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CHAPITRE III

Table des matières

Après les salutations d’usage:

— J’ai rassemblé, me dit le roi, quelques jeunes filles du pays, maintenant choisissez.

Ce qui n’était pas fort embarrassant; ces demoiselles se trouvant être toutes plus ou moins noires, avaient, outre cela, un air de famille qui ne laissait pas de me gêner un peu.

Elles étaient placées sur trois rangs, et espacées comme des soldats dont un général vient inspecter les boutons et les passe-poils.

J’avoue qu’au premier coup d’œil, l’eau ne me vint pas à la bouche; néanmoins, je me hasardai à longer le premier rang.

Rien.

Le second rang ressemblait au premier. Quant au troisième rang..... oh! non.

11 y avait, à ce troisième rang, ou plutôt derrière ce troisième rang, une pauvre fille qui, toute honteuse, paraissait se cacher derrière ses compagnes. Comme je passais devant elle, elle me lança un de ces regards troublés, qui semblait vouloir me dire: Oh! prenez-moi!

Je l’examinai avec attention.

Son teint était noir; mais d’un noir mat et opaque. Sa coiffure, composée d’un chapeau tressé avec des écorces, et figurant assez bien le classique chapeau chinois, abritait ses cheveux, lisses et plats, ressemblant à des varecs desséchés au soleil, comme on en voit sur toutes les plages. Sur ses épaules était drapé un vieux madras tout dépenaillé, et tenu par deux enfants étroitement serrés contre elle. Sa jupe, ou plutôt sa ceinture, ainsi que celle de ses compagnes, n’étant qu’une sorte de papyrus fort court, la partie inférieure du corps se trouvait complètement nue, selon l’usage du pays. Quant à ses traits, européens et réguliers, et ne ressemblant pas à ceux de ses compagnes, ils n’exprimaient que la situation du moment: la honte et l’anxiété, et formaient avec son teint, un contraste dont je ne me rendis pas bien compte sur-le-champ.

Le roi, voyant que je m’arrêtais auprès d’elle, enleva le pauvre madras de dessus ses épaules.

La poitrine était jeune et svelte, les membres, lisses et élégants, les attaches, fines, les mains, fermes et correctes, et n’ayant rien de potelé.

— Allons, tourne! lui dit le roi.

— C’est inutile, répondis-je.

— Et sa ceinture, faut-il l’enlever?

— Non.

— Ainsi, vous la prenez telle quelle?

— Oui.

— Comment te nommes-tu? dit le roi à cette jeune fille.

— Fleur-des-Eaux, répondit-elle tout bas.

— Quel est ton âge?

— Quand la Lumière-de-l’Abîme fut appelée vers ses dieux, la Fleur-des-Eaux comptait huit fois douze lunes, et sept lunes.

Et la Fleur-des-Eaux a pleuré.

Et quand l’Etranger-Blanc fut appelé vers son Dieu, la Fleur-des-Eaux avait de plus trois fois douze lunes, moins deux lunes.

Et la Fleur-des-Eaux a pleuré.

Depuis lors, il s’est écoulé trois fois douze lunes, moins une lune.

Et la Fleur-des-Eaux espère.

Elle avait donc quatorze ans environ.

— La Fleur-des-Eaux veut-elle être l’esclave de l’homme blanc? ajouta le roi.

— La Fleur-des-Eaux veut être l’esclave de l’homme blanc.

— Pour toujours?

— Jusqu’au dernier soleil, murmura-t-elle avec résignation.

— Homme blanc, me dit alors le roi, je te confie cette popinè (femme), elle sera la compagne de tes jours; sois son maître et son soutien.

Alors la Fleur-des-Eaux laissa tomber ses deux mains dans l’une des miennes. Ensuite, on m’offrit un bâton, en me disant:

— Le bâton dans la main du Canaque (homme) est un emblème de force et d’autorité, et la manière dont il s’en sert, détermine le degré de son affection.

Maintenant, que l’homme blanc frappe.

Je levai le bâton bien haut, et la Fleur-des-Eaux qui m’observait, étouffa un cri quand il s’abattit sur elle; mais il la toucha si légèrement, qu’elle le sentit à peine.

— Vous frappez fort mal, me dit le téama.

— Qu’y faire? je ne l’aime pas plus que cela, répondis-je.

— Je suis moins tiède que vous. Tenez, ajouta-t-il, voici mon intendant, un homme que je tiens en haute estime. — Avance ici, Tépéhé. — Eh bien! vous allez voir comment je procède à son égard.

