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IMITATION DU DIABLE BOITEUX

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Une nuit, le diable boiteux, du haut d’un toit, dissertait sur la nature des gens endormis, et les désignait, avec de nombreuses explications, à celui qui avait le plaisir de l’écouter.

L’idée est précieuse! et si, comme ce diable, chacun de nous avait la faculté de voir les gens au travers des murailles, et l’âme au travers du corps, on découvrirait bien des mystères!

Dans la maison où nous sommes, par exemple, s’il nous était permis, pour un moment, de voir chaque chambre, chaque cœur, nous devinerions aisément le drame qui se prépare.

Quand on a bien regardé dans le passé, on a facilement l’intelligence du présent. Il n’est pas dans la volonté suprême que rien des hommes reste caché aux hommes. Tout mystère terrestre n’est donc qu’une obscurité momentanée.

L’homme est un mensonge permanent; mais chaque jour le soleil, en se levant, ramène la vérité, qui enveloppe le monde de ses flots de lumière. La fausseté est la création monstrueuse de l’homme; mais le vrai est avec nous, et défait incessamment ce que nous faisons.

Comme le diable, plaçons-nous d’abord au sommet de la maison; nous descendrons après.

Lily endormie, calme et sereine, ne connaissant pas les maux de la vie et n’ayant encore que de vagues notions du bien et du mal, était la parfaite image de l’innocence: la première heure d’une journée de printemps.

Fanny, moins calme, le visage encore assombri de ses mutineries de la veille, ressemblait au matin d’un jour d’orage.

Entre elles deux, Sternina était la vertu simple et candide arrivée à son premier degré de développement. Déjà tendaient vers elle, comme vers un point d’attraction, les pensées de tous ceux qui l’entouraient. Effet magnétique et puissant que la pureté de l’âme exerce toujours. Les natures supérieures attirent les pensées des autres, leur amour même Il n’y a que les âmes vraiment mauvaises qui les craignent et les haïssent. Fanny et Delmase, chacun selon son âge et dans la mesure de ses secrets instincts, redoutaient vaguement cette nouvelle venue. Antonie et Lily l’aimaient; Camille courait à elle.

Au moment où le travail de la nature s’achève, toutes les facultés morales prêtes à se développer, comme le bourgeon qui attend le soleil pour lancer des feuilles dans l’air, amitié, amour, tout allait déborder chez Camille.

Je ne sais trop si je dois commettre l’indiscrétion de conduire le lecteur derrière les rideaux blancs au milieu desquels dormait cette charmante créature.

Un diable se permet tout. Le nôtre commettra l’indiscrétion.

Beauté, fraîcheur, grâce, s’étaient animées sous le souffle d’amour. La bouche souriante s’était endormie en prononçant le nom du bien-aimé. Le bonheur rosait les joues; les cheveux tournoyaient sur l’épaule blanche et polie; la respiration légèrement animée dérangeait par intervalles les dentelles de l’oreiller. Le parfum des fleurs de la veille chargeait l’air et le rendait enivrant. Enfin tout ce qui pouvait fasciner le regard se trouvait réuni dans ce nid de mousseline. Mais laissons ces tissus transparents, ces tentures moelleuses: il ne serait pas prudent de nous y arrêter trop longtemps.

Nous descendrons, si vous voulez, au premier étage. Dans une chambre aux couleurs sévères, sur un lit large, presque carré, nous verrons dormir sous le brocard la triste et pâle Antonie. Son livre de prières est près d’elle; ses mains sont encore jointes sur sa poitrine. Sa douleur s’est écoulée dans les larmes; le repentir l’a presque ramenée à la quiétude: Dieu paraît apaisé. La femme n’est plus, la mère seule existe.

Descendons encore.

Qu’est-ce que cela?

Quel étrange spectacle s’offre à nous?... Les volets, les rideaux doubles, tout est fermé comme si l’on craignait d’être vu, et qu’une seule clôture fût insuffisante. C’est une chambre à coucher donnant sur un cabinet de travail. Mille paperasses surchargées de chiffres, écrites d’un style qui ferait perdre connaissance aux poëtes, sont entassées sur un bureau. Dans ces chiffons est le secret avec lequel Delmase dore sa vie, le grimoire du commerce: L’art de gagner sans produire.

