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VI

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Est-il vrai que, dès le lendemain même du jour où cette loi fut votée, c'est-à-dire le 25 prairial, Robespierre ait, en plein comité, demandé la mise en accusation ou, comme on dit, les têtes de Fouché, de Tallien et de sept de leurs amis, et que le refus de ses collègues amena sa retraite volontaire du comité? C'est ce qu'a prétendu le duc d'Otrante; mais quelle âme honnête se pourrait résoudre à ajouter foi aux assertions de ce scélérat vulgaire, dont le nom restera éternellement flétri dans l'histoire comme celui de Judas? La vérité même paraîtrait suspecte venant d'une telle source.

Mais si pareille demande eût été faite, est-ce que les membres des anciens comités ne s'en fussent pas prévalus dans leur réponse aux imputations de Lecointre? Comment! ils auraient arraché neuf représentants du peuple à la férocité de Robespierre, et ils ne s'en seraient pas fait un titre d'honneur aux yeux de la Convention, à l'heure où on les poursuivait comme des proscripteurs? Or, à quoi attribuent-ils le déchirement qui eut lieu au comité de Salut public? Uniquement aux discussions—très problématiques—auxquelles aurait donné lieu la loi de prairial. «Robespierre», disent-ils, «devint plus ennemi de ses collègues, s'isola du comité et se réfugia aux Jacobins, où il préparait, acérait l'opinion publique contre ce qu'il appelait les conspirateurs connus et contre les opérations du comité[39].»

[Note 39: Réponse des membres des deux anciens comités aux imputations de Laurent Lecointre, p. 39 et 109.]

Eh bien! la scission ne se produisit pas le 25 prairial, mais seulement au commencement de messidor, comme cela résulte des propres aveux des membres du comité, rapprochés de la déclaration de Maximilien. En effet, ceux-là limitent à quatre décades la durée de ce qu'ils ont appelé la retraite de Robespierre[40], et celui-ci dit très haut, à la séance du 8 thermidor, que la force de la calomnie et l'impuissance de faire le bien l'avaient obligé de renoncer en quelque sorte depuis six semaines à ses fonctions de membre du comité de Salut public. Quatre décades, six semaines, c'est la même chose. Ce fut donc vers le 1er messidor que la désunion se mit parmi les membres du comité. Chaque jour ici a son importance.

[Note 40: Ibid., p. 44.]

Quelle fut la cause positive de cette désunion et comment les choses se passèrent-elles? A cet égard, nous sommes réduits à de pures conjectures, les vaincus de Thermidor ayant eu la bouche fermée par la mort, et les anciens membres du comité s'étant entendus comme larrons en foire pour se donner une apparence de raison contre leurs victimes. Encore doit-on être étonné du vide de leurs accusations, qui tombent d'elles-mêmes par suite des contradictions étranges et grossières échappées à leurs auteurs. Nous dirons tout à l'heure à quoi l'on doit attribuer vraisemblablement la brouille survenue parmi les membres du comité, mais il faut ranger au nombre des plus lourds mensonges historiques, la légende des neuf têtes—d'aucuns disent trente—demandées par Robespierre à ses collègues, légende si légèrement acceptée.

La vérité est que le nombre des misérables auxquels il aurait voulu qu'on demandât compte de leurs rapines et du sang criminellement versé par eux, s'élevait à peine à cinq ou six[41], et que les quelques membres menacés s'ingénièrent, comme on le verra bientôt, pour grossir indéfiniment ce chiffre, et firent circuler des listes fabriquées afin de jeter l'épouvante au milieu de la Convention et de recruter par la peur des ennemis à Maximilien. Nous allons bientôt tracer le tableau des machinations infernales tramées dans l'ombre contre ce patriote intègre; je ne sais s'il y a dans l'histoire exemple d'un aussi horrible complot. Mais, auparavant, il convient de dire comment Robespierre avait mérité l'animadversion de cette horde de scélérats, à la tête desquels on doit ranger l'atroce Fouché, le mitrailleur de Lyon, et le héros Tallien.

[Note 41: Voyez à cet égard le discours de Saint-Just dans la séance du 9 thermidor.]

Robespierre professait depuis fort longtemps, un souverain mépris pour Tallien, ce véritable histrion de la Révolution. Une lettre qu'il reçut de lui, le lendemain même du jour où il l'avait si hautement flétri en pleine Convention, n'était pas de nature à le relever dans son opinion. «L'imposture soutenue par le crime…, ces mots terribles et injustes, Robespierre, retentissent encore dans mon âme ulcérée. Je viens, avec la franchise d'un homme de bien, te donner quelques éclaircissements….» écrivait Tallien, le 25 prairial.—La franchise d'un homme de bien!… Ces mots, sous la plume de Tallien, durent singulièrement faire sourire Robespierre. Dans cette lettre, dictée par la frayeur, Tallien se donnait comme un ami constant de la justice, de la vérité et de la liberté. Les intrigants seuls avaient pu, disait-il, susciter des préventions contre lui, mais il offrait sa conduite tout entière à l'examen de ses concitoyens. Ce n'était pas la crainte qui lui inspirait ce langage, ajoutait-il, par une sorte d'antiphrase où il essayait vainement de dissimuler sa lâcheté, mais bien le désir de servir sa patrie et de mériter l'estime de ses collègues[42].

[Note 42: Courtois s'est bien gardé de publier cette lettre.

Voyez-la dans les Papiers inédits, t. I, p. 115.]

Robespierre ne répondit pas. Trois jours après, le même Tallien s'adressait en ces termes à Couthon: «Je t'adresse, mon cher Couthon, l'exposé justificatif dont je t'ai parlé dans ma lettre d'hier. Je te prie de bien vouloir le mettre sous les yeux du comité. Si tu pouvois me recevoir à l'issue de ton dîner, je serois bien aise de causer un instant avec toi et de te demander un conseil d'ami. La trop confiante jeunesse a besoin d'être guidée par l'expérience de l'âge mûr[43].» Au moment où Tallien s'exprimait ainsi, il conspirait la perte de Maximilien. Il est bon de dire maintenant par quelle série de méfaits cet ancien secrétaire de la commune de Paris s'était rendu suspect, non pas seulement à Robespierre, mais au comité de Salut public tout entier.

[Note 43: Cette lettre, également supprimée par les Thermidoriens, faisait partie de la collection Portiez (de l'Oise). On y lit en post-scriptum: «Si le comité désire quelques explications verbales, je suis prêt à les lui donner; je resterai à la Convention jusqu'à la fin de la séance.» M. Louis Blanc en a donné un extrait dans son Histoire de la Révolution, t. XI, p. 171.]

Thermidor: d'après les sources originales et les documents authentiques

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