L’intendant s’approcha, tendit le dos, et un vigoureux coup de bâton retentit sur ses épaules. Je crus, un instant, que le pauvre diable allait pousser un rugissement de douleur; mais au contraire, il se retourna, et adressa au roi un sourire plein de reconnaissance, Le drôle avait des notions de diplomatie.

Quant à la foule, elle regardait Tépéhé d’un œil d’envie, qui semblait vouloir dire: Est-il heureux!

Tel était alors l’état des esprits, à Oualan.

Ensuite, vint un homme qui s’avança dans ma direction.

A son costume bariolé et sa démarche grave, je devinai un prêtre. Il nous présenta d’abord, à la Fleur-des-Eaux et à moi, un régime de fruits, sur lequel nous mordîmes l’un après l’autre, puis il nous fit boire dans une même noix de coco; c’était un symbole d’union, ensuite il chanta, se mit à danser et, finalement, tendit la main.

Je lui fis présent d’un beau clou à chêne, ce dont il me parut très-reconnaissant.

Enfin, j’étais marié ; mais on chuchottait dans la foule, surtout parmi les personnes du sexe — je n’ose pas dire du beau sexe — le téama s’en aperçut, et dit alors d’un ton plein de dignité :

— Mes enfants, je sais bien que parmi vous les femmes sont fort belles; leurs cheveux crépus, leur tête carrée, leurs yeux ronds et vifs, comme ceux d’un phoque, leur nez large et plat, et leurs lèvres rouges et opulentes, offrent, sans aucun doute, des attraits irrésistibles pour nous, qui sommes de ce pays; mais un homme blanc et venu de loin, doit avoir reçu d’autres impressions, or, comme son choix est fait, quel qu’il soit, respectez-le.

Ce discours plein de raison produisit son effet, du moins pour un moment, car chacun garda un silence forcé, puis le roi se tournant de mon côté, ajouta, en accentuant bien ses paroles:

— Vous savez, cette femme est aussi ma sujette, à mon tour, je vous la donne. Soyez heureux; le temps. est beau, la mer tranquille... C’est égal, vous avez tout de même un très-joli cochon.

— Venez me voir. Telle fut ma réponse.

Cet atôme de potentat, qui paraissait doué d’un grand sens politique, comprit tout ce qu’il y avait d’espérances au fond de ces trois paroles, et dut faire des rêves dorés cette nuit-là.

La cérémonie étant terminée, nous nous disposâmes à partir, lui de son côté, moi du mien. Nous nous saluâmes donc, en nous disant au revoir.

Sous le coup d’une impression facile à comprendre, et toute ahurie de son succès, la Fleur-des-Eaux me conduisit alors à sa hutte. Le plus jeune des deux enfants venus avec elle, lui donnant la main, l’autre, qui nous précédait, se retournait de temps en temps, pour mieux nous admirer. La hutte où nous allions, était précisément celle que j’avais vue, huit jours auparavant, et la femme qui m’avait salué, se trouvait être la mienne; coïncidence remarquable, mais qui n’est pas sans précédent.

En entrant dans ce misérable réduit, une odeur suffocante me prit à la gorge; deux personnes se trouvaient là : un sauvage ivre et sa femme qui, venant d’être maltraitée, sanglottait dans un coin.

La Fleur-des-Eaux s’avança vers cet homme et lui dit:

— Voilà mon bien-aimé.

A ces mots, le sauvage écarquillant les yeux d’un air hébété, répondit:

— Qu’est-ce que cela me fait?

Mais la femme se leva comme mue par un ressort, et, s’avançant vers ma jeune épouse, elle lui prodigua toutes les marques de la plus vive tendresse. Quant à moi, comme elle n’osait pas même me regarder, j’allai à elle et lui mis dans la main un couteau-poignard; cela parut éveiller vivement son attention, car, par un sentiment assez naturel aux races primitives, elle ne s’occupa plus que de ce que je lui avais donné ; mais elle n’en devinait pas l’usage. Alors j’ouvris le couteau, elle comprit, et se livra aux transports d’une joie indicible. Je donnai aussi quelques grains de verre aux enfants, puis la Fleur-des-Eaux alla décrocher une sorte d’instrument à trois cordes, qu’elle se mit en bandoulière; c’était tout ce que la pauvre fille possédait, alors nous nous mîmes en route, elle et moi, pour regagner mon habitation.

Une histoire au-dessus du crocodile

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