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LE FRICOTEUR

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12 octobre 1914.

Jeunes ou vieux, vous l’avez tous connu au régiment, si vous avez fait votre service militaire. Il était mal noté au quartier. De belle tenue, mais avec plus de fantaisie que d’ordonnance, le képi incliné sur l’oreille et traînant un peu le sabre, possédant tous les trucs pour échapper aux corvées et aux classes, sauteur de murs et de bat-flanc, ayant en ville des histoires, surveillé de près par l’adjudant de semaine, mais rarement pris, collectionnant au folio de punitions les jours de consigne, de salle de police et de prison avec des motifs de choix. Au demeurant, bon ou mauvais soldat? On ne savait pas.

On sait maintenant.

Je viens d’avoir de ses nouvelles. C’est lui du moins, tel que je l’ai connu, que je retrouve dans des notes qui me sont envoyées de la ligne de feu et que je transcris presque textuellement.

Il est éclaireur au Xe régiment d’artillerie.

Parisien, ou plutôt Parigot. Une tête drôle, le nez en l’air, les yeux rieurs, la lèvre rasée, un physique accompli de café-concert. Il s’est présenté au corps avec un képi dont la visière était en son milieu cassée sur les yeux, avec des molletières de drap gris, des éperons nickelés énormes empruntés à la défroque de d’Artagnan au théâtre Montparnasse et une lorgnette sur l’épaule. Autant de sacrifices à la fantaisie. Mais c’est tout ce qui reste du passé. Pour le surplus, il s’est découvert l’âme militaire. Il est sur la route la joie et l’entrain de la batterie, improvisant des chansons sur les derniers airs du caf’conc’. Son salut au passage des chefs est impeccable et il a pour joindre les talons un mouvement sec qui fait sonner ses grands éperons. Il a baptisé son cheval Kronprinz, sans doute pour avoir le droit de lui parler sans égards et de lui faire sentir la botte de plus près.

Et le voici au feu. Il garde le sourire, il a la blague, il fait des mots. Ses reconnaissances sont d’une déconcertante audace. Il est tout: éclaireur à pied, éclaireur à cheval, agent de liaison. Une ferme suspecte est proche. Il part la reconnaître en se défilant. Dès qu’il est trop en vue, il met pied à terre et attache Kronprinz invisible derrière un pan de mur. Il rampe jusqu’à la ferme. Des coups de fusil. Il reparaît avec le fusil et le casque d’un Boche qu’il a tué. Il revient à Kronprinz, qu’il enfourche, et comme le cheval, sous la fusillade qui éclate alors, a pris le galop, il l’arrête, le met au pas, jette sur l’encolure les rênes abandonnées, enfonce les mains dans ses poches et rejoint la tranchée en sifflotant la dernière de Dranem. Les camarades le portent en triomphe.

On l’a nommé brigadier: on l’a nommé maréchal des logis. Ou l’a cité à l’ordre du jour du corps d’armée.

Un jour cependant on l’a vu avec deux camarades se replier vers l’arrière: on ne comprenait pas.

— Où vas-tu?

— A l’arrière.

— Toi!

Lui, alors, avec son éternel sourire, mais tordu par un pli d’amertume.

— Faut bien. On a descendu des Boches; mais on n’est plus que trois. Je vais me ravitailler en bonhommes.

C’est ainsi que le fricoteur est devenu soldat.

Mauvaise graine et bon fruit.

N. B. — Ne croît pas en terre allemande.

(Le Gaulois.)

De l'arrière à l'avant : chronique de la guerre

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