Читать книгу Une histoire au-dessus du crocodile - Francisque Monnet - Страница 11
ОглавлениеCHAPITRE VIII
Mon absence fut longue, car je ne rentrai que deux heures après la nuit, et tout couvert de rosée.
Sous l’équateur, le soleil est tellement ardent, que la chaleur qu’il développe, s’élevant à des hauteurs immenses, laisse dans leur état naturel les molécules humides qui se dégagent de la surface des eaux et de la terre; de sorte que ces particules aqueuses ne se congelant pas, non-seulement ne reflètent pas les rayons du soleil quand il est sous l’horizon, mais encore ne s’éparpillent pas dans l’espace: elles retombent lourdement sur la terre, par le poids de leur propre densité, et c’est là, à mon avis, ce qui produit à la fois et l’absence de crépuscule et l’abondance des rosées, sous ces latitudes brûlantes, lesquelles rosées sont particulièrement meurtrières pour le voyageur attardé et vêtu légèrement.
J’en fis l’expérience deux jours après.
En rentrant à l’habitation, beaucoup plus préoccupé de ma femme que de moi-même, j’oubliai de changer de vêtements.
La Fleur-des-Eaux vint à moi, avec son expression de bonté habituelle; mais elle parut m’adresser quelques reproches sur mon oubli de l’heure convenue, et m’engagea à me mettre à table incontinent.
Le repas ne fut pas gai. Lorsque je me couchai, elle resta accroupie sur une natte, prit une de mes mains qui pendait hors du lit, et passa la nuit dans cette attitude. Le lendemain, j’eus un léger frisson, et deux jours après, je tombai malade.
La pauvre Fleur-des-Eaux, qui restait continuellement auprès de moi, ne savait que faire; elle était trop Jeune pour avoir la moindre expérience des maladies.
Un jour, le téama arriva seul.
— Tiens! me dit-il, vous dans cet état? Et comment cela vous est-il arrivé ?
Après qu’il eut entendu mes explications.
Ce n’est rien, continua-t-il, vous êtes allé au soleil, vos pieds sont froids, votre tête brûlante; il ue faut que rétablir l’équilibre, en attirant une chaleur douce et continue à vos pieds, et pour ce faire, vous allez voir le moyen que j’emploie; il est d’une simplicité élémentaire.
Après cet exorde, il adressa quelques paroles à la Fleur-des-Eaux, qui fit des signes de dénégation et voulut s’enfuir; mais il la retint.
— Qu’allez-vous faire? lui demandai-je.
— Vous allez voir.
Puis, sans m’en avertir, mon Répataïvo arracha, d’une seule main, la jupe et la ceinture de la Fleur-des-Eaux, qui opposait de la résistance, et la jeta brutalement toute nue à mes pieds, qu’il plaça, l’un après l’autre, sur le ventre de cette malheureuse.
Ah! si j’avais eu mes forces habituelles! je crois que d’un coup de poing, je changeais la forme du gouvernement de l’île, tant j’étais en colère.
— Sortez, dis-je au roi; mais il ne comprenait pas, et continuait à parler, sans daigner m’entendre. A bout de forces, et en quelque sorte cloué où j’étais, je me mis à considérer la pauvre Fleur-des-Eaux, tremblant sous mes pieds. Son visage, pâle et contracté, exprimait la plus vive crainte; l’oeil était vitreux et sans larmes. J’avais entendu le bruit sourd produit par sa tête, en tombant sur le sol, et son état me jetait dans une anxiété indescriptible.
Pauvre être, si faible et si doux, fallait-il que je la visse réduite en cet état, par la froide insensibilité d’un sauvage!
A la fin, Répataïvo comprenant que je ne le voyais plus et ne l’écoutais pas, prit le parti de s’en aller.
— Au revoir, dit-il en sortant, tout émerveillé de sa sottise.
— D’accord, répondis-je sur un ton que je voulus maîtriser.
Aussitôt que le roi eut franchi le seuil de la porte, la Fleur-des-Eaux cessa de trembler, son visage n’exprima plus que l’impassibilité de la brute. Son corps, blanc et soyeux, dont le sang s’était retiré vers le coeur, avait des reflets limpides et argentés qui miroitaient à la lumière.
Mon inspection ne dura pas une minute; j’ôtai immédiatement mes pieds de dessus ce corps si suave, que je sentais fléchir et bouillonner sous ce poids indigne, et je l’appelai.
Se relevant alors.
— Tu sol eres bueno, me dit-elle en espagnol, et son front vint retomber sur mon épaule, tandis que ses jolis bras m’entouraient si délicatement, que je les sentais à peine. Sa poitrine, appuyée contre la mienne, me renvoyait toutes les pulsations de son cœur, qui battait violemment. Sous ses jambes jointes et repliées, ses pieds se croisaient l’un par-dessus l’autre. Placée ainsi, et tandis que je la soutenais faiblement, elle se mit à fondre en larmes.
Puis ses larmes faisant place à de longs soupirs entrecoupés, elle s’endormit.
Pauvre enfant! Où était ta mère?... hélas 1...
Mais, dis-je en me ravisant, si elle est seule au monde, ne suis-je pas son mari?
Un mari! Pour mon compte, ce personnage m’a toujours produit l’effet d’un monsieur habillé de noir et cravaté de blanc; étriqué, racorni, bête et fade, comme tous les maris modernes du Théâtre-Français. Dîrai-je son époux?
Un époux, c’est quelque chose de rond et d’obèse, rappelant les caprices de la plus haute chinoiserie, un citoyen gaillard, coiffé d’un chapeau blanc, cravaté par sa femme, et faisant sa barbe tous les matins. Alors j’étais son amant; mais un amant suppose une maîtresse, comme une montagne suppose une vallée; or, je n’étais pas son amant. Etais-je son protecteur? Ce mot seul produit l’effet d’un personnage aussi nul qu’important, qui salit tout ce qu’il touche; une sorte de bourreau inconscient de sa mission. Etais-je donc son ami? Un ami n’est pas aussi tendre.
Que pouvais-je donc bien être? Elle s’était donnée à moi comme esclave; mais je l’adorais, et le prêtre n’est pas, que je sache, au-dessus de son idole; donc je n’étais pas son maître; néanmoins, je participais un peu de tout cela, et si vous connaissez une dénomination qui puisse s’adapter exactement au rôle que je remplissais alors auprès d’elle, faites-la-moi connaître.