Читать книгу Une histoire au-dessus du crocodile - Francisque Monnet - Страница 9
ОглавлениеCHAPITRE VI
En m’éveillant, le lendemain, mon premier coup d’oeil s’adressa vers le hamac; il était vide, celle qui l’occupait ayant disparu, je fis un mouvement pour chercher où elle pouvait être, lorsque ma main, qui pendait hors du lit, toucha quelque chose de velouté ; c’était sa tête qu’elle releva aussitôt, puis venant s’asseoir auprès de moi, elle s’inclina doucement sur ma couche, et me dit des mots inconnus qui semblaient être autant de caresses.
Elle était là, devant moi, éblouissante de jeunesse et de beauté ; mais tous ses charmes étaient empreints de tant d’innocence, elle était si chaste dans sa presque nudité, et si virginale dans son abandon, qu’elle ne laissait place à aucune idée profane.
Au reste, mes sentiments me faisaient un devoir d’attendre; d’abord, parce que, étant ma femme, je ne voulais la tenir que d’elle-même; ensuite, si quelque mystère l’obligeait d’en agir ainsi, je ne tarderais sans doute pas à l’éclaircir, et prendre un parti tel que pouvaient le commander les circonstances.
Je m’abstins donc avec soin de tout ce qui aurait pu lui causer le moindre trouble sérieux; considérant que le plus grand des malheurs qui pût m’arriver, en ce moment, c’eût été de m’aliéner son affection naissante, et rester seul et froid, au milieu d’une peuplade inculte et barbare. Et puis, il faut bien le dire, sa supériorité m’écrasait, et pourtant on ne découvrait rien, dans son être, qui fit rêver aux choses d’en haut, — le christianisme n’avait pas passé par là, — mais sa beauté avait en soi des splendeurs magiques, d’un étonnement inouï ; il me semblait, à la voir, être dans un monde irrévélé, entouré de choses étranges, et nageant dans une atmosphère inconnue, peuplée de palais fluides et rayonnants, vus à travers les brumes légères d’un pays enchanté.
Sa bouche parlait au-dessus de la mienne, et chaque syllabe qui s’en échappait, résonnait comme une pièce d’or tombant dans un vase de cristal. Son haleine était fraîche et embaumait, et son regard, profond comme la mer.
Elle mit sa petite jupe et sortit.
Quand elle rentra, je la pris par la main, et lui fis connaître l’usage des différents ustensiles d’Europe. Nous déjeûnâmes, et cette fois le couvert fut mis d’une manière passable; puis, le repas terminé, elle recommença ses cajoleries, car elle s’enivrait de ses propres enfantillages qui ne finissaient plus.
Oh! comme elle était heureuse! elle, depuis si longtemps restée seule, pauvre, étrangère et rebutée de toute une populace ignoble, de se sentir appréciée et chérie. Elle ressemblait à ces grands poètes, que l’on tire du bouge où la misère les a jetés.