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I

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LE DERNIER COUP DE PINCEAU

Dispersés çà et là sur le globe, les premiers groupes d’hommes se trouvaient dans le principe si éloignés les uns des autres, si divers de mœurs et d’aspect, qu’on les a longtemps classés comme appartenant à des races différentes.

Ces groupes se grossissant, s’étendant insensiblement, gagnèrent du terrain et finirent par se rapprocher; mais l’espace qu’il leur fallait parcourir pour se visiter, la difficulté de transport les empêchèrent longtemps de communiquer assez ensemble pour confondre leurs instincts, leurs besoins, leurs habitudes.

De notre temps, les nouveaux modes de locomotion ont déjà commencé de mêler les hommes; tout se croise et se confond. La civilisation tend, avec une rapidité effrayante, à passer son niveau sur le genre humain. Mais nous et nos neveux sommes encore de ceux qui pourront observer les signes caractéristiques qui distinguent les habitants de chaque pays.

Prenons l’Angleterre et la France: ces deux contrées séparées seulement par un bras de mer, un ruisseau, ont entre elles un abîme, si l’on considère les mœurs, les aspirations, le tempérament même de leurs habitants.

Une différence presque aussi frappante existe entre les naturels de chaque contrée. L’homme tient du lieu et du climat comme la plante tient du sol et de l’air.

Les Parisiens, généralement, voyagent peu et jugent, à tort, les étrangers par ceux qu’ils voient à Paris. En changeant d’endroit, on change forcément de vie. Ainsi les Anglais, lorsqu’ils viennent chez nous, courent les spectacles, les bals, les cafés, font, en un mot, ce qu’ils ne feraient pas chez eux.

Comme nous ignorons si nos lecteurs, par de nombreux voyages ou par un long séjour dans les îles Britanniques, ont pu se trouver à même d’observer le caractère de la nationalité anglaise, il nous paraît opportun, dans l’intérêt de notre récit, de leur faire faire quelques remarques à ce sujet.

On dit qu’il n’y a pas une ville plus corrompue que Londres; mais on devrait ajouter que la corruption, ou plutôt la prostitution, s’y trouve parquée dans certains quartiers, et ne se produit guère qu’à des heures fixes; ce qui ne permet pas au mal de se répandre, ni d’atteindre toutes les classes. Du reste, dans ce pays, la séduction est très-restreinte. On peut sans crainte attribuer directement cet heureux effet à la prévoyance des lois. Tout homme majeur a le droit de se choisir lui-même une compagne. Il ne saurait donc se retrancher derrière l’opposition de ses parents pour ne pas offrir son nom avec son amour, quand il s’adresse à une fille honnête. «Au-dessus de l’âge de vingt ans, l’homme et la femme peuvent contracter mariage, sans prendre l’avis de personne .»

D’un autre côté, toute promesse d’union est considérée si sérieusement que celui qui manque à sa parole, en pareil cas, est passible de dommages et intérêts, dont un jugement fixe le chiffre. De là point d’obsessions ni de poursuites sans projets avouables.

Les mères laissent sortir leurs filles seules, et celles-ci, quelque jolies qu’elles soient, ne courent que de bien rares dangers. Les hommes se tiennent presque sur leurs gardes, car les assiduités sont remarquées. Une lettre d’amour est un engagement formel, pour ainsi dire. Jeunes filles et jeunes gens peuvent se rencontrer souvent en tête-à-tête, sans qu’il y ait tentation pour les uns et péril pour les autres. Cela tient-il encore à des raisons physiologiques, ou à ce que la recherche de la paternité n’est pas interdite comme chez nous? C’est possible.

Toujours est-il que la sainteté de la famille règne à Londres dans toute sa majesté.

Le shocking des ladies n’est pas aussi ridicule qu’on le pense, Là, pas un mot de pureté douteuse, pas une transparence dans la conversation, rien de cette gaieté mixte qui met sur les lèvres des convives un reflet des vices laissés à la porte, rien enfin qui altère le respect du foyer paternel. Les enfants, les garçons même surveillés avec soin par la mère, qui ne quitte guère le logis, restent enfants jusqu’à la puberté, sans que pour cela le développement de leurs facultés intellectuelles en souffre.

