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LES DÉCORATIONS

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LETTRE AU DIRECTEUR DE «LA LIBERTÉ »

12 novembre.

Mon cher directeur,

Vous voulez bien me communiquer la lettre d’un de vos lecteurs qui repousse l’idée d’établir, pour le port des insignes de la Légion d’honneur, une distinction au profit de ceux qui auront été décorés pour faits de guerre en 1914, et vous avez la courtoisie de me provoquer à une réponse.

A en juger par les lettres que j’ai reçues, votre correspondant est seul à demander le maintien du statu quo.

Si la Légion d’honneur était demeurée ce qu’elle fut dans l’esprit de son fondateur, si elle n’avait jamais été décernée que pour des mérites exceptionnels profitant au pays, il pourrait avoir raison. Mais, sans polémique, sans qu’il soit besoin d’évoquer le souvenir de certains scandales, il reconnaîtra avec moi, avec tous, que le ruban, détourné de sa destination première, a récompensé à profusion des services qui n’intéressaient ni de près, ni de loin, le salut ou la grandeur de la France. On s’en est à peu près accommodé.

Mais aujourd’hui c’est l’existence même de la nation qui est en cause. L’histoire universelle n’offre rien qui soit comparable à la guerre de 1914, ni pour l’énormité de l’enjeu, ni pour l’immensité des sacrifices consentis, ni pour la sublime émulation de dévouement et de courage entre nos combattants. Que fait-on?

La médaille militaire aux sous-officiers et soldats, la Légion d’honneur aux officiers: voilà l’héroïsme récompensé. Et c’est fort bien.

Ce qui l’est moins, c’est qu’avec son ruban rouge, le héros est élevé au même niveau qu’un sous-préfet qui a fait de bonnes élections, ou qu’un avocat qui a réussi. Si le sous-préfet et l’avocat sont des honnêtes gens, ils ne peuvent pas tolérer cette égalisation.

Votre lecteur paraît croire que je demande une Légion d’honneur civile pour les civils, une Légion d’honneur militaire pour les militaires. Ce n’est pas cela. Je voudrais qu’un signe visible permît de distinguer le ruban décerné pour faits de guerre de 1914. Je ne regarde ni l’homme, ni son habit; je vais au fait. Le maire de Reims, civil, aura ce signe. Tel brave homme d’officier, décoré à l’ancienneté, loin du feu, ne l’aura pas.

Pour le choix de ce signe, je suis sans amour-propre d’auteur. S’il en coûte trop aux légionnaires actuels de diminuer la largeur de leurs rubans, ajoutons à l’insigne des décorés pour faits de guerre de 1914 un chiffre, une étoile, une croix minuscules, ce qu’on voudra, pourvu que je puisse demain reconnaître au passage les plus glorieux entre les sauveurs de la Patrie.

C’est bien le moindre devoir de ceux qui ne risquent rien envers ceux qui risquent tout.

Je vous prie, mon cher Directeur, d’agréer l’assurance de mes meilleurs sentiments.

(La Liberté.)

De l'arrière à l'avant : chronique de la guerre

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