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VIII

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On sait à quoi s'en tenir désormais sur Tallien, le sauveur de la France, suivant les enthousiastes de la réaction. N'omettons pas de dire qu'il fut le défenseur de Jourdan Coupe-Tête au moment où celui-ci fut appelé à rendre compte de ses nombreux forfaits au tribunal révolutionnaire. Du 24 prairial au 9 thermidor, on n'entendit plus parler de lui. Pendant ce temps-là, il fit son oeuvre souterraine. Courtier de calomnies, il s'en allait de l'un à l'autre, colportant le soupçon et la crainte, tirant profit de l'envie chez celui-ci, de la peur chez celui-là, et mettant au service de la contre-révolution même sa lâcheté et ses rancunes[62].

[Note 62: Un des coryphées de la réaction thermidorienne, Tallien se vit un moment, sous le Directoire, repoussé comme un traître par les républicains et par les royalistes à la fois. Emmené en Egypte, comme savant, par Bonaparte, il occupa sous le gouvernement impérial des fonctions diplomatiques, et mourut oublié sous la Restauration et pensionné par elle.]

Mais Tallien n'était qu'un bouffon auprès du sycophante Fouché. Saluons ce grand machiniste de la conspiration thermidorienne; nul plus que lui ne contribua à la perte de Robespierre; il tua la République en Thermidor par ses intrigues, comme il tua l'Empire en 1815. Une place d'honneur lui est certainement due dans l'histoire en raison de la part considérable pour laquelle il a contribué aux malheurs de notre pays. Rien du reste ne saurait honorer davantage la mémoire de Robespierre que l'animadversion de Fouché et les circonstances qui l'ont amenée.

Ses relations avec lui remontaient à une époque antérieure à la Révolution; il l'avait connu à Arras, où le futur mitrailleur de Lyon donnait alors des leçons de philosophie. Fouché s'était jeté avec ardeur dans le mouvement révolutionnaire, bien décidé à moissonner largement pour sa part dans ce champ ouvert à toutes les convoitises. Ame vénale, caractère servile, habile à profiter de toutes les occasions capables de servir sa fortune, il s'était attaché à Robespierre à l'heure où la faveur populaire semblait désigner celui-ci comme le régulateur obligé de la Révolution. L'idée de devenir le beau-frère du glorieux tribun flattait alors singulièrement son amour-propre, et il mit tout en oeuvre pour se faire agréer de Charlotte. Sa figure repoussante pouvait être un obstacle, il parvint à charmer la femme à force d'esprit et d'amabilité. Charlotte était alors âgée de trente-deux ans, et, sans être d'une grande beauté, elle avait une physionomie extrêmement agréable; mais, comme il est fort probable, Fouché ne vit en elle que la soeur de Robespierre. Charlotte subordonna son consentement à l'autorisation de son frère, auquel elle parla des avances de Fouché. Plein d'illusions encore sur ce dernier, et confiant dans la sincérité de sa foi démocratique, Maximilien ne montra aucune opposition à ce mariage[63]. La sanguinaire conduite de Fouché dans ses missions brisa tout.

[Note 63: Mémoires de Charlotte Robespierre, p. 123. Les relations de Charlotte et de Fouché ont donné lieu à d'infâmes propos, et l'on a prétendu qu'elle avait été sa maîtresse. M. Michelet, en accueillant la calomnie, aurait dû tenir compte des protestations indignées d'une femme, aigrie et triste si l'on veut, mais à qui l'on n'a à reprocher ni dépravation, ni vénalité. (Voy. Mémoires de Charlotte, p. 125.)]

Après la prise de Lyon, Couthon avait exécuté avec une extrême modération les rigoureux décrets rendus par la Convention nationale contre la ville rebelle. A la place de ce proconsul, dont les moyens avaient été trouvés trop doux, on avait envoyé Collot-d'Herbois et Fouché, deux messagers de mort. Aussi le départ du respectable ami de Robespierre donna-t-il lieu à de longs et profonds regrets. «Ah? si le vertueux Couthon fût resté à la Commune-Affranchie, que d'injustices de moins![64]» Citons également cet extrait d'une autre lettre adressée à Robespierre: «Je t'assure que je me suis senti renaître, lorsque l'ami sûr et éclairé qui revenait de Paris, et qui avait été à portée de vous étudier dans vos bureaux, m'a assuré que, bien loin d'être l'ami intime de Collot-d'Herbois, tu ne le voyais pas avec plaisir dans le comité de Salut public[65]….» Collot d'Herbois et Fouché, c'est tout un.

[Note 64: Lettre de Cadillot. Voyez Papiers inédits, t. II, p. 139, et numéro CVI, à la suite du rapport de Courtois.]

