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LILY

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Le soleil dorait de ses rayons la cime des bois et les barbes des épis. Il descendait en rougissant les nuages.

Delmase, dont la fortune s’était accrue, habitait sa charmante villa de Kingston.

En ce moment, il était assis sur un banc, à côté d’un large tapis vert qui s’étendait jusqu’à la Tamise.

Delmase, comme toujours, semblait flotter entre l’impatience et la colère.

Près de lui, sa femme inclinait sa superbe tête. On eût dit qu’un joug pesait sur son front. La blancheur de son teint s’était brûlée sous la douleur, comme sous un ciel trop ardent.

Devant eux, une petite fille jouait avec du sable, et faisait tourner sa jupe courte dans l’air, Elle traçait son nom sur les allées du jardin.

— Oui, madame, disait le marchand, disposez-vous à retourner dans le monde, que vous n’auriez jamais cessé de voir si vous aviez eu quelque sentiment des convenances. Il faut y conduire «ma fille» et ne pas y attrister ses apparitions par votre attitude sépulcrale; enfin, il ne faut pas avoir l’air d’accompagner un enterrement.

Le bal que je donne ce soir a pour but d’offrir aux regards cette adorable enfant. Elle sera, je n’en doute pas, recherchée par beaucoup de jeunes gens riches, nobles peut-être. Elle choisira! Mais, songez-y bien: je ne veux pas que ses goûts soient contrariés, ni même contestés en quoi que ce soit. Je n’aime qu’elle au monde, et ma fortune est à sa disposition pour satisfaire le moindre de ses désirs. Si elle vous faisait quelque confidence, instruisez-m’en; je verrais s’il est nécesaire de lui faire faire des observations.

— Papa., dit la petite fille en posant étourdiment sa main sur le genou de Delmase, est-ce bien écrit?

Il la repoussa rudement.

— Je vous ai déjà défendu de mettre ainsi vos mains sur moi, fit-il.

La petite fille, droite, immobile, les bras pendants, regarda le marchand avec des yeux mouillés de larmes, et lui dit d’une voix calme et pénétrée:

— Pardon, papa!

— On ne peut être un instant près de votre mère sans vous avoir toujours sous les pieds. Allez jouer plus loin.

L’enfant ramassa tristement sa petite pelle, et s’enfonça dans les massifs.

— En vérité, madame, vous élevez bien mal votre fille, dit Delmase amèrement, en appuyant sur ces derniers mots; elle devient insupportable.

— Pourquoi n’avez-vous pas suivi mon conseil? Je désirais que vous la missiez en pension.

— Je vous l’ai déjà dit: Camille a été élevée chez moi. Agir autrement pour votre fille, serait se faire remarquer; je ne le veux point. Camille avait une gouvernante française; depuis longtemps je demande que vous preniez quelqu’un pour Lily; mais vous n’en finissez pas.

— J’attends une jeune personne aujourd’hui.

— Vous le savez, je ne veux pas une beauté, une femme qui attirerait les regards et les fadaises des visiteurs. — La personne que j’aurai à mon service doit instruire, promener votre fille, et servir de compagnie, de distraction à Camille qui s’ennuie.—Il me faut donc la prendre jeune, c’est déjà trop! Mais je ne veux pas absolument d’une jolie fille près de mon adorable enfant.

— Mademoiselle Kapron, la directrice de l’agence, m’a écrit que, physiquement, la jeune personne qu’elle m’envoie est la moins bien de ses institutrices.

Au même moment le domestique vint prévenir madame Delmase qu’une étrangère la demandait.

— Comment est-elle? dit vivement le marchand, pressé de savoir l’impression produite par la nouvelle venue.

— Elle n’a pas l’air riche, monsieur.

— Son visage?

— Ni beau, ni laid. Pourtant...

— C’est bien! Amenez-la.

La jeune fille parut.

Delmase ne fut pas tout d’abord très-satisfait. La petite gouvernante lui paraissait avoir encore trop de charme.

— Priez mademoiselle Camille de venir ici, dit-il au domestique.

Il désigna une chaise de jardin à la jeune Française, en lui faisant signe de s’asseoir.

— Je viens d’envoyer chercher ma fille aînée, mademoiselle; car nous désirons que la personne qui entre chez nous lui plaise, quoique nous prenions une gouvernante principalement pour une autre fille âgée de six ans.

Camille accourut, légère, folle, gaie, comme le plaisir.

Son père lui dit ce dont il s’agissait.

Heureuse de trouver enfin une compagne sous ce toit trop maussade pour ses dix-sept ans elle répondit en anglais à son père, sans presque avoir regardé la jeune fille:

— Elle me plaît! papa; elle me plaît beaucoup!

