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Pourquoi graver des spectacles ? Une esthétique figée du mouvement

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À la différence du spectacle, à ce tableau scénographique sujet au mouvement et à l’éphémère, aux aléas humains et matériels de la représentation, la gravure permettait de fixer, définitivement, un état idéal de ce que Ménestrier nommait des « images en actions1 ». Le mouvement, figé dans la bidimensionnalité de l’image – elle est aujourd’hui dématérialisée par internet – se trouve comme arrêté, privé de sa nature fugitive. L’arrivée à la cour de France de Giacomo Torelli (1608-1678), machiniste italien venu à la demande de Mazarin2, allait amplifier, complexifier la technicité des machines de théâtre. Mais Torelli ne fut pas le seul artiste italien appelé par Mazarin pour réformer les spectacles de cour, la nouveauté que constituait l’opéra en France demandant d’inviter des musiciens parmi lesquels Francesco Sacrati3 pour la représentation de la Finta Pazza dont la première eut lieu, le 14 décembre 1645, dans la salle du Petit-Bourbon, marquant le début d’une révolution scénographique en France, et d’abord à Paris4. En construisant des dessous et des dessus de scène, le machiniste permettait de changer les décors de théâtre par l’usage de châssis coulissants, la nouveauté technique résidant davantage encore dans l’aménagement de cintres pour l’exécution de vols jusqu’alors inédits en France. Pour les spectateurs de 1645, c’était une révolution5. Balayant la scénographie médiévale fondée sur la fixité linéaire et le compartimentage des décors, comme en témoignent les dessins de Georges Buffequin pour le Mémoire de Mahelot6, Torelli ridiculisait quatre ans plus tard l’un des rares spectacles français à être gravé : Mirame (1641)7. Vitesse, changements de décors, variété des mouvements et des machines : sur le plan technique et scénographique, la Finta Pazza rendait désuète la tragi-comédie de Desmarets de Saint-Sorlin qui ne recueillit pas auprès des spectateurs le succès espéré8. Les goûts de Mazarin, que sa formation italienne avait familiarisé avec les spectacles à machines, n’avaient plus rien à voir avec ceux du défunt Cardinal de Richelieu9. Pour démontrer les prouesses de Torelli, oublier dans le même élan Mirame, un imprimé pour la Finta Pazza reçut le rare privilège d’être illustré de gravures de Noël Cochin représentant les différents tableaux de l’opéra10. Cette entreprise anticipait la future politique éditoriale et politique de Louis XIV, en particulier celle des privilèges de librairie11.

Graver la Finta Pazza ne relevait donc pas d’une décision hasardeuse, l’image revêtant un rôle politique de première importance : celui d’inscrire dans la mémoire le souvenir d’un spectacle conçu pour disparaître, mais conservé par l’imprimé et ses estampes. Ces images, en plus d’illustrer le spectacle, servaient à prouver, pour ses contemporains comme pour la postérité, les talents d’un ingénieur que le pouvoir venait d’engager, Mazarin concurrençant sa terre natale dans son pays d’adoption en important la scénographie du changement à vue12. Pour glorifier la monarchie renforcée par Richelieu13 et nouvellement transmise au jeune Louis XIV, la politique éditoriale menée pour illustrer les spectacles de Torelli – l’une des plus importantes dans sa production iconographique en France sous l’Ancien Régime – se donnait l’ambition de prouver, dans son pays d’origine comme à l’étranger, la suprématie d’un pouvoir dont il fallait encore prouver la légitimité, une légitimité remise en cause à cette époque par les épisodes de la Fronde14.



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