[Note 65: Lettre en date du 20 messidor, citée plus haut. (Voy. Papiers inédits, t. I, p. 144, et numéro CV, à la suite du rapport de Courtois.)]

Prédestiné à la police, Fouché écrivait de Nevers à son ami Chaumette, dès le mois d'octobre 1793: «Mes mouchards m'ont procuré d'heureux renseignements, je suis à la découverte d'un complot qui va conduire bien des scélérats à l'échafaud…. Il est nécessaire de s'emparer des revenus des aristocrates, d'une manière ou d'une autre….» Un peu plus tard, le 30 frimaire, il lui écrivait de Lyon, afin de se plaindre que le comité de Salut public eût suspendu l'exécution des mesures prises par lui pour saisir tous les trésors des départements confiés à sa surveillance, et il ajoutait: «Quoi qu'il en soit, mon ami, cela ne peut diminuer notre courage et notre fermeté. Lyon ne sera plus, cette ville corrompue disparaîtra du sol républicain avec tous les conspirateurs[66].» Qui ne connaît les atrocités commises à Lyon par les successeurs de Couthon, et qui ne frémit à ce souvenir sanglant?

[Note 66: Les originaux de ces deux lettres, inédites toutes deux, sont aux Archives, F 7, 1435, liasse A.]

Collot-d'Herbois parti, on aurait pu espérer une diminution de rigueurs; mais Fouché restait, et, le 21 ventôse (11 mars 1794), il écrivait à la Convention nationale: «… Il existe encore quelques complices de la révolte lyonnaise, nous allons les lancer sous la foudre; il faut que tout ce qui fit la guerre à la liberté, tout ce qui fut opposé à la République, ne présente aux yeux des républicains que des cendres et des décombres[67]….» Les cris et les plaintes des victimes avaient douloureusement retenti dans le coeur de Maximilien. Son silence glacial à l'égard de Collot-d'Herbois, son obstination à ne point répondre à ses lettres, tout démontre qu'il n'approuvait nullement les formes expéditives qu'apportaient dans leurs missions les sauvages exécuteurs des décrets de la Convention. Lui cependant ne pouvait rester plus longtemps sourd aux gémissements dont les échos montaient incessamment vers lui: «Ami de la liberté, défenseur intrépide des droits du peuple», lui écrivait encore un patriote de Lyon, «c'est à toi que je m'adresse, comme au républicain le plus intact. Cette ville fut le théâtre de la contre-révolution et déjà la plupart des scélérats ne respirent plus…. Mais malheureusement beaucoup d'innocents y sont compris…. Porte ton attention, et promptement, car chaque jour en voit périr…. Le tableau que je te fais est vrai et impartial, et on en fait beaucoup de faux…. Mon ami … on attend de toi la justice à qui elle est due, et que cette malheureuse cité soit rendue à la République…. Dans tes nombreuses occupations, n'oublie pas celle-ci[68].» Le 7 germinal (27 mars 1794), c'est-à-dire moins de quinze jours après la réception de la lettre où Fouché parlait de lancer sous la foudre les derniers complices de la révolte lyonnaise, Robespierre le faisait brusquement rappeler par un ordre du comité de Salut public[69].

[Note 67: Lettre citée par Courtois, à la suite de son rapport, sous le numéro XXV.]

[Note 68: Lettre non citée par Courtois. L'original est aux Archives, F 7, 4435, liasse O.]

[Note 69: Arrêté signé: Robespierre, Carnot, Collot-d'Herbois, Billaud-Varenne, Barère, C.-A. Prieur, Saint-Just et Couthon. Il est tout entier de la main de Robespierre. Archives, A F, II. 58.]

A peine de retour à Paris, Fouché courut chez Maximilien pour avoir une explication. Charlotte était présente à l'entrevue. Voici en quels termes elle a elle-même raconté cette scène: «Mon frère lui demanda compte du sang qu'il avait fait couler et lui reprocha sa conduite avec une telle énergie d'expression que Fouché était pâle et tremblant. Il balbutia quelques excuses, et rejeta les mesures cruelles qu'il avait prises sur la gravité des circonstances. Robespierre lui répondit que rien ne pouvait justifier les cruautés dont il s'était rendu coupable; que Lyon, il est vrai, avait été en insurrection contre la Convention nationale, mais que ce n'était pas une raison pour faire mitrailler en masse des ennemis désarmés.» A partir de ce jour, le futur duc d'Otrante, le futur ministre de la police impériale, devint le plus irréconciliable ennemi de Robespierre.

Thermidor: d'après les sources originales et les documents authentiques

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