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LE MAL D’ATTENTE

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28 septembre 1914.

C’est un mal dont cette guerre nous a révélé la souffrance aiguë et la variété infinie. Pendant que nos soldats sont tout à l’action, nous sommes tout à l’attente.

Il faut distinguer.

Il y a des attentes inéluctables: nous les supportons avec résignation. Nous ne prétendons pas devancer les événements. Nous. savons attendre l’heure des communiqués, et si l’un d’eux est muet ou obscur, nous en admettons la raison supérieure. L’attente nous est alors le mal nécessaire.

Mais il est des attentes qui nous sont moins supportables, qui mettent à l’épreuve-notre esprit de discipline, qui nous infligent une irritante douleur parce qu’elles ne nous semblent pas obligatoires.

Combien de fois s’échange par jour, dans nos rues de Paris, ce dialogue entre deux amis qui se rencontrent:

— Et votre fils?

— Je ne sais pas. Aucune nouvelle depuis trois semaines. Mais le vôtre?

— Je ne sais pas. Sa dernière lettre est du mois d’août.

Et on se quitte, avec ce mouvement arrondi des épaules auxquelles est imposée le poids d’un fardeau trop lourd et qui plient.

Plaintes inutiles, plaintes importunes. L’amélioration n’est pas venue, au contraire, et depuis que les lettres se font à l’égal des grands crus étamper à Bordeaux, les retards s’aggravent. Mais voici que M. le ministre des postes et télégraphes est revenu et que le régime heureux des ministères inoccupés, l’intérim, a cessé pour les P. T. T. Attendons.

Soyons justes. Une autre forme de l’attente, dont j’ai été le témoin, m’avait profondément ému. Il y a été porté remède.

N’étant bon à rien (et je vous prie de croire qu’on ne me l’a pas envoyé dire), je trompe comme je peux mes propres attentes. J’ai visité des ambulances, une surtout, et deux fois à quinze jours de distance. Un modèle, un asile de repos et de paix. Du soleil à pleines croisées, de l’air à profusion. Une symphonie de draps blancs et de peintures blanches. Une installation irréprochable depuis la salle d’opérations jusqu’aux cuisines, en passant par les baignoires. Ma visite, guidée par une infirmière dont nulle ombre factice n’obscurcissait le clair regard et dont nul carmin n’avivait les lèvres, une qui savait son métier, dont les mains étaient expertes à manier la bande de pansement, chez qui on devinait des réserves d’habileté au service des souffrances physiques et des réserves de dévouement au service des détresses du cœur.

Elle attendait, et avec elle les éminents praticiens attachés à son ambulance. Elle attendait, devant les lits vides, les blessés qui s’y pourraient étendre; et cela me chagrinait, ce dévouement offert et qui ne s’employait pas, quand pour nos blessés cet emploi était si riche de belles promesses.

Cette attente a cessé. Les blessés sont venus. Tous, nous devons nous en louer. Une inquiétude poignante est dissipée. On avait craint je ne sais quel conflit dont l’enjeu aurait été terrible. C’était un malentendu. Il n’y avait pas rivalité ; il n’y avait qu’émulation. Nos blessés n’attendront pas.

Soyons plus justes encore.

Il y a des services qui ne chôment pas et où le mal d’attente ne s’est pas fait sentir. C’est le Journal officiel qui, de Bordeaux, m’en apporte la preuve. J’y relève, aux dates toutes récentes des 20 et 21 septembre, une série de décrets attribuant à des départements et à des communes des biens ecclésiastiques ayant appartenu à des fabriques et à des évêchés. J’ai cru que le hasard avait fait tomber sous ma main des numéros de l’an dernier. Mais non; je vous affirme sur l’honneur que la date est bien: septembre 1914. Voilà, cette fois, des services qui fonctionnent jusqu’au paradoxe, jusqu’à l’anachronisme.

Heureuses communes, heureux départements qui pouvaient attendre et qui n’attendent pas!

Vous voyez qu’on n’oublie rien et qu’on n’attend pas à Bordeaux.

(Le Gaulois.)

De l'arrière à l'avant : chronique de la guerre

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