Le marchand passe alternativement de son cabinet à sa chambre. Il s’étend sur son lit et se relève soudain. Ses cheveux sont en désordre. Des mots inarticulés s’échappent de ses lèvres crispées. Il se promène avec agitation. Depuis longtemps le sommeil l’a fui. Cependant quelques instants de repos viennent forcément avec le jour rendre l’équilibre à ses facultés. Il ne pleure ni ne prie. Pourtant il souffre; il tourmente un cabinet de marqueterie dont il ouvre et referme les tiroirs secrets, il se précipite vers la porte qui donne sur l’escalier, y reste immobile pendant quelques minutes et revient sur ses pas. Ce qui arrête Delmase, c’est l’opinion, la crainte de perdre l’amitié de Camille. Que voudrait-il donc faire?

Depuis dix ans a fermenté la passion qui dévore son cœur. Seul, il est fou; dans son intérieur, il est tyran; pour les indifférents, il est froid, impénétrable. Mais, pour le diable boiteux, c’est la vengeance qui veut s’assouvir?

L’agitation du bal avait surexcité le marchand. Il n’avait pu trouver le faible repos que lui amenait ordinairement la fatigue de ses émotions. Il termina sa toilette, ajusta bien son masque social, leva ses rideaux, ouvrit ses verroux et s’assit près de son bureau. La comédie humaine allait recommencer pour lui.

Un léger bruit se fit entendre. Camille vint déposer un baiser sur le front brûlant de son père. Il voulait chaque matin ce bonjour qu’il recevait avec bonheur.

— Eh bien! fillette, t’es-tu amusée hier? dit-il, en la prenant sur ses genoux comme une enfant.

— Oh! oui. Et Camille arrangea la cravate de son père.

— Mais dis-moi donc pourquoi tous ces bals projetés, toutes ces soirées? On dirait que c’est pour me trouver un mari!

— Un mari? pas encore. Pourtant, je dois songer à ton avenir. Il faut que tu aies le temps de choisir.....

— Il faut aussi qu’on me choisisse. Car enfin, si je demandais un des fils de la reine, dit-elle, baissant la tête et minaudant.

— Un des fils de la reine! s’écria Delmase.

— Tu ne me gronderais pas?

— Pauvre enfant! es-tu maîtresse de tes sentiments? N’as-tu pas le droit d’ailleurs de disposer de ton cœur!

— Que tu es bon!

Delmase, exalté par la pensée que sa fille pouvait élever ses vues au-dessus de sa propre condition, poursuivit:

— Je te le jure! je perdrais mon nom, ou j’amènerais à tes pieds celui qui saurait te plaire.

— Oh! que je t’aime! Eh bien! tout cela n’est pas nécessaire. Je voulais seulement éprouver ta tendresse, dont j’ai besoin, non pour m’aider à épouser un prince, mais pour me conquérir la sympathie, l’amour du jeune homme que j’ai remarqué.

— Tu as remarqué quelqu’un? Déjà ! Et qui donc?

— Ah! qui?... Songe bien avant, que je ne changerai jamais.

— Soit!

— Que toute réflexion serait inutile! Sans cela, je ne parlerai de rien. Sternina, à qui j’ai confié mon secret, m’a conseillé de tout t’avouer..

— Elle a eu raison, mais parle...

— J’ai obéi, tu vois. Si tu savais comme je l’aime.

— Mais qui?

— M. James Trimmin.

— Un républicain, un socialiste!!!

— Qu’est-ce que c’est que ça?

— Un homme qui n’entend rien au commerce, rien à l’ambition.

— N’importe! interrompit-elle. Tout ce que vous me diriez serait inutile; je ne changerai jamais.

Delmase la regarda fixement, puis baissa la tête, comme un homme à qui l’on ôte tout à coup une de ses plus chères espérances.

— Mais, reprit-il tristement, tu n’as besoin pour cela ni de moi, ni de mes efforts. Il sera enchanté de t’avoir. Tu as de la fortune et tu es belle.

— Il est charmant, papa!

— En tout cas, tu es excessivement riche, et les hommes sont on ne peut plus sensibles à cet attrait.

— Oh! mais je veux son cœur, moi! et c’est cela que je te demande! Tu dois pouvoir me l’obtenir, puisque tu me donnerais un prince, dis-tu.

— Ah! tu veux son cœur! Vilaine petite fille, qui se laisse tourner la tête par un profil de joli garçon!

— Mon père, j’avais vu depuis longtemps ce jeune homme... au parc. Je vous le dis franchement: j’aimerais mieux mourir que de renoncer à lui. Je remets donc entre vos mains mon bonheur.

Et, dans un baiser plein de tendresse, elle ajouta ces mots:

— Je veux son cœur pour moi toute seule, entends-tu? Je suis amoureuse et jalouse.

