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III

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Eh bien! il y eut, on peut l'affirmer, au sein du comité de Salut public, pour l'adoption du projet de loi connu sous le nom de loi du 22 prairial, une entente égale à celle qui avait présidé à l'établissement de la commission d'Orange et à la formation des commissions populaires.

Ancien magistrat, Couthon fut chargé, par ses collègues du comité, de rédiger le projet et de le soutenir devant la Convention. Un des articles, le seul peut-être qui devait susciter une violente opposition dans l'Assemblée, était celui qui donnait aux comités la faculté de traduire au tribunal révolutionnaire les représentants du peuple.

En voulant réagir contre les terroristes par la Terreur, en voulant armer les comités d'une loi qui leur permît de frapper avec la rapidité de la foudre les Tallien, les Fouché, les Rovère, ces hommes «gorgés de sang et de rapines», qui, forts déjà de leurs partisans et de leurs complices, trouvaient encore une sorte d'appui dans les formes de la procédure criminelle, les auteurs de la loi de prairial commirent une faute immense; mais ce ne fut pas la seule. Parce qu'ils avaient vu certains grands coupables échapper à la rigueur des lois, qui n'épargnait point les petits, ils crurent qu'il suffisait de la conscience des juges et des jurés pour juger les prévenus de conspiration contre la sûreté de la République; et parce que certains défenseurs rançonnaient indignement les accusés, parce que les malheureux étaient obligés de s'en passer, ils s'imaginèrent qu'il était plus simple de supprimer la défense; ce fut un tort, un tort irréparable, et que Robespierre a, Dieu merci! cruellement expié pour sa part, puisque cette loi de prairial est restée sur sa mémoire comme une tache indélébile. Jusqu'alors il n'avait coopéré en rien à aucune des lois de la Terreur, dont les législateurs principaux avaient été Cambacérès, Merlin (de Douai) et Oudot. Otez de la vie de Robespierre cette participation à la loi du 22 prairial, et ses ennemis seront bien embarrassés pour produire contre lui un grief légitime.

Ce qu'il y a de certain et d'incontestable, malgré les dénégations ultérieures des collègues de Maximilien, c'est que le projet de loi ne rencontra aucune espèce d'opposition de la part des membres du comité de Salut public, lequel avait été invité par décret, dès le 5 nivôse précédent, à réformer le tribunal révolutionnaire[26]. Tous les membres du Comité jugèrent bon le projet préparé par Couthon, puisqu'il ne donna lieu à aucune objection de leur part. Un jour, paraît-il, l'accusateur public, informé par le président Dumas qu'on préparait une loi nouvelle par laquelle étaient supprimés la procédure écrite et les défenseurs des accusés, se présenta au comité de Salut public, où il trouva Collot-d'Herbois, Billaud-Varenne, Carnot, Barère et C.-A. Prieur, auxquels il témoigna ses inquiétudes de ce qu'on abrogeait les interrogatoires et la défense des accusés. Fouquier-Tinville pris d'un tendre intérêt pour les prévenus! c'est à n'y pas croire. Ces membres du comité se bornèrent à lui répondre que «cet objet regardait Robespierre, chargé du travail[27]».

[Note 26: Article 1er du décret: «Le comité de Salut public fera dans le plus court délai son rapport sur les moyens de perfectionner l'organisation du tribunal révolutionnaire.» Moniteur du 7 nivôse (27 décembre 1793.)]

[Note 27: Mémoire pour Antoine Quentin-Fouquier…, cité dans l'Histoire parlementaire, t. XXXIV, p. 247.]

Or, s'ils avaient soulevé la moindre objection contre le projet de loi confié aux soins de Couthon, Fouquier-Tinville n'eût pas manqué de le rappeler, car ils étaient debout et puissants encore, et l'ex-accusateur public avait tout intérêt à s'attirer leurs bonnes grâces.

Plus tard, il est vrai, certains d'entre eux, devenus à leur tour l'objet de graves accusations, essayèrent de rejeter sur Robespierre et sur Couthon seuls la responsabilité de cette loi; ils poussèrent le mépris de la vérité jusqu'à prétendre qu'elle avait été présentée à la Convention sans que les comités eussent été même avertis, et ils inventèrent cette fameuse scène qui aurait eu lieu au comité, le matin même du 23 prairial, dans laquelle Billaud-Varenne, apostrophant Robespierre, lui aurait reproché d'avoir porté seul «le décret abominable qui faisait l'effroi des patriotes». A quoi Maximilien aurait répondu en accusant Billaud de défendre ses ennemis et en reprochant aux membres du comité de conspirer contre lui. «Tu veux guillotiner la Convention»! aurait répliqué Billaud.—Nous sommes en l'an III, ne l'oublions pas, et Billaud-Varenne avait grand intérêt à se poser comme un des défenseurs de l'Assemblée.—Alors Robespierre, avec agitation: «Vous êtes tous témoins que je ne dis pas que je veuille faire guillotiner la Convention nationale.» Je te connais maintenant, aurait-il ajouté, en s'adressant à Billaud; et ce dernier lui aurait répondu: «Et moi aussi je te connais comme un contre- révolutionnaire[28].» Tout cela doit être sorti de l'imagination féconde de Barère, car dans sa réponse particulière à Lecointre, Billaud fait à peine allusion à cette scène[29]. Homme probe et rigide au fond, Billaud eût hésité à appuyer sa justification sur des mensonges dont sa conscience avait horreur. Il faut être, en vérité, d'une insigne mauvaise foi ou d'une bien grande naïveté, pour accepter bénévolement les explications des membres des anciens comités. La Convention ne s'y laissa pas prendre, et elle eut raison; il lui suffit de se rappeler avec quelle ardeur Barère et même Billaud-Varenne défendirent, comme on le verra tout à l'heure, cette néfaste loi du 22 prairial. Saladin, arraché au bourreau par Robespierre, se chargea de répondre au nom des vaincus de Thermidor, muets dans leurs tombes[30].

[Note 28: Voy. la Réponse des anciens membres des comités aux imputations de Lecointre, p. 38, 39, et la note de la page 108.]

[Note 29: Réponse de J.-N. Billaud à Lecointre, p. 56.]

[Note 30: Rapport de Saladin, p. 55. «On vous a dit, s'écriait Clauzel, dans la séance du 12 vendémiaire de l'an III (3 octobre 1794), que c'était pendant les quatres décades que Robespierre s'était éloigné du comité, que nos armées avaient remporté tant de victoires; eh bien! tous les massacres du tribunal révolutionnaire ne se sont-ils pas commis pendant ces quatre décades?» (Moniteur, du 14 vendémiaire, an III).]

La scission qui n'allait pas tarder à éclater entre Robespierre et quelques-uns de ses collègues du comité de Salut public n'eut donc point pour cause cette loi du 22 prairial, mais bien l'application désastreuse qu'on en fit, et surtout la merveilleuse et criminelle habileté avec laquelle certains Conventionnels menacés, aussi habiles à manier l'intrigue que prompts à verser le sang, semèrent le soupçon contre lui dans l'âme de quelques patriotes ardents. Au reste, transportons nous au milieu de la Convention nationale, et nous verrons si les discussions auxquelles donna lieu la loi du 22 prairial ne sont pas la démonstration la plus péremptoire de notre thèse.

Thermidor: d'après les sources originales et les documents authentiques

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