— Il suffit, dit Delmase. Mademoiselle, nous vous engageons définitivement. Entendez-vous avec Madame pour les conditions; ensuite, j’aurai quelques instructions à vous donner.

Il se leva.

Camille lui prit le bras et l’entraîna en lui faisant des questions sur le bal du soir.

Depuis la naissance de Lily, cet homme avait accaparé le cœur de Camille. Pour l’arracher entièrement à la tendresse d’Antonie, le père s’était fait esclave.

— Qui viendra? Qui donc as-tu invité ? disait la jeune fille. Dansera-t-on beaucoup?

Lui, répondait à demi, plaisantait avec sa fille en regagnant la maison. Il cueillait des fleurs et les lui donnait.

Elle recevait toutes les marques, de l’affection presque servile de son père comme une fille blasée. Elle avait le sentiment de la puissance illimitée qu’elle exerçait sur le marchand.

Souvent Camille vengeait par ses boutades les brutalités dont son père écrasait tout son entourage. Parfois même elle parvenait à adoucir cette nature despotique et vindicative.

Antonie restée seule avec la gouvernante se demandait:

Que sera cette fille?

Une fois ici, je ne serai jamais maîtresse de l’éloigner. Servira-t-elle la haine de mon mari? Si elle devine la situation, son intérêt l’y poussera; alors ma Lily est perdue. Ils la tueront par le chagrin. Si, au contraire, cette gouvernante a pitié de moi, elle garantira un peu mon enfant des sévérités de son père. Dans ce cas, aurait-elle assez d’esprit pour cacher son bon naturel qui la ferait renvoyer?

Tout cela était effrayant pour la pauvre mère. Elle ne se dissimulait pas qu’il était peu probable qu’elle rencontrât ce qu’elle désirait.

Elle plongeait ses regards le plus avant possible dans l’œil noir de la jeune fille, pour y chercher son âme.

— Comment vous nommez-vous? dit-elle enfin.

— Sternina.

— C’est un nom étrange!

— Mon parrain était Allemand. Il souhaita qu’on m’appelât Stern.

— Ce qui veut dire étoile.

— Ma mère est Italienne, elle m’appela toujours Sternina.

— En réunissant les deux langues, vous vous nommez donc petite étoile.

— C’est un nom bien prétentieux! mais je n’y puis rien.

Quelque peu superstitieuse que fût Antonie, elle considéra cet incident comme un bon présage.

— Qu’avez-vous fait jusqu’à présent? demanda-t-elle.

— C’est la première fois que j’entre comme institutrice dans une maison; mais, en France, j’ai donné déjà des leçons.

— Où demeuriez-vous?

— Chez ma mère, qui tenait un atelier de confections.

— Votre père?...

— Il est mort sans fortune, laissant trois enfants. Je suis l’aînée.

— Votre âge?

— Dix-huit ans.

— Pourquoi avez-vous quitté votre mère?

Sternina ne s’attendait pas à cette question.

Sans le savoir, Antonie touchait un point tout à fait grave dans l’existence de la gouvernante.

— Madame, dit-elle, ce qui me concerne peut-il déjà vous intéresser?

— Je vais vous donner la garde de ce qui m’est le plus cher! Ne vous étonnez donc pas de mon indiscrétion! Tout ce qui a rapport à votre existence m’intéresse.

— Puisque vous ne m’interrogez pas pour moi, mais pour vous, madame, vous me faites un devoir de vous répondre.

Ma mère a trouvé un engagement magnifique pour San-Francisco. Elle ne peut m’emmener là-bas je coûterais et ne gagnerais rien. Il nous faut élever trois enfants. J’étais donc forcée de rester seule, c’était impossible car depuis quelque temps la calomnie s’est abattue sur moi. Ma profession m’oblige à sortir tout le jour. Les méchants ont beau jeu pour attaquer une personne qui n’est pas constamment sous les yeux du monde.

— Mais qui étaient ces méchants?

— Des élèves du Conservatoire, où j’ai eu le bonheur d’obtenir un prix de musique, des parents éloignés, qui ne sont pas satisfaits de la carrière où je suis entrée. J’ai lutté, je me suis affligée; mais les personnes les meilleures, tout en me plaignant, disaient:

«Pourquoi s’acharne-t-on ainsi contre cette pauvre enfant? Il faut qu’une histoire malheureuse dorme là-dessous, qu’il y ait quelque chose!» Moi, je m’étonnais et je ne comprenais pas. Je no croyais pas avoir d’ennemis; je n’avais affligé personne.

