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LES DÉCORATIONS

Table des matières

RUBANS, ROSETTES ET CRAVATES

9 novembre 1914.

J’espère ne chagriner personne en constatant que les décorations avaient, bien avant la guerre, perdu, sinon leur attrait, du moins leur prestige. S’il n’y en avait pas assez pour satisfaire l’appétit de tous les affamés, il y en avait trop pour qu’elles pussent conserver leur valeur distinctive.

La Légion d’honneur n’avait pas échappé à ce discrédit. La pluie rouge était tombée si abondante et si drue que les gouttes s’en étaient réparties au petit bonheur et sans choix. Des hommes qui sont la gloire du pays et assurent son renom dans le monde ne piquent au revers de leur habit ni ruban ni rosette, tandis que d’autres, trop peu connus ou trop, en présentent l’assortiment aux regards étonnés. C’est ainsi que, par une loi aussi impérieuse que celle des proportions, plus les légionnaires devenaient légion, moins ils devenaient d’honneur.

Mais voici la guerre et voici qui change. Chaque jour nous apporte le récit de prouesses devant lesquelles nous restons prosternés d’admiration et de reconnaissance. Tous, officiers ou soldats, tous, bourgeois, ouvriers ou paysans, tous rivalisent de courage, de dévouement et d’abnégation. Et la liste s’allonge sans cesse de ces noms tirés brusquement de leur ombre pour être projetés dans une pure et radieuse lumière par des actions d’éclat qui déconcertent l’imagination. Qui de nous n’en a fait l’expérience? Si le doute nous effleure et si l’impatience nous gagne, il suffit de faire la lecture de ces citations à l’ordre du jour. C’est un bain d’énergie où se retrempe et se tonifie l’esprit, où se noient toute inquiétude et toute désespérance.

Comment reconnaître et acquitter la dette contractée par la patrie envers ses enfants? Un seul moyen: la décoration. Médaille militaire ou Légion d’honneur. Ruban jaune ou ruban rouge. C’est bien, mais à une condition.

La médaille militaire ne prête à aucune confusion. Le ruban jaune parle un clair langage qui ne peut abuser personne.

Mais le ruban rouge?

Quoi! le même insigne pour ce vaillant qui a mis le premier la main sur la hampe d’un drapeau ennemi et pour ce jeune homme qui a recueilli ce rouge souvenir de son court passage dans le cabinet d’un ministre qui lui voulait du bien!

La même rosette pour ce commandant qui, malgré la mitraille et ses blessures, a entraîné ses hommes au combat, et ce très digne fonctionnaire dont on a récompensé avec raison les longues années de service et de fidélité !

La même cravate à ce général qui par sa tactique et sa hardiesse a amené sa division au point et à l’heure voulus pour décider de la victoire, et à ce somptueux financier qui, dans le maniement de l’épargne française, ne paraît pas avoir sacrifié ses intérêts!

Cela, impossible.

Il ne faut pas qu’après la paix vous ou moi soyons exposés à nous découvrir devant l’ancien attaché de cabinet, l’honnête fonctionnaire ou le riche banquier, croyant saluer le soldat, le commandant ou le général. J’en appelle à la probité des membres de la Légion d’honneur. C’est à eux de se refuser à une confusion dont ils auraient autant de honte que d’un abus de confiance.

Le moyen? Oh! si simple.

Il ne s’agit pas de porter atteinte à des droits acquis, ni de supprimer l’Ordre, ni d’en créer un autre. Une mesure très facile suffirait.

On a actuellement le droit de porter l’insigne comme on veut, ou large ou mince, suivant son goût pour la toilette ou discrète ou voyante. Il suffit de réglementer les dimensions, largeur du ruban ou de la cravate ou du cordon, diamètre de la rosette. Un millimètre au ruban civil, trois au ruban donné pour faits de guerre, mais rien que pour faits de guerre. Un demi-centimètre de diamètre à la rosette civile, un centimètre à la rosette militaire. Ainsi du reste.

J’ai le droit de faire condamner à la prison celui qui me vole mon argent. Je ne veux pas qu’on vole aux héros qui nous préparent aujourd’hui, qui nous assureront demain la victoire, l’hommage et la gratitude de la France.

(Le Gaulois.)

De l'arrière à l'avant : chronique de la guerre

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