Читать книгу " A qui lira ": Littérature, livre et librairie en France au XVIIe siècle - Группа авторов - Страница 62

Traits communs et singularités des deux productions

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Si l’on fusionne désormais nos deux relevés et que l’on tente une synthèse et une comparaison des deux ensembles dégagés, on note tout d’abord un déséquilibre très net, quantitativement, entre la production en français et la production en occitan, a fortiori si l’on ne compare que les œuvres originales et que l’on ne comptabilise pas les rééditions de pièces : on publie entre deux et trois fois plus de pièces en occitan que de pièces en français sur le territoire considéré.

Par ailleurs, et c’est peut-être le plus surprenant, les foyers d’édition ne se recouvrent pas : au trio que forment Avignon, Toulouse et Bordeaux pour le théâtre en français s’oppose celui de Béziers, Aix et Montpellier pour les pièces occitanes. Si certaines villes se spécialisent de manière exclusive dans la publication de l’une ou de l’autre production (Avignon ou Aix), dans d’autres (Toulouse, Béziers ou Montpellier), on publie des œuvres en français et d’autres en occitan. On relève ainsi quelques points de contact : le même imprimeur (ou imprimeur-libraire), Pierre Claverie, publie à Béziers l’Histoire pastoriale (1644) de Saint-André d’Embrun et Les Mariages rabillez (1647) de Michalhe, ce à quoi s’ajoutent d’ailleurs des effets de titre : l’Histoire pastoriale est aussi le titre d’une pièce du Théâtre de Béziers parue en 16331. De même, l’imprimeur montpelliérain Jean Pech publie en 1633 la tragi-comédie de La Selve et en 1636 le recueil des œuvres d’Isaac Despuech-Sage, dont le titre est d’abord en français, comme celui d’un nombre significatif d’œuvres occitanes.

La distribution par genres fait cependant apparaître des pratiques assez distinctes : alors que le théâtre en français compte un nombre significatif de pièces relevant du registre grave (tragédies, tragi-comédies et pièces de dévotion), la production en occitan ressortit presque exclusivement au registre moyen ou bas. On ne compte, pour le théâtre imprimé au XVIIe siècle, aucune pièce religieuse et aucune tragédie occitanes – ce qui ne signifie pas qu’on n’y parle pas de mort, comme l’atteste la Pastorade gascoue de Jean de Garros, pièce de circonstance où des bergers déplorent la mort d’Henri IV, ni même qu’on n’y meurt pas. Gilles Siouffi voit, sans doute à juste titre, dans la promotion massive du plaisant et du facétieux dans la littérature en « langue régionale » du XVIIe siècle le « signe d’un glissement inéluctable vers les fonctions inférieures de la littérature2 ». Et ce qui caractérise le mieux la production occitane est sans doute la notion de « théâtre d’occasions » (occasions fournies par le Carnaval, par les traditions festives, par les entrées…) proposée par Philippe Gardy3. Mais n’est-ce pas également le cas pour une partie au moins de la production en français ? C’est ce qu’un examen plus précis des pièces et de leurs conditions de composition voire de représentation permettrait d’établir avec plus de précision, d’autant que les pièces en occitan et en français ont parfois les mêmes dédicataires, à l’instar de la pièce de La Selve et de La Fausse magie descouverte, pièce anonyme du Théâtre de Béziers, dédiées, à un an d’intervalle, au duc d’Halluyn.

Cet exemple fait apparaître un dernier point de contact possible : en dépit, en effet, de leurs différences esthétiques, ces deux pièces, et bien d’autres avec elles, manifestent une réappropriation des modèles parisiens, en l’occurrence les succès comiques et tragi-comiques des années 1630. Dans bien des cas, la relation locale entre production occitane et production française dut intégrer un troisième terme : les œuvres parisiennes, diffusées par l’impression mais aussi, quoique plus ponctuellement, par la représentation.

Il y a là, assurément, une longue et minutieuse enquête à poursuivre, laquelle devrait permettre à terme la mise au jour d’une histoire « inclusive » du théâtre provincial et de sa production par nature plurilingue.



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