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III

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Table des matières

L’étude des cahiers des paroisses et des corporations du Poitou ne saurait être que superficielle si l’on ne cherchait tout d’abord à se rendre compte de ce qu’était à la fin du XVIIIe siècle la situation économique de la province. Un tableau rapide de l’état du Poitou s’impose pour placer les comparants des assemblées rurales dans le cadre qui les voit peiner chaque jour, et pour comprendre leurs récriminations et leurs cris de souffrance. Sur cet état économique, les cahiers eux-mêmes donnent des détails; mais les documents émanés de l’assemblée provinciale du Poitou seront également d’un grand secours pour mieux faire connaître la région et ses habitants.

Après cette étude préliminaire s’ouvrira l’histoire de l’élaboration des cahiers des paroisses et des corporations. Il faut s’initier au mécanisme si délicat de la préparation des Etats généraux. A l’aide des pièces diverses qui accompagnèrent la convocation et des procès-verbaux des diverses assemblées paroissiales, corporatives, préliminaires et générales, on peut suivre en Poitou toutes les phases de la préparation des Etats.

Le premier acte en fut la lettre du roi pour la convocation des Etats généraux, à Versailles, suivie du règlement royal pour l’exécution des lettres de convocation du 24 janvier 1789. Cette convocation sera suivie, à travers les complications qu’entraînent ses obscurités et les lacunes bizarres de l’organisation administrative, depuis son arrivée dans la capitale du Poitou jusqu’à sa notification dans les dernières paroisses de la province. Les assemblées rurales et corporatives se réuniront alors; on les verra élaborer d’une façon légale ou manifestement incomplète leurs cahiers, en observant ou non tous les articles du règlement, puis nommer les députés chargés de porter les cahiers aux assemblées générales et préliminaires.

Ce premier travail aura pour résultat de rendre absolument certain le caractère authentique et officiel des cahiers reconnus comme l’œuvre d’assemblées légales. La critique d’ailleurs ne bornera pas là son œuvre; elle discutera ensuite la valeur objective de ces mêmes cahiers de paroisses et de corporations; elle se préoccupera d’étudier sous quelle influence ils ont pu être écrits, de retrouver, entre les lignes du texte, à travers les expressions employées, puis aussi par les tendances des électeurs, manifestées dans le choix de leurs élus, jusqu’à quel point les idées exprimées sont bien sincères et constituent l’œuvre, non de personnalités qui ont imposé leur manière de voir, mais de l’assemblée tout entière. Les doléances elles-mêmes viendront ici en aide à la critique: selon qu’elles seront en harmonie ou non avec la situation économique déjà connue, qu’elles insisteront ou non sur les revendications locales, qu’elles parleront des institutions qui pèsent le plus lourdement sur la région ou de celles qui lui sont à peu près indifférentes, on connaîtra de la sincérité, de la véracité des cahiers et de la confiance qu’ils méritent. Grâce à ce travail, la valeur des textes sera complètement établie et on aura vu fonctionner en Poitou, non d’après les règlements, mais dans les faits, l’institution politique des Etats généraux, dans leur période préparatoire. L’étude des notifications, des convocations, des assemblées et des élections aux Etats aura donné non seulement la statique de cet organisme constitutionnel, mais encore sa dynamique même, au moins pour une province française.

Quand, par ce premier travail, les cahiers des paroisses et des corporations seront connus dans leur origine et leur élaboration, il restera à aborder l’examen des revendications paysannes et ouvrières elles-mêmes, à y rechercher une esquisse des institutions de la France dans leur application pratique en Poitou, à la fin de l’ancien régime. Ce seront des témoins soumis à ces institutions qui parleront en toute connaissance de cause; très brefs sur tout ce qui n’exige pas de réforme immédiate, ils sauront dresser un terrible réquisitoire contre les abus et les inégalités. Ici surtout les cahiers serviront de guides; mais on ne manquera pas de contrôler leurs assertions par leur confrontation avec les documents contemporains, règlements émanés des intendants, édits, arrêts du Conseil spécialement rendus pour le Poitou, cahiers des autres ordres. Un examen méthodique de ces divers textes permettra de tracer le tableau des institutions politiques, administratives, fiscales, judiciaires, féodales et ecclésiastiques de la France en 1789, et des vœux que leurs défectuosités et leurs lacunes inspiraient à la masse du peuple poitevin.

Sur les relations des classes en 1789 et sur l’influence des premiers ordres, des conclusions intéressantes peuvent également être formulées. Le système des classes sociales faisait partie de la constitution politique de la France. Il ne sera donc pas hors de propos de rechercher l’influence que les ordres privilégiés ont conservée sur le Tiers-Etat des villes et des campagnes. Selon l’importance du rôle qu’ils joueront dans la préparation des Etats généraux, au sein des populations rurales, on pourra juger de la vitalité ou de la décrépitude de cette hiérarchie traditionnelle des personnes.

Une dernière question se posera. Le paysan et l’ouvrier ont longuement exposé et le présent douloureux et l’avenir rêvé ; ils ont écrit leur misère et leur confiance dans Louis XVI. Leurs députés ont été chargés de porter ces doléances à qui de droit. Mais la période préparatoire des Etats généraux n’est pas complètement terminée: le mécanisme électoral permettra-t-il aux revendications du Tiers-Etat de parvenir jusqu’au trône? Quel fut le sort des documents étudiés? Portés par les députés élus dans les assemblées rurales aux réunions bailliagères, les vœux du peuple furent-ils entendus, et la compilation à laquelle se livrèrent les commissaires chargés de la rédaction du cahier général donna-t-elle un résumé exact des demandes du pays poitevin? ou bien, au lieu d’un exposé fidèle des revendications paysannes et ouvrières, y inséra-t-on simplement les opinions particulières de quelques esprits cultivés, l’opinion à la mode en 1789?

Que les cahiers des paroisses et des corporations aient été une première édition naïve des vœux des cahiers généraux, combien plus forte sera la conclusion de l’historien montrant que la nation entière voulait ce qu’ont réclamé ses députés. Qu’au contraire la comparaison fasse ressortir que les préoccupations de la masse étaient toutes différentes de l’opinion courante dans les milieux qui se piquaient d’économie, de politique et de progrès, opinion qui triompha dans les assemblées bailliagères, et c’est une France de 1789 inconnue que l’on découvre. A cette question nous essaierons de répondre dans la dernière partie de ce travail. Elle est d’une importance capitale. Sans doute elle ne sera tranchée que pour le Poitou; mais ne sera-ce pas là déjà un pas vers la vérité ?

C’est par le travail de monographie, entrepris successivement pour les cahiers de paroisses et de corporations de toutes les provinces, que sera définitivement retrouvé l’état véritable de la France en 1789, la physionomie réelle de ses institutions, et du même coup l’état d’esprit de ses habitants.

La préparation des États-généraux de 1789 en Poitou

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