Читать книгу Thermidor: d'après les sources originales et les documents authentiques - Ernest Hamel - Страница 22
IX
ОглавлениеDès le 23 prairial (11 juin 1794), une réclamation de la société populaire de Nevers fournit à Maximilien l'occasion d'attaquer très énergiquement Fouché au club des Jacobins, dont Fouché lui-même était alors président. Les pétitionnaires se plaignaient des persécutions et des exécutions dont les patriotes étaient victimes dans ce département où Fouché avait été en mission. Celui-ci rejeta tout sur Chaumette, frappé après Hébert et Danton.
«Il ne s'agit pas, s'écria Robespierre, de jeter à présent de la boue sur la tombe de Chaumette…. Il en est d'autres qui paraissent tout de feu pour défendre le comité de Salut public et qui aiguisent contre lui les poignards.» C'était l'heure, ne l'oublions pas, où s'ourdissait contre Maximilien la plus horrible des machinations, et déjà sans doute Robespierre soupçonnait Fouché d'en être l'agent le plus actif. Quant à lui, ne séparant pas sa cause de celle de la Convention nationale et du gouvernement, dont elle était le centre, disait-il, il engageait fortement les vrais patriotes, ceux qui, dans la carrière de la Révolution, n'avaient cherché que le bien public, à se rallier autour de l'Assemblée et du comité de Salut public, à se tenir plus que jamais sur leurs gardes et à étouffer les clameurs des intrigants. Aux patriotes opprimés il promit la protection du gouvernement, résolu à combattre de tout son pouvoir la vertu persécutée. «La première des vertus républicaines», s'écria-t-il en terminant, «est de veiller pour l'innocence. Patriotes purs, on vous fait une guerre à mort, sauvez-vous, sauvez-vous avec les amis de la liberté». Cette rapide et éloquente improvisation fut suivie d'une violente explosion d'applaudissements. Fouché, atterré, balbutia à peine quelques mots de réponse[70].
[Note 70: Voir, pour cette séance, le Moniteur du 20 prairial an II (16 juin 1794) et le Journal de la Montagne, numéro 47 du t. III.]
Il n'eut plus alors qu'une pensée, celle de la vengeance. Attaquer Robespierre de front, c'était difficile; il fallait aller à lui par des chemins ténébreux, frapper dans l'ombre sa réputation, employer contre lui la ruse, l'intrigue, la calomnie, le mensonge, tout ce qui, en un mot, révolte la conscience humaine. Fouché et ses amis ne reculèrent pas devant cette oeuvre de coquins. On a parlé de la conjuration de Robespierre, et un écrivain en a même écrit l'histoire, si l'on peut profaner ce nom d'écrivain en l'appliquant au misérable qui a signé cet odieux pamphlet[71]. La conjuration de Robespierre! c'est là une de ces bouffonneries, une de ces mystifications dont il est impossible d'être dupe si l'on n'y met une excessive bonne volonté; mais ce qui est bien avéré, c'est la conjuration contre Robespierre, c'est cette conspiration d'une bande de scélérats contre l'austère tribun.
[Note 71: Histoire de la conjuration de Robespierre, par Montjoie.]
On chercherait en vain dans l'histoire des peuples l'exemple d'un si horrible complot. Les conjurés, on les connaît. A Fouché et à Tallien il faut ajouter Rovère, le digne associé de Jourdan Coupe-Tête dans le trafic des biens nationaux; les deux Bourdon, déjà nommés; Guffroy, le journaliste à la feuille immonde et sanglante; Thuriot, un de de ceux qui, avec Montaut, avait le plus insisté pour le renvoi des soixante-treize girondins devant le tribunal révolutionnaire[72]; enfin Lecointre, Legendre et Fréron. Ces trois derniers méritent une mention particulière. Lecointre était ce marchand de toiles qui commandait la garde nationale de Versailles aux journées des 5 et 6 octobre. La dépréciation de ses marchandises contribua sans doute quelque peu à refroidir son ardeur révolutionnaire; cependant ses spéculations comme accapareur paraissent avoir largement compensé ses pertes comme commerçant[73]. Extrême en tout, Laurent Lecointre fut d'abord un révolutionnaire forcené, et il devint plus tard le boule-dogue de la réaction. Toutefois, tant que vécut Robespierre, il se tint sur une réserve prudente, et ce fut seulement un mois après sa chute qu'il se vanta d'avoir pris part à une conjuration formée contre lui dès le 5 prairial. C'était du reste un des intimes de Fouquier-Tinville. Le jour où l'accusateur public fut mandé à la barre de la Convention, après le 9 thermidor, Lecointre s'écria en le voyant: «Voilà un brave homme, un homme de mérite»[74]. Les Thermidoriens étaient donc loin de considérer Fouquier comme une créature de Robespierre.
