Читать книгу Thermidor: d'après les sources originales et les documents authentiques - Ernest Hamel - Страница 9
IV
ОглавлениеÉlu membre de la Convention nationale par les électeurs de Paris, Robespierre fut, dès les premières séances, l'objet d'une violente accusation de la part des hommes de la Gironde. Déjà Guadet, aux Jacobins, lui avait reproché amèrement d'être l'idole du peuple, et l'avait exhorté naïvement à se soustraire par l'ostracisme à cette idolâtrie. Lasource l'accusa d'aspirer à la dictature. A l'accusation dirigée contre lui, il opposa toute sa vie passée. «La meilleure réponse à de vagues accusations est de prouver qu'on a toujours fait des actes contraires. Loin d'être ambitieux, j'ai toujours combattu les ambitieux. Ah! si j'avais été l'homme de l'un de ces partis qui, plus d'une fois, tentèrent de me séduire, si j'avais transigé avec ma conscience et trahi la cause du peuple, je serais à l'abri des persécutions….»
Barbaroux et Louvet vinrent à la rescousse. Le frivole auteur de Faublas, devançant les Thermidoriens, voulait absolument que la Convention frappât d'un acte d'accusation l'adversaire de son parti, parce qu'on l'avait proclamé l'homme le plus vertueux de France et que l'idolâtrie dont un citoyen était l'objet pouvait être mortelle à la patrie, parce qu'on l'entendait vanter constamment la souveraineté du peuple, et qu'il avait abdiqué le poste périlleux d'accusateur public. Malgré le vide et le ridicule de ces accusations, une partie de la Convention applaudit à la robespierride de Louvet, que le ministre Roland fit répandre dans les provinces à quinze mille exemplaires.
Écrasante fut la réponse de Robespierre. Il n'eut pas de peine à prouver qu'à l'époque où l'on prétendait qu'il exerçait la dictature, toute la puissance était entre les mains de ses adversaires. Après avoir reproché à ceux-ci de ne parler de dictature que pour l'exercer eux-mêmes sans frein, il termina par un appel à la conciliation, ne demandant d'autre vengeance contre ses calomniateurs «que le retour de la paix et le triomphe de la liberté».
Mais sourds à cet appel à la conciliation, les imprudents Girondins ne firent que redoubler d'invectives et d'animosité à l'égard de Robespierre et de Danton. La lutte entre la Gironde et la Montagne s'envenimait chaque jour et ne devait se terminer que par l'extermination d'un des deux partis. Mais d'où vinrent les attaques passionnées et les premiers traits empoisonnés? La justice nous commande bien de le dire, elles vinrent des Girondins.
Le jugement du roi, dans lequel Girondins et Montagnards votèrent en grande majorité pour la mort, fut à peine une halte au milieu de cette lutte sans trêve ni merci.
Le jour même où Louis XVI était décapité, Robespierre prenait la parole pour faire l'éloge de son ami Lepeletier de Saint-Fargeau, qui venait de tomber sous le poignard d'un assassin. Lorsque, dans la même séance, Bazire proposa que la peine de mort fût décrétée contre quiconque cacherait le meurtrier ou favoriserait sa fuite, il attaqua avec force cette motion comme contraire aux principes. «Quoi! s'écria-t-il, au moment où vous allez effacer de votre code pénal la peine de mort, vous la décréteriez pour un cas particulier! Les principes d'éternelle justice s'y opposent.» Et, sur sa proposition, l'Assemblée passa à l'ordre du jour.
Déjà, du temps de la Constituante, il avait éloquemment, mais en vain, réclamé l'abolition de la peine de mort. Que ne fût-il écouté alors! Peut-être, comme il le dit lui-même un jour, l'histoire n'aurait-elle pas eu à enregistrer les actes sanglants qui jettent une teinte si sombre sur la Révolution. Mais on approchait de l'heure des sévérités implacables.
