Читать книгу " A qui lira ": Littérature, livre et librairie en France au XVIIe siècle - Группа авторов - Страница 61
La production en occitan
ОглавлениеÀ ce premier groupe d’ouvrages, il faut maintenant ajouter celui des œuvres théâtrales en occitan, puisque les limites de notre territoire d’étude sont celles du très vaste domaine occitanophone. L’occitan constitue la langue maternelle d’une majorité de la population, et même de ses notables. Au début des années 1640, le médecin montpelliérain François Ranchin écrit ainsi : « partout les gens de lettres, les nobles et ceux de condition tant soit peu honneste, parlent français : à quoi ceux de Languedoc et de Provence s’accoutument plus difficilement et ne peuvent perdre leur mauvais accent, de même que les Gascons et ceux de la Guyenne1 ». La production imprimée, tous types d’œuvres confondus, y est-elle, dès lors, plus importante en occitan qu’en français ? Il n’en est rien, comme l’a montré en 1984 Henri Michel dans une étude consacrée à la production imprimée des villes du Bas-Languedoc au XVIIe siècle2 : sur les 540 livres publiés en 1601 et 1700 sur ce territoire, une dizaine seulement peut être considérée comme des œuvres occitanes, contre plus de cent quarante rédigées en latin et le reste (390) en français : « au cours du XVIIe siècle, les imprimeurs éditent donc, en moyenne dans la région, un livre en occitan quand ils en produisent autour de quatorze en latin et trente-huit au moins en français3 ». Mais il se trouve que cette production imprimée est, en Bas-Languedoc, presque exclusivement constituée d’œuvres théâtrales, en l’occurrence Les Folies du sieur le Sage d’Isaac Despuech dit le Sage de Montpellier, dont la première édition paraît à Montpellier en 1636 et la seconde, augmentée, en 1650, et le corpus du Théâtre de Béziers ou théâtre des Caritats, soit 24 pièces publiées à Béziers sous la forme de trois recueils collectifs (en 1628, 1644 et 1657) ainsi que d’éditions séparées.
Que l’imprimé occitan soit, à Montpellier et Béziers, essentiellement de nature théâtrale, ne signifie pas que, réciproquement, tout le théâtre d’expression occitane s’imprime sur ce territoire. La cartographie des autres lieux de composition, de représentation et d’édition du théâtre d’expression occitane a été considérablement facilitée par la parution, en 2003, du Repertòri deu teatre occitan (1550-1800) réalisé par Jean Eygun4. Au foyer bas-languedocien, il faut ainsi ajouter le foyer provençal, et même plus spécifiquement aixois, ainsi que des publications sporadiques à Toulouse, Agen et Paris notamment. À partir de l’ensemble des données recueillies dans le répertoire de J. Eygun, on peut dresser la typologie suivante, qui regroupe les œuvres par ville d’édition et selon un ordre décroissant faisant apparaître les principaux foyers de l’édition théâtrale occitane :
Béziers
L’Antiquité du triomphe de Besiers, au jour de l’Ascension. Contenant les plus rares histoires qui ont esté representées au susdit jour ses dernieres Années, Jean Martel, 1628, contenant : François Bonnet, Histoire de Pepesuc, Le Jugement de Paris, Histoire de la rejouissance des chambrières de Beziers, [anonyme], Les Amours de la Guimbarde, Histoire de Dono Peirotouno, Plaintes d’un païsan […], Pastorale de Coridon & Clerice, Histoire du valet Guillaume, et de la Chambriere Antoine.
Pastorale du berger Celidor et de Florimonde sa bergere, Jean Martel, 1629.
Histoire du mauvais traitement fait par ceux de Villeneufve […], Jean Martel, 1632.
Histoire pastoriale […], Jean Martel, 1633.
La fausse magie descouverte […], Jean Martel, 1635.
Historio de las Caritats de Besiés, Jean Martel, 1635.
Seconde partie du triomphe de Beziers […], Béziers, J. Martel, 1644, contenant : La colère, ou furieuse indignation de Pepesuc, Histoire memorable sur le duel d’Isabels et Cloris, Las aventuros de Gazetto, dans Seconde partie du triomphe de Beziers, Boutade sur le coquinage et la pauvreté, Boutade de la mode, Las amours d’un sergent avec une villageoise.