Gâter les enfants, c’est assurément très-mauvais; mais on obtient par ce moyen, sinon leur vraie affection, au moins une connaissance entière de leurs côtés faibles. — Sûrs que leurs désirs sont des ordres, ils les manifestent tout entiers.

Camille, presque honteuse d’avoir ainsi découvert ses sentiments, s’enfuit, après avoir jeté gaiement ces mots à son père.

— Sois prudent! Adieu, petit papa.

Delmase, les coudes sur son bureau, le front dans ses mains, réfléchit.

En somme, Trimmin était un parti très-honorable.

Le marchand commença à enfanter son œuvre, à organiser ses proj ets et à dresser les batteries nécessaires à la grande opération du mariage de sa fille.

Il la connaissait entière dans ses volontés: cette énergie lui plaisait. Il n’avait jamais eu un instant l’idée de combattre ses désirs, quels qu’ils fussent. Il se résigna donc.

Déjà le capitaine occupait toute sa pensée; il l’aimait. Il allait tout employer pour se l’attirer, tout faire agir pour surprendre le moindre de ses secrets et anéantir tous les obstacles qui pourraient s’élever entre lui et sa fille!

Il fit venir un domestique.

— Vous connaissez le capitaine Trimmin? lui dit-il.

— Oui, monsieur.

— Arrangez-vous à m’amener ici son domestique; mais d’abord faites descendre mademoiselle Sternina.

En entrant la jeune fille parut un peu interdite devant cet homme qui lui inspirait de l’éloignement et de la crainte.

— Mademoiselle, lui dit Delmase, vous êtes appelée à jouer dans ma famille un rôle très-important; et je ne vous cache pas que vous ne sauriez me blesser plus vivement qu’en manquant de zèle dans les circonstances suivantes.

Il s’agit de l’amour de ma fille. Vous savez son secret. — Et, pour ne pas mettre une personne de plus dans la confidence, je n’hésite pas à vous prendre pour auxiliaire.

Je désire amener le jeune homme à me demander la main de Camille. Il serait inconvenant, dans ma position, que les avances vinssent de moi.

C’est donc vous qui devrez, par une indiscrétion feinte, l’instruire des sympathies de ma fille. Comme il n’est pas riche, et que l’éclat de la fortune est éblouissant pour la jeunesse, vous lui direz que je ne suis pas dans l’intention de jamais contrarier Camille et que je compte lui donner une dot considérable, presque tout ce que j’ai. Je ne suis pas encore vieux; il me reste du temps pour amasser de l’argent pour l’autre enfant.

Sachez donc adroitement les sentiments de ce jeune homme, et instruisez-m’en.

Je ne vous donne pas ceci comme un ordre; je vous demande de contribuer avec moi au bonheur d’une fille qui vous chérit déjà.

Le temps presse. Je vous ménagerai le plus tôt possible une entrevue avec le capitaine.

C’est aujourd’hui dimanche. Enfermez-vous dans le cabinet de travail pour réfléchir à tout ce que je vous ai dit. Vous aurez la migraine et ne conduirez pas les enfants à l’église. Vous venez de me demander cette permission. Je donnerai des ordres en conséquence.

Soyez adroite, et je ne serai pas ingrat.

En ce moment Etienne entrait.

Delmase n’eut pas beaucoup de peine à l’intéresser à son projet.

En quittant le marchand chez lequel il s’était rendu au lieu d’aller à la messe, la domestique courut au télégraphe, et envoya cette dépêche à Léon:

«Qu’est-ce qu’il faut que je fasse!

» Un monsieur Delmase m’a fait venir et m’a dit:

» — Êtes-vous dévoué au capitaine? mais là... vrai?

» — A la vie, à la mort!

» — Je suis un gros négociant. Ma fille a deux millions sur la planche et de la beauté à revendre. Elle a un coup de soleil pour votre maître. Ça me va. Il faut vous arranger pour qu’il vienne chez moi souvent sans savoir d’abord qu’il est aimé.»

Dalèze répond aussitôt à Étienne:

«James possède-t-il un proche parent? Papa beau-père a-t-il une place à donner?

Étienne avait lu justement dans le Times que Harris, correspondant de Delmase, avait disparu depuis peu, laissant sa place vacante.

Il adresse un nouveau télégramme:

«James a un cousin commis à Rotterdam. Place de correspondant à New-York serait bonne pour lui.»

Réponse:

«Dis à James que son cousin est venu demander la place, pour que James aille chez Delmase solliciter. En avant, marche.»

Vertu

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