La Convention, croyant reconnaître la main de l'étranger et celle des éternels adversaires de la Révolution dans les agitations qui marquèrent le mois de mars 1793, commença à prendre des mesures terribles contre les ennemis du dedans et du dehors. Le 10 mars, sur la proposition de Danton, elle adopta un projet de tribunal révolutionnaire, projet rédigé par le girondin Isnard, décrétant virtuellement ainsi le régime de la Terreur.
Dans les discussions auxquelles donna lieu l'organisation de ce tribunal, Robespierre se borna à demander qu'il fût chargé de réprimer les écrits soudoyés tendant à pousser à l'assassinat des défenseurs de la liberté, et surtout que l'on définît bien ce que l'on entendait par conspirateurs. «Autrement, dit-il, les meilleurs citoyens risqueraient d'être victimes d'un tribunal institué pour les protéger contre les entreprises des contre-révolutionnaires.»
Nommé membre du comité de Défense nationale, dit Commission de Salut public, dont faisaient également partie Isnard, Vergniaud, Guadet et quelques autres Girondins, il donna presque aussitôt sa démission, ne voulant pas s'y trouver, dit-il, avec Brissot, qu'il regardait comme un complice de Dumouriez. Il refusa également d'entrer dans le grand comité de Salut public qui succéda à celui de défense nationale.
Les débats sur la Constitution firent à peine trêve aux querelles intestines qui divisaient la Convention. C'est au moment où les Girondins ressassaient contre Robespierre et Danton leur éternelle accusation de dictature que le premier, après avoir exposé, aux applaudissements de l'Assemblée, son mémorable projet de Déclaration des droits de l'homme, prononçait ces paroles, toujours dignes d'être méditées: «Fuyez la manière ancienne des gouvernements de vouloir trop gouverner; laissez aux individus, laissez aux familles le droit de faire ce qui ne nuit point à autrui; laissez aux communes le droit de régler elles-mêmes leurs propres affaires en tout ce qui ne tient point essentiellement à l'administration générale de la République; rendez à la liberté individuelle tout ce qui n'appartient pas naturellement à l'autorité publique, et vous aurez laissé d'autant moins de prise à l'ambition et à l'arbitraire.» Sages paroles, dont il serait bien temps de s'inspirer.
Mais, à chaque instant, de nouvelles explosions interrompaient ces pacifiques discussions. Lorsque les Girondins avaient proposé la mise en accusation de Marat pour ses écrits violents, Danton s'était écrié: «N'entamez pas la Convention», et Robespierre avait également essayé de s'opposer à l'adoption d'un décret qui devait être suivi, hélas! de bien d'autres décrets analogues. Les Girondins ne firent que ménager à l'Ami du peuple un triomphe éclatant.
On sait comment ils finirent par sombrer dans les journées du 31 mai et du 2 juin, sous l'irrésistible impulsion du peuple de Paris, qu'ils avaient exaspéré. Depuis huit mois qu'ils étaient en possession du pouvoir, ils n'avaient su que troubler le pays et l'Assemblée par leurs haines implacables et leurs rancunes immortelles. «Encore quelques mois d'un pareil gouvernement, a écrit leur chantre inspiré, et la France, à demi conquise par l'étranger, reconquise par la contre-révolution, dévorée par l'anarchie, déchirée de ses propres mains, aurait cessé d'exister et comme république et comme nation. Tout périssait entre les mains de ces hommes de paroles. Il fallait ou se résigner à périr avec eux ou fortifier le gouvernement[5].
[Note 5: Les Girondins, par M. de Lamartine. T. VI, p. 155.]
Les journées des 31 mai et 2 juin, que trois mois après le 9 thermidor, Robert Lindet qualifiait encore de «grandes, heureuses, utiles et nécessaires», ne coûtèrent pas une goutte de sang au pays, et vraisemblablement les Girondins n'auraient pas été immolés, s'ils n'avaient point commis le crime de soulever une partie de la France contre la Convention.