Michalhe, Les Mariages rabillez, J. Martel et P. Claverie, 1647.
Michalhe, Pastorale del bergé Silvestre ambé la bergeyro Esquibo, J. Martel, 1650.
Las amours de Damon et de Lucresso, Béziers, J. Martel, 1657.
Aix-en-Provence
Claude Brueys, Lou jardin deys musos provensalos, Estienne David, 1628, 2 parties, contenant : Comedie a onze personnagis ; Comedie a sept personnagis (I) ; Comedie a sept personnagis (II) ; Rencontre de Chambrieros ; Ordonansos de Caramantran a quatre personnagis ; Per un ballet de cridaires d’Aïgo ardent ; Per un ballet de Maquarellos ; Per un balet de fouols).
Lou jardin deys musos provensalos, Estienne David, 1665, contenant Comedie de l’interez, ou de la ressemblanço. A huech persounagis et La farço de Juan dou Grau, à sieis persounagis. Ou l’assemblado dei paures mandians de Marseillo, per empacha de bastir la Charité.
Lou Coucho-Lagno Prouvençau per esconjurar las melancouliés de ley gens. A Ays, aquo de Jean Roise, à la plaço deys Prescheurs, 1654, contenant Leys amours de Jobi, et de Madameysello Jano, Lou couguou voulountari a sa moüiller et Leys hounours de Couguëlon bagné dou Poüent-rout et de Tranliasso la bugadiero.
Gaspard Zerbin, La Perlo dey musos et coumedies prouvensalos, Jean Roize, 1655, contenant : Coumedié prouvençalo a sieys persounagis (I), Coumedié prouvençalo a sept persounagis, Coumedié prouvençalo a cinq persounagis, Coumedié prouvençalo a sieys persounagis (II), Coumedié prouvençalo a sieys persounagis (III), Coumedié prouvençalo a huech persounagis.
Montpellier
Isaac Despuech-Sage, Les folies du sieur Le Sage, Montpellier, Jean Pech, 1636 et Las foulies dau Sage de Mounpelie, 1650, contenant Dialogue d’un fol et d’un sage, La preso d’au couguieu au bresc, La mort de l’Esperounat, Dialoguo de dos paysandos sur l’intrado de Madamo de Montmorancy, Dialogue des nimphes. Representé devant Monseigneur le Marechal de Schomberg, à son entrée à Montpelier.
Toulouse
Garros, Jean de, Pastourade gascoue sur la mort deu magnific e pouderous Anric quart deu nom rey de France e de Navarre, Jean Boude, 1611.
Clarac, Arlequin gascou, ou Grapignan, Jean Boudo, 1685.
Agen
Cortète de Prades, François, Ramounet, T. Gayau, 1684.
Cortète de Prades, François, La Miramondo, T. Gayau, 1685.
Sarlat
Rousset, Grizoulet, lou joloux otropat, et los omours de Floridor et Olimpo, J. Coulombet, 1694.
Paris
Rempnoux, François, Les amours de Colin et Alyson, 1641.
Dialogué de trei bargié Perigourdi, nomna Françey, Guillaumé & Frontou […],Le Mercure galant, 1682, p. 54-63.
