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PETITE FLEUR

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22 septembre 1914.

C’est une toute petite pâquerette des champs que rien ne distingue de celles qui foisonnent dans les chaumes après la moisson, comme les coquelicots dans les blés en été ou les liserons dans les bois au printemps.

Cependant, son possesseur ne l’échangerait pas contre la plus somptueuse orchidée.

Est-ce donc à sa fraîcheur qu’elle doit son prix ou à la main qui l’a cueillie? Non plus.

Elle est toute desséchée et flétrie; son petit cœur jaune a perdu ses reflets d’or, ses pétales blancs sont à demi arrachés, sa tige est si amincie qu’elle est près de se briser. Et ce n’est pas un souvenir d’amour. C’est pour lui-même qu’un de nos troupiers l’a cueillie.

Mais s’il y tient, c’est que la petite fleur est son butin de guerre.

«Je joins à ma lettre, écrit-il, la première marguerite que j’ai cueillie en Alsace, le fusil à la bretelle, voici déjà quelques semaines. D’ici peu, nos troupes en feront de plus amples moissons. Hâtez-vous de l’encadrer, avant que le modèle en devienne banal.»

Je l’ai là entre les doigts, la fleurette d’Alsace. Elle est sans odeur et je lui trouve un parfum délicieux. S’il suffisait d’une larme pour lui restituer la vie, je sens que mes yeux seraient tout près de la fournir. C’est que je la suis dans son trajet depuis le moment où elle a quitté le sol alsacien jusqu’à son arrivée dans notre Paris.

Elle a fait les longues marches sous le dur soleil d’août; elle a vu s’aligner le soir les faisceaux du bivouac; elle a, un jour de bataille, heurté le sol rougi où son soldat venait de tomber; elle fut, à elle toute seule, le bouquet installé au chevet d’un lit d’ambulance et sur lequel se sont reposés les yeux d’un blessé ; et quand elle eut accompli sa mission consolatrice, elle s’est, à la lente allure des lettres venues du front, mise en route pour Paris. Elle est au but, elle est en sûreté. Ils ne l’auront pas.

Vous vous rappelez la cocarde de Déroulède:

Le sang l’a bien un peu rougie,

La poudre bien un peu noircie,

Mais elle est encore bien jolie!

Ainsi la fleur.

Et, silencieusement, elle raconte l’histoire des deux races.

Chacune des deux armées a ses pillards; mais c’est par le genre de leurs butins qu’ils diffèrent.

«C’est pour votre bien-être que vous combattez», a-t-on dit aux Allemands. Ils ont entendu, compris, exécuté. Pour assurer leur bien-être immédiat, ils ont pillé les fermes, mis à sac les maisons, dévalisé les caves et, par passe-temps, démoli les cathédrales. L’idéal leur est fermé, la beauté les offense, et, dans leur prurit dévastateur et sacrilège, ils offrent en holocauste à leurs sinistres idoles les ruines et les cendres des monuments élevés par le génie de l’homme à la gloire de Dieu.

Aux nôtres, il n’était pas besoin de donner des raisons, ni de dire pour qui et pour quoi ils offraient leurs vies. Ils le savaient. Ils s’étaient croisés pour aller en Terre-Sainte et, dès qu’ils y eurent fait leurs premiers pas, ils ont assuré leur butin. Ils ont avec piété pillé les fleurs des champs.

La prise est bonne, si elle est modeste. Elle n’ira pas aux Invalides pour y rejoindre les glorieux trophées, la fleur d’Alsace. Mais, échappée au tumulte des batailles, elle resplendira dans son cadre, la fleur cueillie par le soldat, quand la France aura repris la terre où sont demeurées ses racines.

(Le Gaulois.)

De l'arrière à l'avant : chronique de la guerre

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