Читать книгу Thermidor: d'après les sources originales et les documents authentiques - Ernest Hamel - Страница 15
II
ОглавлениеDu propre aveu de Robespierre, le jour de la fête à l'Être suprême laissa dans le pays une impression de calme, de bonheur, de sagesse et de bonté[18]. On s'est souvent demandé pourquoi lui, le véritable héros de cette fête, lui sur qui étaient dirigés en ce moment les regards de la France et de l'Europe, n'avait pas profité de la dictature morale qu'il parut exercer en ce jour pour mettre fin aux rigueurs du gouvernement révolutionnaire? «Qu'il seroit beau, Robespierre», lui avait écrit, la veille même de la fête à l'Être suprême, le député Faure, un des soixante-treize Girondins sauvés par lui «(si la politique le permettoit) dans le moment d'un hommage aussi solennel, d'annoncer une amnistie générale en faveur de tous ceux qui ont résidé en France depuis le temps voulu par la loi, et dont seroient seulement exceptés les homicides et les fauteurs d'homicide[19].» Nul doute que Maximilien n'ait eu, dès cette époque, la pensée bien arrêtée de faire cesser les rigueurs inutiles et de prévenir désormais l'effusion du sang «versé par le crime». N'est-ce pas là le sens clair et net de son discours du 7 prairial, où il supplie la République de rappeler parmi les mortels la liberté et la justice exilées? Cette pensée, le sentiment général la lui prêtait, témoin cette phrase d'un pamphlétaire royaliste: «La fête de l'Être suprême produisit au dehors un effet extraordinaire; on crut véritablement que Robespierre allait fermer l'abîme de la Révolution, et peut-être cette faveur naïve de l'Europe acheva-t-elle la ruine de celui qui en était l'objet[20].» Rien de plus vrai. S'imagine-t-on, par exemple, que ceux qui avaient inutilement désolé une partie du Midi, ou mitraillé indistinctement à Lyon, ou infligé à Nantes le régime des noyades, ou mis Bordeaux à sac et à pillage, comme Barras et Fréron, Fouché, Carrier, Tallien, aient été disposés à se laisser, sans résistance, demander compte des crimes commis par eux? Or, avant de songer à supprimer la Terreur aveugle, sanglante, pour y substituer la justice impartiale, dès longtemps réclamée par Maximilien, il fallait réprimer les terroristes eux-mêmes, les révolutionnaires dans le sens du crime, comme les avait baptisés Saint-Just. Mais est-ce que Billaud-Varenne, est-ce que Collot-d'Herbois, entraînant avec eux Carnot, Barère et Prieur (de la Côte-d'Or), étaient hommes à laisser de sitôt tomber de leurs mains l'arme de la Terreur? Non, car s'ils abandonnèrent Robespierre, ce fut, ne cessons pas de le répéter avec Barère, l'aveu est trop précieux, ce fut parce qu'il voulut arrêter le cours terrible de la Révolution[21].
[Note 18: Discours du 8 thermidor.]
[Note 19: Lettre inédite de Faure, en date du 19 prairial.]
[Note 20: Mallet-Dupan. Mémoires, t. II, p. 99.]
[Note 21: Paroles de Barère à la séance du 10 thermidor.]
Il ne se décida pas moins à entrer résolument en lutte contre les scélérats «gorgés de sang et de rapines», suivant sa propre expression. Un de ces scélérats, de sinistre mémoire, venait d'être tout récemment condamné à mort par le tribunal révolutionnaire, pour s'être procuré des biens nationaux à vil prix en abusant de son autorité dans le district d'Avignon, où il commandait en qualité de chef d'escadron d'artillerie. C'était Jourdan Coupe-Tête, qui avait eu pour complice des vols et des dilapidations ayant motivé sa condamnation le représentant du peuple Rovère, un des plus horribles coquins dont la présence ait souillé la Convention nationale, et un de ceux dont Robespierre poursuivit en vain le châtiment [22]. Jourdan Coupe-Tête avait été dénoncé par Maignet.
