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CHAPITRE IX

Table des matières

Or, la jeune étrangère était endormie, son souffle, régulier et sonore, rappelait le bruit lointain d’une cloche, qu’apporte le vent au pêcheur qui regagne son village.

Bientôt une main, abandonnant peu à peu mon épaule, vint mollement s’abattre dans la mienne.

J’examinai cette main attentivement.

Chaque ongle était rayé de trois côtes, dont celle du milieu, terminée par une pointe légèrement arrondie, et les deux autres qui, partant de la naissance de ce même ongle, formaient, à leur extrémité, deux demi-festons de chaque côté ; puis, la mince membrane qui joint les doigts ensemble, s’avançant un peu sur les phalanges de chaque doigt, rappelait, en quelque sorte, une main palmée, comme on en trouve chez les oiseaux aquatiques. N’étant pas initié aux mystères de l’anthropologie, ces détails ne me produisirent que peu d’impression.

En voulant porter cette main à mes lèvres, le mouvement que je fis détruisit l’équilibre, et la Fleur-des-Eaux, tombant à mes côtés, s’éveilla. Après s’être relevée; elle se rapprocha de moi. Je pris de nouveau une de ses mains, et lui fis part de mes observations, ce à quoi elle répondit:

— MANTA!

Je ne compris pas ce mot, mais le ton dont il fut prononcé avait quelque chose de si tristement glacial, qu’il me semblait entendre quelqu’un dire: Je suis lépreux.

Après m’avoir eu montré ses deux mains, elle me fit voir ses yeux, dont l’iris presque rouge, se terminait par un cercle fin, d’un noir nacré. Le bord de ses paupières, bien que garni de longs cils noirs, était d’un rose tendre, rappelant assez l’intérieur de certaines conques marines; cet ensemble de choses donnait à son regard une expression étrange.

Elle ouvrit la bouche et me fit remarquer ses dents, toutes parfaitement rangées; seulement, les canines différaient essentiellement des nôtres, en ce qu’elles étaient beaucoup plus fines et légèrement recourbées vers l’intérieur, et à chaque chose qu’elle me faisait remarquer, elle répétait avec sa tristesse habituelle:

— MANTA!

Puis elle se baissa pour me montrer ses pieds; mais s’apercevant alors qu’elle était nue, elle m’implora d’un air si craintif que, devinant son intention, je l’invitai moi-même à s’éloigner.

Quand elle se fut drapée dans son madras, elle vit que sa jupe d’écorces, ornée de plumes brillantes, était déchirée et sa ceinture rompue; mais en peu de temps, tout fut remis en ordre, et je l’envoyai chercher la Madre-negra, sa mère adoptive.

Après son départ, j’allai ramasser trois figurines de bois, attachées ensemble par un fil rouge, et me mis à les considérer. Ces hochets, sculptés avec une naïveté tout enfantine, représentaient trois bonshommes passablement hideux, ayant des yeux figurés par de petits morceaux de verre. Comme j’avais souvent entendu la Fleur-des-Eaux parlant seule, et, vu son extrême jeunesse, il n’y avait rien d’étonnant à ce qu’elle jouât à la poupée en silence. Je plaçai donc ces joujoux auprès de moi et attendis son retour.

Elle ne tarda pas à rentrer, en effet, accompagnée de sa mère adoptive et d’une autre femme qui, ayant compris la cause de mon indisposition, envoya la Fleur-des-eaux chercher certaines herbes; mais en approchant de moi, le premier mouvement de ces deux matrones fut suivi d’une émotion terrible: elles venaient d’apercevoir les poupées de la Fleur-des-eaux, et ces poupées n’étaient ni plus ni moins que des dieux, et ces dieux n’étaient pas les leurs!

Dès que je me rendis compte du motif de leur épouvante, je pliai dans mon mouchoir cette très-peu sainte trimourti, et bientôt ces dames me prièrent de me mettre à nu; ensuite, oignant leurs mains d’huile de coco, elles me les passèrent sur toutes les parties du corps.

Cette opération terminée, la Fleur-des-eaux rentra, apportant différentes herbes qu’elle fit bouillir, et en composa une sorte de breuvage que je pris assez facilement, lequel breuvage détermina une transpiration abondante; l’expérience fut renouvelée, trois jours après j’étais guéri.

Une histoire au-dessus du crocodile

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