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P. P. C.

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1er novembre 1914.

Je n’ai reçu que deux lettres d’injures. Encore apparaît-il de la similitude d’écritures que c’est le même embusqué anonyme qui m’a gratifié d’un doublé.

Il m’écrit: «Vos articles sont-ils sincères? Si oui, ils sont bêtes.»

Comme je ne vois pas en quoi ma sincérité serait engagée dans l’affaire, la conclusion demeure: «Ils sont bêtes.»

C’est bien possible. Quand on est bête, c’est sans le savoir, et il est rare de trouver un ami assez dévoué pour vous en avertir. Mon embusqué m’a rendu ce service et il l’a complété en me disant de quoi était faite ma bêtise.

Il m’explique: «Combien croyez-vous qu’après vos articles il partira d embusqués? Deux, huit, dix au plus. Alors, à quoi bon?»

Si mon correspondant croit avoir ainsi fait la démonstration annoncée, je l’avertis que mon intelligence limitée y reste fermée. Sans doute, je pense avec lui que les embuscades sont bien gardées et qu’il ne sera pas facile d’en déloger les occupants. Sans doute, je crois avec lui que les influences qui se sont employées pour installer les abrités se retrouveront pour repousser toute offensive.

Mais combien dangereuse et flatteuse est sa concession!

Deux, huit ou dix. Et s’il en était? Voilà pour lui le danger.

Deux, huit ou dix! J’en concevrais un orgueil démesuré.

Ah! s’il s’était fait connaître, je crois que j’aurais réussi à me faire comprendre. Je lui aurais expliqué combien, à l’heure où nous sommes, je fais fi de ma parole et de ma plume; que, passant la revue de mes trente dernières années, je les trouve aujourd’hui inutiles et sonnant le creux et que je leur applique le mot qu’il m’adresse: «A quoi bon?» Et voici qu’il m’ouvre cette perspective que par l’effet de quelques lignes imprimées dans un journal, j’aurais fait sortir de leur cachette deux, huit ou dix soldats pleins de vigueur et de jeunesse, sinon de bonne volonté ; que j’aurais donné à mon pays qui en a besoin deux, huit ou dix fusils! Mais j’en serais plus fier qu’un ministre à son premier portefeuille, même si ces chiffres devaient se réduire encore, même si ce fusil devait être unique, même si c’était le vôtre, mon cher anonyme, bien que je le soupçonne de n’être pas de première qualité.

Autre argument ad hominem: «Eh bien! et vous? m’écrit mon jeune homme, pourquoi ne partez-vous pas?»

Voilà qui est mieux et voici ma réponse. Je veux bien, mais il faudra que vous me prêtiez, pour obtenir que je parte, les concours que vous avez mis en œuvre pour obtenir de rester. Je vous signale l’objection qui vous sera faite: mon âge. Mais vous répondrez que nous partirons tous les deux, bras dessus, bras dessous, et que votre âge et le mien représenteront ainsi une très honorable moyenne.

Maintenant, embusqués mes frères, je prends, provisoirement au moins, congé de vous. Ce n’est pas que vous ayez cessé de m’intéresser; mais je dois quelques ménagements aux lecteurs du Gaulois, que je crains de lasser.

Deux autres raisons me décident à vous consentir un armistice:

Parler n’est rien, agir est tout. L’action appartient à M. le ministre de la guerre, et j’ai foi en son patriotisme.

Puis, si ma voix se tait, une autre s’est élevée. Sur la planche que je quitte, un appel du pied vient de retentir. M. Clemenceau a décroché ses fleurets et, après un très courtois salut à mon adresse, a engagé le fer.

Restez en garde, messieurs les embusqués!

La main passe, mais l’assaut continue.

(Le Gaulois.)

De l'arrière à l'avant : chronique de la guerre

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