[Note 22: Dénoncé aux Jacobins le 21 nivôse de l'an II (10 janvier 1794) comme persécutant les patriotes du Vaucluse, Rovère avait trouvé dans son ami Jourdan Coupe-Tête un défenseur chaleureux. (Moniteur du 1er pluviôse (20 janvier 1794.)) Il n'y a pas à demander s'il fut du nombre des Thermidoriens les plus acharnés. Un tel homme ne pouvait être que l'ennemi de Robespierre. Connu sous le nom de marquis de Fonvielle avant la Révolution, Rovère devint, après Thermidor, un des plus fougueux séides de la réaction. Déporté au 18 fructidor comme complice de machinations royalistes, il mourut un an après dans les déserts de Sinnamari.]
C'était ce même député, Maignet (du Puy-de-Dôme), qui s'était si vivement plaint, auprès du comité de Salut public, des excès commis à Marseille par Barras et Fréron; et, grâce à lui, la vieille cité phocéenne avait pu conserver son nom, dont l'avaient dépouillée ces coryphées de la faction thermidorienne. Placé au centre d'un département où tous les partis étaient en lutte et fomentaient des désordres chaque jour renaissants, Maignet avait fort à faire pour sauvegarder, d'une part les institutions républicaines dans le pays où il était en mission, et, de l'autre, pour éviter dans la répression les excès commis par les Fouché et les Fréron. Regardant comme impossible d'envoyer à Paris tous les prévenus de conspiration dans son département, comme le voulait le décret du 26 germinal, il demanda à être autorisé à former sur les lieux mêmes un tribunal extraordinaire.
Patriote intègre, à la fois énergique et modéré, connu et apprécié de Robespierre, Maignet n'avait pas à redouter un refus. Une commission composée de cinq membres, chargée de juger les ennemis de la Révolution dans les départements du Vaucluse et des Bouches-du-Rhône, fut en effet établie à Orange par arrêté du comité de Salut public en date du 21 floréal. L'établissement de cette commission fut l'oeuvre collective du comité de Salut public, et, longtemps après Thermidor, Billaud-Varenne put dire, sans être démenti, que la Convention n'avait point désapprouvé cette mesure de son comité[23].
[Note 23: Les diverses pièces relatives à la commission d'Orange sont signées par Collot-d'Herbois, Barère, Robespierre, Robert Lindet, Carnot, Billaud-Varenne et Couthon. Ces trois derniers ont même signé seuls les pièces les plus importantes. Voyez à ce sujet le rapport de Saladin, p. 50.]
Pareil accord présida à la formation des commissions populaires établies à Paris en vertu du décret du 23 ventôse. Ces commissions étaient chargées de dresser le recensement de tous les gens suspects à déporter aux termes de la loi des 8 et 13 ventôse, de prendre des renseignements exacts sur les individus détenus dans les prisons de Paris, et de désigner aux comités de Salut public et de Sûreté générale les patriotes qui se trouveraient en état d'arrestation. De semblables commissions pouvaient rendre les plus grands services; tout dépendait du patriotisme et de la probité de leurs membres. Aussi, leur fut-il recommandé de tenir une conduite digne du ministère imposant qu'ils avaient à remplir, de n'écouter jamais que la voix de leur conscience, d'être inaccessibles à toutes les sollicitations, de fuir enfin toutes les relations capables d'influencer leurs jugements. Ces commissions furent d'ailleurs composées d'hommes d'une probité rigoureuse et d'un patriotisme éprouvé[24]. En même temps, le comité de Salut public arrêta qu'au commencement de chaque décade l'accusateur public près le tribunal révolutionnaire lui remettrait les listes des affaires qu'il se proposait de porter au tribunal dans le courant de la décade[25]. Ce sont ces listes auxquelles nous verrons bientôt Robespierre refuser sa signature.
[Note 24: Séance du comité de Salut public des 24 et 25 floréal (13 et 14 mai 1794). Étaient présents: Barère, Carnot, Collot-d'Herbois, Couthon, Billaud-Varenne, Robespierre, C.-A. Prieur, Robert Lindet. (Registre des arrêtés et délibérations du comité de Salut public. Archives, 436 a a 73.)]
[Note 25: Séance du 29 floréal (14 mai 1794).]