[Note 72: Après le coup d'État de Brumaire, Thuriot de La Rosière fut, par la grâce de Sieyès, nommé juge au tribunal criminel de la Seine. Il était en 1814 substitut de l'avocat général à la cour de Cassation.]
[Note 73: Voyez à cet égard l'accusation formelle de Billaud-Varenne dans sa Réponse à Lecointre, p. 40.]
[Note 74: Ce fut Louchet qui, après Thermidor, reprocha à Lecointre ses relations avec Fouquier. A quoi Lecointre répondit, après avoir avoué qu'il avait eu Fouquier-Tinville à dîner chez lui, en compagnie de Merlin (de Thionville), qu'il ne pouvait pas regarder comme coupable un homme proposé, trois jours auparavant, comme accusateur public par le comité de Salut public régénéré. (Voy. les Crimes des sept membres des anciens comités, p. 75.)]
Quant à Legendre … qui ne connaît le fameux boucher? Il y a de lui un fait atroce. Dans la journée du 25 prairial, il reçut de Roch Marcandier, vil folliculaire dont nous avons déjà eu l'occasion de parler, une lettre par laquelle cet individu, réduit à se cacher depuis un an, implorait sa commisération. Le jour même, Legendre faisait sa déclaration au comité de Sûreté générale et promettait de prendre toutes les mesures nécessaires pour lui livrer Marcandier[75]. A quelque temps de là cet homme était guillotiné. Il semble que Legendre ait voulu se venger de sa lâcheté sur la mémoire de Maximilien. C'était lui pourtant qui avait tracé ces lignes: «Une reconnaissance immortelle s'épanche vers Robespierre toutes les fois qu'on pense à un homme de bien»[76].
[Note 75: Voyez, dans les Papiers inédits, la lettre de Marcandier à Legendre et la déclaration de celui-ci au comité de Sûreté générale, t. I, p. 179 et 183.]
[Note 76: Papiers inédits, t. I, p. 180.]
Que dire de Fréron, ce démolisseur stupide qui voulut raser l'Hôtel de ville de Paris, ce maître expert en calomnies, ce chef de la jeunesse dorée? Son nom seul n'est-il pas une injure[77]? A ce groupe impur, joignez les noms maudits de Courtois, dénoncé à diverses reprises au comité de Salut public comme dilapidateur des fonds de l'État, de Barras, ce gentilhomme déclassé qu'on eût cru payé pour venger sur les plus purs défenseurs de la Révolution les humiliations de sa caste; d'André Dumont, qui s'entendait si bien à mettre Beauvais au bouillon maigre et à prendre dans son large filet tout son gibier de guillotine, c'est-à-dire les nobles et les animaux noirs appelés prêtres[78], de Carrier, de ces hommes enfin dont Robespierre voulait punir les crimes, réprimer les excès, et vous aurez la liste à peu près complète des auteurs de la conjuration thermidorienne.
[Note 77: Aussi violent contre les patriotes après Thermidor qu'il l'avait été jadis contre les ennemis de la Révolution, Fréron faillit épouser une soeur de Bonaparte, par lequel il fut, sous le Consulat, nommé sous-préfet à Saint-Domingue, où il mourut peu de temps après son arrivée.]
[Note 78: Voy. notamment le Moniteur des 5 brumaire (26 octobre) et 22 frimaire (13 décembre 1793).]