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CHAPITRE V

Table des matières

Il fallut cependant songer à partir. Nous nous levâmes donc ensemble, et nous eûmes bientôt atteint l’habitatiou.

En arrivant, je me jetai sur mon canapé. La Fleur-des-Eaux prit une natte, qu’elle étendit à mes pieds, où elle vint s’asseoir, appuyant sa tête sur mes genoux. Comme je laissais errer ma main à travers sa chevelure, elle s’empara de cette main, et, après en avoir compté les ongles, elle monta à genoux sur le canapé, et compta mes deux oreilles, toucha mes cheveux, me fit tourner la tête, puis, mettant ses yeux presque sur les miens, finit par avoir l’air d’être assez contente de son inspection; j’étais bien décidément un homme de sa race, ou à peu près.

Lorsque je me levai, elle me suivit partout, en se tenant derrière moi, regardant les choses par dessous mon bras, qu’elle maintenait par devers elle, en s’en faisant une ouverture qui, s’élargissant ou se resserrant, selon la dimension de l’objet qu’elle voulait voir, ne laissait pas de me gêner quelque peu; je craignais toujours pour ses pieds, qui étaient nus et délicats.

Parmi les objets en ma possession, il s’en trouva un certain nombre qu’elle sembla revoir avec plaisir, car elle me dit:

— Ormouzd, Ormouzd, en indiquant la mer et un pays lointain, mais sans direction précise.

Que pouvait bien être Ormouzd? Un homme ou un pays?

Au reste, elle était étrangère, à n’en pas douter, car son accent n’était pas celui de l’île, et son langage avait des nuances, et même des mots qui semblaient venir de fort loin, ce qui me déroutait complètement.

Je vis néanmoins qu’elle reconnaissait plusieurs armes, et quelques ustensiles de cuisine; cependant, ma montre l’embarrassa tout à fait: elle l’entendit et voulut la voir; mais dès que je l’ouvris, elle retira précipitamment sa main. C’était, selon elle, un animal qui, tout en cachant ses jambes, devait néanmoins courir très-vite, puisque j’avais jugé prudent de l’attacher.

De plus, elle aurait voulu me voir deux montres, comme l’on fait en Chine.

Mais le soleil baissait rapidement, et il fallait songer au dîner, je sortis donc pour prendre un de mes poulets; ma basse-cour se trouvant placée entre l’habitation et un rang de palissades, qui en défendaient l’entrée, ce fut chose facile à accomplir.

Quand je revins, muni de mon poulet, la Fleur-des-Eaux, qui était également partie, ne tarda pas à rentrer, en apportant des fruits cueillis dans le voisinage. Elle sortit encore et se dirigea du côté de la mer, un instant après, elle reparut, tenant un joli poisson à la main, ce qui m’étonna beaucoup; mais elle me fit comprendre qu’elle était allée le chercher au fond de l’eau, et je n’y compris rien du tout; la mer n’étant pas comme une rivière dont on connaît tous les recoins.

J’allumai du feu; seulement, quand j’eus fait craquer une allumette chimique, ma jolie insulaire en voulut faire autant et se brûla les doigts, tandis que la vapeur du soufre la faisait tousser, ce qui la déconcerta un peu; mais étant allée chercher deux grosses pierres qu’elle mit de chaque côté du feu, en guise de chenêts, elle écailla son poisson, l’ouvrit, le vida et le fit cuire sur ces mêmes pierres, quand elles furent suffisamment chaudes; cela me parut beaucoup mieux réussi.

Mon repas de noce étant prêt, je lui confiai tout ce qu’il faut pour mettre le couvert; naturellement, elle se trompa, car après avoir mis toutes les assiettes en rang, elle aligna les cuillères et les fourchettes, comme si elles eussent été à vendre; ensuite, elle jeta le poivre et le sel, et plaça les salières sur l’orifice des verres; quant aux serviettes, elle en prit une et s’en fit un fichu, une cravate, une ceinture, puis enfin un bonnet. Enchantée de cette dernière découverte, elle voulut me coiffer de même: occupé à faire ma cuisine, j’étais baissé alors, et ma serviette tomba dans la sauce.

— Tambour de basque! m’écriai-je impatienté, et en jetant ma serviette au diable.

Pour le coup, elle eut peur et alla bouder dans un coin; mais deux minutes après, sa tête charmante reparaissait sous mon bras.

Enfin, le dîner était sur table.

J’aurais voulu que la Fleur-des-Eaux se plaçât en face de moi; il n’en fut pas ainsi: elle mit sa chaise contre la mienne, et ne voulut manger que dans mon assiette. Elle passait son bras sous le mien et, enlevant avec les doigts ce que j’avais découpé , elle le dévorait aussitôt; de sorte que, craignant de la blesser, et ne pouvant me servir ni de mon couteau ni de ma fourchette, j’étais menacé de mourir d’inanition.

Pour eu finir, je lui saisis la main et ouvris une grande bouche.

C’est alors qu’elle comprit et me laissa dîner tranquillement, non cependant sans me faire quelques niches, comme, par exemple, de me mordre une oreille; ce qui n’est pas gentil.

Ainsi se termina mon festin nuptial, puis je revins m’asseoir sur mon canapé, où elle me suivit, et s’assit par terre.

Ensuite, se relevant, elle demanda à aller se reposer.

Je mis à sa disposition mon canapé et mon hamac; ce fut ce dernier qu’elle choisit, puis, ôtant sa jupe, qu’elle jeta par-dessus mon épaule, elle mit son pied dans ma main et, s’en servant comme d’un étrier, franchit légèrement la distance qui la séparait du hamac, et se coucha, ne conservant sur elle qu’une ceinture, sorte d’enveloppe légère et soyeuse, suspendue à un fil, puis elle jeta sur moi ce même regard suppliant qui m’avait imploré le matin.

J’y répondis alors par un baiser qui effleura à peine ses lèvres.

Elle me regarda encore; cette fois, tout son visage était empreint de tant de reconnaissance, et d’une si affectueuse pitié, que deux larmes, s’arrondissant sur l’émail de ses yeux, roulèrent dans sa chevelure épaisse et soyeuse, où elles se perdirent.

Je m’assis auprès d’elle. Elle prit ma main qu’elle mit dans la sienne, et demeura en repos. Peu à peu, envahie par le sommeil, son visage s’empourpra légèrement, sa paupière s’abaissa sur son œil immobile, et sa bouche s’entr’ouvrit.

Son souffle, qui s’exhalait doux et régulier, semblait faire germer les rêves, comme le souffle d’avril fait éclore les fleurs; c’était la brise tiède et tremblante, passant sous les rayons argentés d’un soleil de printemps.

Entouré d’un épiderme fin, moite et translucide, son corps se soulevait comme les vagues amoureuses d’une mer calmée.

Bientôt je retirai ma main, abandonnée par la sienne qui, glissant doucement des surfaces unies où elle était placée, vint retomber inerte sur le filet du hamac.

La Fleur-des-Eeaux dormait...

Alors, me levant avec précaution, je m’en fus chercher un moustiquaire, dont je l’enveloppai; puis enfin, gagnant mon lit, je me couchai silencieusement.

Mais avant de m’endormir, je voulus la voir encore.

En étendant cette gaze sur elle, mon bras avait imprimé un léger balancement à son hamac qui, rehaussé de cette frêle enveloppe, sous laquelle dormait cette femme, semblait une plume légère de l’eider, égarée dans l’espace, ou une voile aérienne, emportant une âme vers des lointains infinis.

Bientôt j’éteignis ma lampe et dormis à mon tour.

Une histoire au-dessus du crocodile

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