Читать книгу La préparation des États-généraux de 1789 en Poitou - H Couturier - Страница 8
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ОглавлениеParmi les textes de premier ordre qui éclairent l’histoire du droit public français à la fin de l’ancien régime et servent à en retrouver le dernier état à la veille de la Révolution, se placent les documents élaborés dans les assemblées de tout genre qui, pendant les mois de février et mars 1789, furent appelées suivant le plan traditionnel à préparer l’élection des députés aux Etats généraux et à dresser le programme de leurs travaux.
Ces documents, désignés sous le nom de cahiers de plaintes, doléances et remontrances, contiennent l’ensemble des revendications adressées au roi par ses sujets invités, après un siècle et plus de silence, à faire entendre leur voix sur les réformes nécessaires à l’Etat: ils forment une immense collection dont la valeur s’impose, et constituent une mine inépuisable de renseignements sur la France du XVIIIe siècle.
Bon nombre d’historiens y ont recherché surtout des indications circonstanciées sur l’état d’esprit des Français à cette époque décisive. Ils voulaient répondre à des questions de ce genre: la France voulait-elle la Révolution? Celle-ci fut-elle l’éclosion d’un mouvement tout spontané, le résultat naturel de l’évolution de l’âme française? A l’aide des cahiers de 1789, ils ont soutenu les thèses les plus diverses: les uns ont retrouvé dans les cahiers le plan des innovations les plus radicales de la Convention et conclu que la Révolution, faite dans l’opinion avant 1789, fut l’œuvre de la France entière; les autres n’y ont lu que des revendications d’ordre économique, dont la réalisation très légitime devait aboutir à de simples réformes et laisser intactes les institutions politiques et sociales de la France. Il était facile, dans la masse énorme des documents conservés, de trouver une ample moisson de renseignements à l’appui de l’une et l’autre thèse. Tout a été dit dans cette consultation nationale, étant donné le nombre des individus qui y ont pris la parole. Sur l’idée générale qui s’en dégage on pourra discuter longtemps encore.
Ce n’est pas dans le but principal d’apporter quelque précision sur l’état d’esprit des habitants d’une province particulière de la France qu’est abordée ici l’étude des cahiers des paroisses et des corporations du Poitou. L’histoire des idées n’est pas la seule, et l’histoire des institutions ne lui cède pas en intérêt.
Les cahiers des Etats généraux et les procès-verbaux qui les accompagnent forment tout d’abord une documentation unique pour la connaissance de ce rouage intermittent, mais d’une importance capitale, de l’organisation politique de l’ancien régime, qui est l’assemblée des Etats généraux. Ils permettent d’étudier dans leurs moindres détails les formalités complexes et multipliées qui précédaient et accompagnaient la préparation des Etats.
En second lieu, avant même d’être des revendications précises, des exposés très nets de réformes impérieusement exigées, les cahiers, comme leur nom même l’indique, renferment des plaintes, des doléances et des remontrances: ils exposent la situation actuelle du pays, avant même de réclamer des institutions nouvelles. En général, tout ce qui regarde l’avenir y est vague, imprécis, à moins que le rédacteur n’en soit un théoricien plus habile à édifier des constitutions idéales qu’à discerner les inconvénients et les avantages des institutions existantes. Au contraire, en ce qui concerne le présent et le passé, les cahiers, très informés, sont pour l’historien un instrument des plus précieux. L’histoire du droit, en effet, ne recherche pas seulement dans les textes officiels, lois, ordonnances et règlements, quel devait être le fonctionnement des institutions disparues; elle veut savoir aussi comment la législation s’appliquait en fait et quelles tendances se manifestaient pour son évolution. Les cahiers le disent, et avec des détails souvent très vécus; l’immense majorité d’entre eux émane d’assemblées rurales ou ouvrières: écrits sous la dictée des paysans ou des artisans, quand l’un de ceux-ci ne tient pas lui-même la plume, ils permettent d’étudier d’un point de vue très spécial et très pratique les institutions de l’ancien régime comme les comprenaient et les appliquaient les Français du XVIIIe siècle; en les lisant, on s’en fait une idée plus nette; les doléances qu’ils exposent en font saisir les avantages réels et les abus criants; et c’est ainsi que les ruraux et les ouvriers du XVIIIesiècle, bien placés pour décrire l’état politique et social dans lequel ils vivaient, apportent à l’historien un concours des plus utiles.
Les vœux des paysans poitevins sont trop intimement unis à l’exposé des lacunes de la législation ou des abus de toutes sortes pour que l’on n’indique pas aussi les réformes qu’ils préconisent. Ce n’est pas sortir de l’histoire des institutions de l’ancienne France que d’indiquer les revendications qu’elles suggéraient aux assemblées préparatoires aux Etats généraux, tant dans les matières politiques, administratives et fiscales que dans l’organisation féodale et ecclésiastique.
Ainsi apparaît toute l’importance de l’étude des doléances, et en particulier des doléances paysannes et ouvrières. Elle peut éclairer d’une façon lumineuse l’histoire de la monarchie française dans les dernières heures de sa période de régime absolu.