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AUX EMBUSQUÉS

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25 octobre 1914.

Il me faut revenir à eux. Car si je n’ai pas encore levé mon régiment, j’ai du moins mobilisé la fourmilière sur laquelle j’ai mis le pied. Me voici en possession d’un monceau de lettres, approbations, encouragements, sommations d’agir, informations, conseils, mais aussi protestations et reproches d’injustice.

Nécessité de s’entendre.

Ai-je besoin de dire que je ne m’en prends pas à ceux qu’une infériorité physique rend impropres au service? Il serait cruel d’ajouter à leur chagrin. Je leur conseille seulement de ne pas chercher à leur peine une distraction par des promenades trop répétées sur les boulevards, et de n’y pas faire affluence.

Me faut-il rassurer cet inspecteur de police qui m’écrit, «au nom de tous ses collègues », pour protester contre l’accusation d’embuscade? Faut-il lui dire qu’il est à son poste et qu’il n’a pas plus de raisons de le quitter que le cheminot qui sur sa locomotive ou l’ouvrier de Bourges et du Creusot qui à son établi collaborent très efficacement à la défense nationale?

Personne ne peut s’y tromper. Et vous pouvez croire que nos bons, nos vrais, nos solides embusqués se sont bien reconnus et qu’aucun d’eux n’est sorti de sa tranchée pour affronter à ciel ouvert la discussion de son cas.

Ils se taisent, nos hardis chauffeurs parisiens qui, pour la terreur des piétons, exécutent à folle allure le raid des Champs-Élysées.

Ils se taisent les onze secrétaires du capitaine trésorier du Xe d’infanterie qui tiennent les écritures du dépôt.

Il se tait, le gentil soldat qui, à Bordeaux, assure le ravitaillement de Célimène et chaque jour la conduit à la pâtisserie, à l’heure du thé et des tartelettes.

Ils se taisent, et c’est eux que je voudrais entendre, et c’est pour les aider à sortir de leur silence que je m’adresse directement à eux. Je le fais sans animosité ni colère. Je devine si bien leurs explications et leurs excuses.

«Vous n’êtes pas, mon jeune ami, plus poltron que vos camarades. Vous avez participé au bel élan de la jeunesse française à l’heure de la mobilisation. Mais votre maman vous adore et ne prétend pas être la mère des Gracques. Elle s’est souvenue qu’elle avait des relations. Elle ne pouvait ignorer que, dans notre démocratie égalitaire, tout s’obtient depuis vingt ans par le piston. Elle vous a pistonné. Vous en avez bien un peu honte; mais un fils peut-il chagriner sa mère? Et tout doucement vous vous êtes laissé pousser vers cette chaise, cette table ou ce bureau. Vous vous êtes cru soldat, puisque vous en aviez le costume et que, pour compléter l’illusion, on vous donnait du grade.

«Tout cela n’est pas bien coupable. Mais maintenant?

«Regardez-moi bien en face. N’est-ce pas que vous n’êtes pas fier? N’est-ce pas que vous vous sentez gêné quand on vous parle de vos amis qui combattent, quand vous voyez une de ces lettres venues du front, pleines de vaillante gaieté, quand vous lisez le récit de quelque beau fait d’armes?

«Mais oui, votre gêne est tout près de devenir un remords. Laissez ce salutaire travail s’accomplir. Ne tardez pas trop. Embrassez maman, qui pleurera bien un peu, et partez.

«Vous verrez alors comme c’est bon de faire son devoir. Vos camarades vous diront que seul le premier moment est désagréable à passer; mais qu’ensuite, comme dit le sergent de Déroulède:

«Un petit tour de feu, c’est la santé du corps.

«Et maman sera toute fière de pouvoir montrer à ses amies, que désormais elle aura le droit de revoir, vos lettres hâtivement crayonnées, sentant un peu la poudre et la feuille d’automne et n’exhalant pas la fade odeur du bureau.

«Vous résistez encore? Pensez alors à demain. Demandez-vous quelle figure vous ferez dans la France victorieuse. Vous n’y aurez plus de place; vous serez en marge. Les pistons, les chers pistons, seront cassés avant même que vous ayez eu le temps de vous faire décorer.

«Allons! c’est dit, n’est-ce pas?

«Vous partez.»

(Le Gaulois.)

De l'arrière à l'avant : chronique de la guerre

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