Ce sont des réflexions analogues à celles-ci que faisait Léon Dalèze, un de nos meilleurs peintres, en caressant avec une brosse le portrait d’un jeune officier anglais, James Trimmin, capitaine des gardes de la reine.

Nos voisins, tout le monde le sait, ne permettent pas que l’ascendance des grades élève au rang d’officier le simple soldat. Ils se choisissent des chefs dans leurs fils de famille et n’exigent même pas que de rudes épreuves préalables bronzent ces jeunes gens et les préparent à la vie des camps. Aussi ne ressemblent-ils en rien à nos braves, qu’on dirait faits de poudre et de fer.

Ces héros gentlemen, grands, minces et blonds comme des épis de blé, sont-ils aussi fragiles qu’ils le paraissent? Non. Ces soldats de marbre se laissent briser, mais ne reculent pas. Il y a en eux un grand caractère dont on ne se rend pas bien compte tout d’abord. James Trimmin, était en congé depuis quelques mois, et habitait Paris, où il faisait connaissance avec les génies contemporains. Le jeune homme avait conservé ses goûts d’adolescent, malgré ses campagnes; de sérieuses préoccupations l’absorbaient. Ce fait, tout naturel dans les candides et tranquilles familles britanniques, était un petit phénomène dans notre capitale.

Aussi dans le monde où James Trimmin allait quelquefois, on avait beaucoup vanté d’abord la noblesse de son cœur, la distinction de son esprit, la beauté de son visage, mais on avait fini par le railler sous cape de la «paix de son cœur;» et, sans le sourire moqueur qui de temps en temps passait sur ses lèvres, sans l’étincelle qui animait ses yeux, peut-être lui eût-on dit tout haut ce qu’on pensait tout bas; mais on n’osait pas.

C’était sur le terrain neutre des bals et des raouts que Léon Dalèze avait rencontré James et l’avait vu cinq ou six fois seulement. Il le peignait de souvenir et finissait un de ces portraits que les artistes étudient avec amour et réussissent le mieux: ceux qu’ils font pour rien.

Le capitaine était la seule personne que Dalèze aimât au monde. Quel lien l’unissait donc à ce jeune homme qui ne le connaissait pas?

L’œuvre se trouvait presque achevée, et tout autre que le peintre en eût été satisfait.

C’était bien ce visage régulier, harmonieux et mâle pourtant.

Une forêt de cheveux blonds, chatoyants de teintes ambrées et de reflets d’or, jetait sur son front une expression fine et douce, mais d’épais sourcils châtains presque réunis, des yeux bleu foncé bien ouverts, donnaient à sa physionomie quelque chose de viril et de puissant.

Tout était bien.

Cependant l’artiste cherchait encore, et paraissait désespéré.

— Il y a dans son regard, s’écria-t-il, en jetant sa palette avec humeur, un charme indescriptible et mystérieux que je ne puis saisir.

Il se promena longtemps à grands pas dans son atelier, puis revint s’asseoir devant sa toile, appuya ses coudes sur ses genoux, et regarda son œuvre.

— J’aurais tort de chercher davantage, pensa-t-il; je ne trouverai pas. Il y a chez le modèle même, chez James, il y a dans cette physionomie froide et impénétrable quelque chose d’inachevé. C’est ravissant, parce que tout, dans la nature, est admirable; mais sur la toile, c’est stupide! Ce garçon-là n’a pas aimé ; c’est évident pour moi. Toutes ces lignes-ci sont trop calmes.

Qu’il aime, son âme viendra sur son visage et la ressemblance sera facile à saisir.

Il faut que le créateur donne son dernier mot, que l’amour d’une femme achève ce chef-d’œuvre, pour que je puisse, moi, finir mon portrait.

On frappa.

— Entrez! dit l’artiste en jetant un rideau sur sa toile.

Vertu

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