Читать книгу Thermidor: d'après les sources originales et les documents authentiques - Ernest Hamel - Страница 10
V
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Mais le décret, rendu à la suite de ce rapport, ne proscrivait que neuf représentants, qui s'étaient mis en état de rébellion dans les départements de l'Eure, du Calvados et de Rhône-et-Loire, et ne frappait d'accusation que les députés Gensonné, Guadet, Vergniaud, Gardien et Mollevault. Cela parut infiniment trop modéré aux ardents de la Montagne, aux futurs Thermidoriens.
Le 3 octobre, Amar parut à la tribune pour donner lecture d'un nouveau rapport contre les Girondins, au nom du comité de Sûreté générale. Quarante-six députés, cette fois, étaient impliqués dans l'affaire et renvoyés devant le tribunal révolutionnaire. Mais ce n'était pas tout. Amar termina son rapport par la lecture d'une protestation, restée secrète jusque-là, contre les événements des 31 mai et 2 juin, et portant les signatures de soixante-treize membres de l'Assemblée, dont il réclama l'arrestation immédiate.
Cette mesure parut insuffisante à quelques membres qui, appuyés par le rapporteur, proposèrent, aux applaudissements d'une partie de l'Assemblée, de décréter également d'accusation les soixante-treize signataires de la protestation. C'était le glaive suspendu sur les têtes de ces malheureux. Où donc étaient alors ceux qui, depuis, se sont donnés comme ayant voulu les sauver? L'Assemblée allait les livrer au bourreau quand Robespierre, devenu, depuis le mois de juillet, membre du comité de Salut public, s'élança à la tribune. En quelques paroles énergiques, il montra combien il serait injuste et impolitique de livrer au bourreau les signataires dont on venait de voter l'arrestation, et dont la plupart étaient des hommes de bonne foi, qui n'avaient été qu'égarés.
L'Assemblée, ramenée à de tout autres sentiments, ne resta pas sourde à ce langage généreux, et, au milieu des applaudissements décernés au courageux orateur, elle se rangea à son avis. Les soixante-treize étaient sauvés.
Les témoignages de reconnaissance n'ont pas manqué à Robespierre, témoignages que les Thermidoriens avaient eu grand soin de dissimuler. Fort heureusement nous avons pu les faire revenir au jour. Je me contenterai d'en citer quelques-uns.
«Citoyen notre collègue, lui écrivaient, au nom de leurs compagnons d'infortune, le 29 nivôse an II, les députés Hecquet, Queinec, Arnault, Saint-Prix, Blad et Vincent, nous avons emporté, du sein de la Convention et dans notre captivité, un sentiment profond de reconnaissance, excité par l'opposition généreuse que tu formas le 3 octobre, à l'accusation proposée contre nous. La mort aura flétri notre coeur avant que cet acte de bienfaisance en soit effacé.»
Écoutez Garilhe, député de l'Ardèche à la Convention: «La loyauté, la justice et l'énergie que vous avez développées le 3 octobre, en faveur des signataires de la déclaration du 6 juin, m'ont prouvé que, de même que vous savez, sans autre passion que celle du bien public, employer vos talents à démasquer les traîtres, de même vous savez élever votre voix avec courage en faveur de l'innocent trompé. Cette conduite généreuse m'inspire la confiance de m'adresser à vous….»
Lisez enfin ces quelques lignes écrites de la Force à la date du 3 messidor an II (21 juin 1794), c'est-à-dire un peu plus d'un mois avant le 9 thermidor, et signées de trente et un Girondins: «Citoyen, tes collègues détenus à la Force t'invitent à prendre connaissance de la lettre dont ils t'envoient copie. Ils espèrent que, conséquemment à tes principes, tu l'appuieras. Quoique nous te devions beaucoup, nous ne te parlerons point de notre reconnaissance, il suffit de demander justice à un républicain tel que toi.»
Combien y en a-t-il qui, après Thermidor, se souviendront de ce cri de reconnaissance? C'est triste à dire, mais beaucoup, comme Boissy-d'Anglas, qui comparait alors Robespierre à Orphée, feront chorus avec les calomniateurs de celui qui les avait arrachés à la mort.