointaines et chères qui m’arrivaient de la ligne de feu. Au jour le jour, j’ai noté.

J’ai dit mes impressions, mes espérances; je n’ai pas parlé de mes craintes. N’en aurais-je pas eu? Il serait aujourd’hui puéril de le nier. J’ai vécu des jours et des nuits d’angoisse, quand le flot de l’invasion a atteint et franchi notre frontière. J’ai eu l’impiété de mettre alors en doute les destinées de la Patrie. J’ai imposé le silence à ma souffrance, mais j’ai cru qu’elle me dévorerait. J’ai été pendant une semaine l’homme de peu de foi, et j’en rougis encore.

Mais aussi quand, en même temps, j’ai senti se desserrer autour de nos armées l’étreinte de l’ennemi, autour de mon cœur l’étau qui le broyait, quel soulagement! Quand ces troupes merveilleuses, harassées et humiliées par la retraite, se sont, au signe du chef, arrêtées dans leur recul pour bondir en avant de tout l’élan de leurs jarrets retrouvés, quel frémissement de résurrection!

Se peut-il qu’une minute suffise parfois à transformer tout l’être, à le redresser, à l’enlever de terre dans une apothéose de rêve, dans des transports d’orgueil et de joie? Oui: car cette minute, je l’ai connue.

10 septembre 1914. — Six heures du soir. Boulevard de la Madeleine. Une affluence de promeneurs dont le visage est détendu et l’allure allégée. Tout à coup, on court, on gagne la chaussée, une double haie se forme instantanément, comme au passage d’un cortège attendu. Qu’est-ce donc? C’est une auto, grise de poussière et de boue, qui vient, qui passe à toute vitesse. Quatre soldats l’occupent; et au-dessus de leurs têtes, claquant au vent, un drapeau fait miroiter ses plis de soie. Ce ne sont pas les trois couleurs. Ce n’est pas un drapeau de France. J’ose dire, ô blasphème! que c’est mieux. C’est un drapeau allemand, aigle noir sur soie blanche, que les nôtres ont pris. Je l’ai avec mille autres acclamé. Les chapeaux, le mien compris, ont volé en l’air. C’est que pour Les heureux spectateurs de cette scène ce drapeau ennemi était l’emblème visible et certain de la délivrance. On ne prend pas de drapeaux quand on bat en retraite. C’est l’envahisseur qui reculait. Paris était sauvé. Jusqu’où l’invasion reculerait-elle? Où, pour combien de temps, s’accrocherait-elle au sol de la Patrie? Il n’importait. Après un tel péril, suivi d’un tel prodige, l’horizon était à jamais rendu à La clarté. La France ne périrait pas, la France serait délivrée, la France aurait la victoire. Plus jamais je n’en ai douté.

C’est à ce moment que M. Arthur Meyer me glissait un papier sous la main, une plume entre les doigts et m’offrait les colonnes du Gaulois pour des chroniques dont il me laissait l’entière liberté de déterminer Les sujets et l’intermittence. Je résistai d’abord, j’y pris goût ensuite. Ainsi se succédèrent les articles réunis dans ce volume.

Telle n’était point leur destinée; celle-ci pourra paraître excessive.

Mon intention a été de fixer, en les rapprochant, les étapes par lesquelles ont pu passer nos sentiments, nos idées et nos préoccupations au cours de cette longue année de guerre. J’ai pensé que la plupart de mes lecteurs s’y pourraient reconnaître, accepteraient la définition qui s’en dégage du devoir national pour ceux qui n’ont pas eu et n’auront pas l’honneur de porter les armes, et s’associeraient à quelques-unes des aspirations que j’ai exprimées en faveur d’une France régénérée par l’épreuve, la souffrance et la victoire.

J’aurais pu revoir et corriger ces improvisations souvent hâtives et m’inspirer des événements accomplis pour en modifier le texte. J’aurais ainsi pu relever des erreurs, amender des illusions sur les faits ou sur les hommes et m’attribuer la facile clairvoyance de ceux qui pronostiquent le passé. Je m’en suis abstenu par probité.

Il faut d’une part que chacun soit assuré de trouver ici dans leur formule première les impressions que j’ai notées à leur heure, ou les critiques que je me suis permises.

Si, par ailleurs, pour quelques-unes des initiatives que j’ai pu prendre sur certains sujets et qui ont été par la suite consacrées et appliquées, un lecteur curieux avait le souci de trancher la frivole question de priorité, il faut qu’il ait la certitude que les éléments du problème lui sont ici fournis avec une rigoureuse exactitude de dates et de texte. En des matières qui intéressent le salut national, il n’importe au pays que tel précède et que tel autre suive, et la vanité d’auteur serait haïssable. Ce n’est pas y tomber que se défendre d’avoir pillé autrui.

C. C.

De l'arrière à l'avant : chronique de la guerre

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