Ma mère, me prit à part et me dit:

«Mon enfant, le monde ne croit pas que les méchants agissent saris autre but que leur désir de faire du mal, sans autre raison que le besoin de nuire. Tu n’as que ta réputation, et c’est cela même qu’on veut te ravir. Ce bien tient à trop peu de chose; il est à craindre qu’on ne réussisse à t’en priver. Tu ne serais pas assez forte peut-être pour t’en consoler. Il est impossible que tu restes ici sans moi. Place-toi Fais-toi oublier, change de pays. Sois toujours sage. Peut-être, dans un autre milieu, trouveras-tu des cœurs meilleurs.»

Voilà, madame, pourquoi j’ai laissé mon pays, mon pays où je n’avais plus ma mère, ce que j’aime le plus dans le monde, ma mère que je n’avais jamais quittée.

Cette confession ingénue montra à Antonie toute la candeur de Sternina.

Elle remercia Dieu du fond de son âme.

— Mademoiselle, dit-elle, en vous donnant ma chère Lily à soigner, je mets ma vie entre vos mains. Je ne vous dirai plus un mot à propos de cela. Aimez-la bien!

Sternina comprit qu’il y avait quelque mystérieuse douleur cachée sous ces paroles.

Un regard profond s’échangea entre ces deux femmes.

—Je vous promets, répondit Sternina, de considérer dès aujourd’hui votre enfant comme ma fille.

— Comme votre fille? Vous êtes bien jeune!

— Eh bien, comme une sœur chérie!

Un domestique entra.

— La couturière est là, dit-il. Monsieur a passé chez elle aujourd’hui, pour lui dire de venir prendre les ordres de Madame. Mademoiselle est avec elle déjà.

— Il faut que je vous laisse, dit Antonie en s’adressant à l’institutrice.

Il s’agissait de toilette pour Camille, et la pauvre femme eût été rudoyée, si elle eût apporté la moindre négligence à-cet effet.

Antonie s’éloigna.

Dans sa préoccupation, elle avait oublié de dire à la jeune fille ce qu’elle devait faire pour le moment, et celle-ci, se trouvant un peu embarrassée d’elle-même, n’osait aller dans la maison, ne savait pas s’il était convenable de rester dans le jardin, craignait d’interroger quelqu’un.

Enfin, Lily parut poursuivant son cerceau.

Dans la demi-obscurité, en apercevant une femme assise près du gazon, elle crut que c’était sa mère, et la voyant seule, elle accourut.

— Êtes-vous mademoiselle Delmase? lui dit Sternina avec douceur.

— Oui, répondit Lily, surprise d’entendre parler français par une personne qui n’était pas de sa famille.

— Je suis l’institutrice que votre maman vous donne.

— Ah! tant mieux! Tu as l’air bien gentil! Il ne faudra pas me gronder, dit l’enfant. Viens, je vais te montrer la chambre de travail.

La petite fille prit Sternina par la main et la conduisit.

— As-tu vu papa? Il gronde toujours, toujours... Il ne faut pas le dire... Maman pleure très-souvent, et ma sœur rit.

Tu me conteras des contes, n’est-ce pas? Tu verras aussi la petite Harris que papa a prise parce qu’elle est bien, bien pauvre. Aujourd’hui elle va chez sa mère qui est employée dans une boutique. Je ne l’aime pas du tout, Fanny; c’est une petite fille très-mal élevée! Papa veut que je supporte toutes ses méchancetés. Il dit que cela me donnera un bon caractère. Si l’on me permettait de ne pas la voir, je t’assure que j’aurais tout de suite un bon caractère.

Elles étaient arrivées dans la maison.

Delmase surveillait les apprêts du bal. Il vint à Sternina.

— J’ai oublié mon cerceau, s’écria Lily, en voyant son père, je vais le chercher, et elle s’enfuit.

— Je veux, en quelques mots, dit le marchand, vous apprendre ce que j’attends de vous: Ma femme est souffrante; je prends sur moi l’éducation de nos enfants. Vous ne lui parlerez jamais de ses filles, ni en bien ni en mal; il faut lui épargner les émotions, sa santé l’exige.

Vous instruirez la petite et la tiendrez avec toute la sévérité imaginable. Je le veux; il le faut.

Quant à la grande, c’est un ange! Et songez-y bien, le soin de son bonheur est ma principale préoccupation. Ne manquez donc pas de m’instruire de tout ce qui peut s’y rapporter. Je ne vous pardonnerais pas le moindre oubli à cet égard. Tâchez d’avoir sa confiance.

Il y a ici une autre enfant que nous avons recueillie; vous la traiterez bien. Elle et Lily doivent vivre ensemble comme deux sœurs.

Delmase fit venir la femme de chambre.

— Instruisez mademoiselle des habitudes de la maison, dit-il, et montrez-lui l’appartement de mes filles.

Vertu

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