Si l’on comptait un peu moins de vingt-cinq titres pour l’édition théâtrale en français, le chiffre s’élève à plus de cinquante pour la production en occitan. Et c’est sans compter la part, très importante, de pièces restées manuscrites. Car le théâtre occitan n’accède pas systématiquement à l’imprimé, et lorsqu’il est publié, il ne l’est pas toujours du vivant de ses auteurs. C’est ainsi que le théâtre de l’agenais Cortète de Prades, composé dans les années 1630-1650, ne paraît que vingt ans après sa mort5, et en partie seulement, puisque sa troisième pièce, Sancho Pança al palais dels Ducs est demeurée manuscrite. Plus surprenant, certains auteurs qui bâtissent une véritable œuvre théâtrale, ne publient aucune de leurs pièces. C’est le cas notamment du « bourgeois de Tarascon » Seguin, auteur de six comédies dont l’une est datée de 1646, du montpelliérain Roudil, contemporain de Despuech-Sage et auteur d’une œuvre comparable, par les genres pratiqués autant que par la période où elle a été composée, à celle de son compatriote, ou encore de l’auteur aixois Jean de Cabanes, actif à l’extrême fin du siècle, considéré par ses contemporains comme l’un des plus importants auteurs d’expression occitane, et qui ne publie ni ses textes narratifs ni ses cinq textes dramatiques. Mais, comme le rappelle encore Henri Michel, « il faut des conditions exceptionnelles pour que des œuvres en occitan soient imprimées en Bas-Languedoc à cette époque : celles nées des encouragements d’un milieu, soit convaincu de la qualité de l’un des leurs, soit conscient de la nécessité de défendre des créations anciennes menacées6 ». Ce constat peut assurément être élargi à l’ensemble du territoire. Il est particulièrement remarquable, en effet, qu’une majorité des œuvres s’inscrivent dans des ensembles, attachés à un nom d’auteur (Claude Brueys, dont les œuvres sont réunies à Aix en 1628 dans un recueil intitulé Jardin dey musos provençalos ou Gaspard Zerbin, dont La Perlo dey musos e coumedies prouvensalos, paraît également à Aix 1654) et/ou à une tradition théâtrale ou festive ancienne et très ancrée localement, ce que sont tout à la fois la tradition carnavalesque aixoise dont relèvent les deux œuvres précédentes et les fêtes des Caritats, cadre dans lequel sont représentées, le jeudi de l’Ascension, les pièces du Théâtre de Béziers. Les publications aixoises, et surtout la première d’entre elles, le recueil de Brueys, ont sans doute un effet d’entraînement, qui explique la parution, également chez l’éditeur Estienne David, d’autres pièces sous le titre du Jardin deys musos, mais aussi celle d’un recueil de pièces rassemblées par Jean Roize sous le titre évocateur du Coucho-lagno [Chasse-chagrin] Prouvençau per esconjurar las melancouliés de ley gens. Dans le cas de Brueys ainsi que du Théâtre de Béziers, ce sont, assurément, « les encouragements d’un milieu » ainsi que la volonté d’un imprimeur-libraire de « défendre des créations anciennes menacées » autant que de faire un coup éditorial et de se faire une place dans le champ qui expliquent l’accès à l’imprimé. Dans l’avis « Au Lecteur » du Jardin deys musos provensalos, Brueys explique : « La prière de quelques-uns de mes amis a tiré cet ouvrage de la poussière, où il était depuis vingt-cinq ou trente ans, que la fougue de la jeunesse me donnait du temps, et l’humeur pour m’y appliquer7 ». Dans le premier recueil du Théâtre de Béziers, le texte des huit pièces est précédé d’un important paratexte où l’imprimeur-libraire Jean Martel justifie son projet éditorial par le désir de rendre éternel le nom de la ville de Béziers et de sauver de l’oubli ses traditions, geste qu’il reproduira en 1644 en tête du second recueil collectif.
Quels sont, dès lors, les traits caractéristiques de ce théâtre imprimé ? En partie anonyme (sur les vingt-quatre pièces du Théâtre de Béziers, cinq seulement sont pourvues de noms d’auteurs et deux des recueils aixois rassemblent des œuvres anonymes), ce théâtre est très souvent lié à des circonstances particulières, lesquelles se regroupent en deux grandes catégories qui peuvent communiquer : la production carnavalesque et plus généralement festive, représentée essentiellement par les recueils aixois, qui font apparaître le personnage emblématique de Caramentrant, et le Théâtre de Béziers, joué pendant les Caritats et dans lequel s’invitent, ponctuellement, les figures tutélaires de Pepesuc et du Camel (chameau) ; les vers de ballets ou les pièces composées à l’occasion de l’entrée de grands, telle que celle du maréchal de Schomberg à Montpellier en 1632, pour laquelle Isaac Despuech-Sage compose un dialogue bilingue, sur le modèle de celui, trilingue, de Du Bartas, composé en 1579 pour l’entrée de Marguerite de Navarre à Nérac. Bien sûr, une partie de la production occitane échappe à cette typologie et semble émaner de gestes plus individuels, sans liens avec des sollicitations ou cadres extérieurs.