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IV

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LA MER!

Malgré les indices de beau temps qu’on avait eus en quittant le port, la mer était très-agitée. Le soleil se coucha dans un lit de sang.

Bientôt après on sentit s’élever une brise qui fraîchit rapidement à mesure que la nuit avançait.

James monta sur le. pont... Il était seul avec les gens de l’équipage.

Les nuages couraient dans le ciel bleu, se réunissaient en formant d’étranges figures: ici c’étaient des ailes de vautour, là d’immenses anneaux où la lune claire et brillante apparaissait soudain comme un œil de feu dans une orbite noire. Cette lune regardait bouillonner les flots sur lesquels elle exerce une si grande influence. On eût dit qu’elle admirait son ouvrage. Les vagues s’entassaient, s’élevaient à des hauteurs prodigieuses, roulaient sur elles-mêmes, vomissaient une écume blanche, et retombaient avec des mugissements horribles. Le vent fouettait leur bave, la dispersait et passait avec des sifflements de serpent.

Pour la première fois, James voyait dans toute leur beauté furieuse ces abîmes mouvants. Pour un Anglais, c’était une de ces soirées qui ne s’oublient pas.

Balancé par le tangage du paquebot, il était ivre. Il dévorait des yeux ce spectacle fantasmagorique. Ce n’était plus cet esprit calme et froid qui savait commander à toutes ses sensations. Dans cette effrayante nuit, son cœur palpitait malgré lui: il se sentait vivre!... Tout son individu s’unissait aux convulsions de la nature. Bientôt son organisation troublée, irritée, devint la proie d’une surexcitation fébrile; il eut le vertige. Ses regards, en sondant l’espace, virent une jeune fille d’une beauté surprenante, un mirage qui vacillait dans l’atmosphère; soit qu’il fermât les yeux, soit qu’il les rouvrît, il la voyait encore, et toujours jusque dans les profondeurs du ciel, comme ces bluettes opiniâtres qui s’attachent à nos regards quand le soleil a frappé nos yeux de ses rayons. Jamais semblable vision ne lui avait apparu; jamais créature ne lui avait semblé si belle. C’était autre chose que la réalité ; elle était mystérieuse, diaphane, insaisissable. A cette vue, il se sentait oppressé, il souffrait!

La voix du second vint le tirer brusquement de son extase.

— Descendez donc, monsieur, ou vous serez emporté par un coup de mer, lui criait-il, en l’entraînant. Vous voyez bien que nous avons un grain.

Il le poussa dans l’escalier et ferma sur lui la porte. Une masse d’eau se précipita dans le bâtiment et ruissela de toutes parts. Une affreuse secousse jeta James au bas des marches et le lança jusqu’à la porte de sa cabine, où il faillit se briser.

L’intérieur du bateau offrait un aspect sinistre. Tout le monde priait, pleurait, criait.

Il ne semble plus qu’on navigue sur l’eau, mais sur le fer. Les chocs sont secs; des craquements épouvantables se font entendre de tous côtés. Le navire est enlevé si haut qu’on le croit emporté par une main surhumaine; les cieux paraissent l’aspirer; puis il retombe avec fracas, et l’on dirait qu’il roule sur des rochers jusqu’aux profondeurs de la terre. Il tangue, vire, tantôt marche à culer, tantôt menace de se précipiter sur quelque vigie. Des tourbillons d’air lui donnent des oscillations terribles.

On a hissé le pavillon de détresse.

Une lame couvre, brise le mât de misaine et se retire l’emportant avec elle.

Une sorte de stupeur plonge les passagers dans une inertie complète. Les matelots, pour s’entendre dans les manœuvres, s’efforcent de couvrir par leur voix les bruits de la tempête. Le capitaine, malgré les avaries du bâtiment, conserve toute la liberté de son jugement. Il ne cesse de soutenir et d’encourager ses hommes. Dans ce péril imminent, atroce, combien de temps dure la lutte contre la mer, lutte acharnée de la vie contre la mort?

L’obscurité se dissipe. De ses premiers rayons, enveloppés de brume, le jour jette un ton livide sur les objets brisés et les figures pâlies par la terreur et la fatigue.

Trimmin aperçoit dans un coin de sa cabine une masse pelotonnée sur le plancher: c’est le commis-voyageur, bouleversé, en désordre, comme une brute, qui, sans espérance et sans foi, voit s’avancer son heure dernière.

James s’est mis sur son lit. Il s’efforçe de se lever. Les soubresauts du steamer lui paraissent moins forts.

En se tenant aux cloisons, il gagna l’escalier et le gravit tant à l’aide de ses mains que de ses pieds. A peine est-il en haut, que la porte s’ouvre brusquement. Une voix formidable crie: «Every body on deck.» (Tout le monde sur le pont.)

En un instant on voit surgir des deux escaliers les passagers des premières et des secondes classes: hommes, femmes, enfants, moitié vêtus, mouillés, égarés par la peur, tous, à l’exception de la voyageuse française, qui ne comprend pas le cri d’alarme, et qu’on oublie.

Quel spectacle que la vue de ces malheureux!

Un brouillard aveuglant, ne permet pas de distinguer à l’avant ce qui se passe à l’arrière.

Le steamer, battu par le vent et la vague, vient d’être soulevé par un effort de la mer; il s’enfonce entre deux écueils qui semblent se rapprocher pour l’étreindre avec plus de force.

Tout est dit.

Le vaisseau est attaché aux récifs; il faut qu’il y périsse; les chocs se succèdent, se multiplient. Il ne peut manquer de se défoncer, à moins qu’arraché par une lame du creux dans lequel il est retenu, il ne soit emporté au large, puis affalé, brisé.

Une voie se déclare dans la carène, la cale s’emplit, la ligne de flottaison se découvre à droite, et le steamer penche sur babord.

On ne doit pas être éloigné de la côte. La seule espérance qui reste encore au paquebot est d’appeler l’attention. Un coup de canon est tiré, puis un second, un troisième.

Pas de réponse; pas un canot de sauvetage ne se présente.

Le capitaine se décide à mettre les embarcations à la mer. Pourquoi donc a-t-il tardé si longtemps, malgré les vociférations des passagers? C’est qu’il est impossible de sauver tout le monde.

Quoiqu’un matelot menace de tuer les personnes qui se hâtent trop, tous ces malheureux se précipitent; plusieurs parviennent à passer par-dessus le bord, et la première chaloupe risque de s’enfoncer.

Ceux qui restent, les mains tendues, la bouche béante, ressemblent à une meute affamée. Derrière eux se trouve la jeune fille que l’eau a chassée de sa cabine.

L’embarcation est trop pleine, son poids l’entraîne lorsque la tempête, dans un dernier éclat de fureur, saisit le navire par la hanche, le secoue et le rejette sur les récifs. Les flancs s’ouvrent. Un horrible craquement retentit. L’arrière est enlevé ; les sabords s’enfoncent submergés; le steamer se fracasse et disparaît avec la vitesse d’un éclair.

Tout est englouti sous les flots. Quelques gémissements, quelques râles d’agonie, quelques hurlements plaintifs, et la mer n’aura plus gardé trace de cette affreuse catastrophe.

Vertu

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