Читать книгу Thermidor: d'après les sources originales et les documents authentiques - Ernest Hamel - Страница 7
II.
ОглавлениеSes débuts à l'Assemblée constituante furent modestes; mais il allait bientôt s'y faire une situation prépondérante. Assis à l'extrême gauche de l'Assemblée, il était de ceux qui voulaient imprimer à la Révolution un caractère entièrement démocratique, et il s'associa à toutes les mesures par lesquelles le tiers-état signala son avènement. Toutes les libertés eurent en lui le plus intrépide défenseur. Répondant à ceux qui s'efforçaient d'opposer des restrictions à l'expansion de la pensée, il disait: «La liberté de la presse est une partie inséparable de celle de communiquer ses pensées; vous ne devez donc pas balancer à la déclarer franchement.» Lorsque l'Assemblée discuta une motion de Target, tendant à faire proclamer que le gouvernement était monarchique, il demanda que chacun pût discuter librement la nature du gouvernement qu'il convenait de donner à la France.
Accueilli par les cris: A l'ordre! à l'ordre! il n'en insista pas moins, vainement d'ailleurs, pour la prise en considération de sa motion. Ses tendances démocratiques se trouvaient donc nettement dessinées dès cette époque, et la cour le considérait comme son plus terrible adversaire, d'autant plus redoutable qu'elle le savait inaccessible à toute espèce de corruption.
Sa renommée allait grandissant de jour en jour. Ses efforts désespérés et vains pour faire pénétrer dans la Constitution nouvelle le suffrage universel, achevèrent de porter au comble sa popularité.
Mais il n'y avait pas que les prolétaires qui fussent privés du droit de participer aux affaires publiques. Deux classes d'hommes, sous l'ancien régime, étaient complètement en dehors du droit commun, c'étaient les juifs et les comédiens. L'abbé Maury, ayant proposé de maintenir leur exclusion de la vie civile, Robespierre s'élança à la tribune: «Il était bon, dit-il, en parlant des comédiens, qu'un membre de cette Assemblée vînt réclamer en faveur d'une classe trop longtemps opprimée….» Et, à propos des juifs: «On vous a dit sur les juifs des choses infiniment exagérées et souvent contraires à l'histoire. Je pense qu'on ne peut priver aucun des individus de ces classes des droits sacrés que leur donne le titre d'hommes. Cette cause est la cause générale….» Plus heureux cette fois, il finit par triompher, grâce au puissant concours de Mirabeau.
«Cet homme, ira loin, disait ce dernier, il croit tout ce qu'il dit.» Il n'était pas de question importante où il n'intervînt dans le sens le plus large et le plus démocratique. Dans les discussions relatives aux affaires religieuses, il se montra, ce qu'il devait rester toujours, le partisan de la tolérance la plus absolue et le défenseur résolu de la liberté des cultes, n'hésitant pas d'ailleurs à appuyer de sa parole, même contre le sentiment populaire, ce qui lui paraissait conforme à la justice et à l'équité.
Ce fut à sa voix que l'Assemblée constituante décida qu'aucun de ses membres ne pourrait être promu au ministère pendant les quatre années qui suivraient la session, ni élu à la législature suivante, double motion qui dérangea bien des calculs ambitieux, et qui témoignait de son profond désintéressement. Il jouissait alors d'un ascendant considérable sur ses collègues. Les journaux de l'époque célébraient à l'envi ses vertus, ses talents, son courage, son éloquence. Déjà, le peuple l'avait salué du nom d'Incorruptible, qui lui restera dans l'histoire.
En revanche, il était en butte à la haine profonde de la réaction. Mais cela le touchait peu. «Je trouve un dédommagement suffisant de la haine aristocratique qui s'est attachée à moi dans les témoignages de bienveillance dont m'honorent tous les bons citoyens», écrivait-il à un de ses amis, le 1er avril 1790. Il venait d'être nommé président de la Société des Amis de la Constitution, dont il avait été l'un des fondateurs.
Au mois de juin de l'année suivante, il était nommé accusateur public par les électeurs de Versailles et de Paris. Il accepta, non sans quelque hésitation, la place d'accusateur près le tribunal criminel de Paris. «Quelque honorable que soit un pareil choix», écrivait-il à l'un de ses amis à Arras, «je n'envisage qu'avec frayeur les travaux pénibles auxquels cette place va me condamner … mais, ajoute-t-il avec une sorte de tristesse et un étrange pressentiment, je suis appelé à une destinée orageuse; il faut en suivre le cours jusqu'à ce que j'aie fait le dernier sacrifice que je pourrai offrir à ma patrie.» Il venait à peine d'être appelé à ces fonctions que le roi et la reine quittaient les Tuileries et Paris.
On connaît les tristes péripéties de l'arrestation de Varennes. Robespierre fut de ceux qui alors proposèrent la mise en accusation du roi pour avoir déserté son poste. Toutefois, il se montra opposé, comme s'il eût prévu un piège, à la pétition fameuse, rédigée par Laclos, au sujet de la déchéance, pétition que l'on devait colporter au Champ-de-Mars dans la journée du 17 juillet, et qui devait être arrosée de tant de sang français.
Le soir même de cette journée, un grand changement se fit dans la vie de Robespierre. Jusque-là, il avait demeuré, isolé, dans un petit appartement de la rue de Saintonge, au Marais, depuis le retour de l'Assemblée à Paris. Dans la soirée du 17, comme on craignait que la cour et les ministres ne se portassent à quelque extrémité sur les meilleurs patriotes, M. et Mme. Roland l'engagèrent à venir habiter avec eux, mais il préféra l'hospitalité qui lui fut offerte par le menuisier Duplay, son admirateur passionné, qui allait devenir son ami le plus cher, et dont, jusqu'à sa mort, il ne devait plus quitter la maison, située rue Saint-Honoré, à quelques pas de l'ancien couvent des Jacobins.
Jusqu'à la fin de la Constituante, il ne cessa de lutter avec une intrépidité stoïque contre l'esprit de réaction qui l'avait envahie. Lorsque le dernier jour du mois de septembre 1791, le président Thouret eut proclamé que l'Assemblée avait terminé sa mission, une scène étrange se passa à la porte de la salle. Là, le peuple attendait, des couronnes de chêne à la main. Quand il aperçut Robespierre et Pétion, il les leur mit sur la tête. Les deux députés essayèrent de se dérober à ce triomphe en montant dans une voiture de place, mais aussitôt les chevaux en furent dételés et quelques citoyens s'attelèrent au fiacre, tenant à honneur de le traîner eux-mêmes. Mais déjà Robespierre était descendu de la voiture; il rappela le peuple au respect de sa propre dignité, et, accompagné de Pétion, il regagna à pied la demeure de son hôte, salués l'un et l'autre, sur leur passage, de ces cris d'amour: «Voilà les véritables amis, les défenseurs des droits du peuple.» Ici finit la période la plus heureuse et la moins connue de la vie de Robespierre.